31 Janvier 2020
Le lendemain, vendredi, je me réveille avec une gueule de bois, l’humeur maussade. Je n’ai aucune raison de me sentir à ce point au fond du trou, mais c’est pourtant le cas. Je n’arrive pas à me débarrasser de ce sentiment de mal-être.
Je passe la matinée à écouter les deux cd de Starmania. Je retrouve le bonheur de la première écoute à la radio. Je découvre d’autres chansons que je ne connaissais pas. Pour la première fois, j’écoute toute l’histoire en continu, et je suis frappé par son intense beauté. Par les mélodies, les arrangements, les voix. Et les textes, surtout les textes. Prémonitoires, parodiant et critiquant avec finesse et acuité notre monde moderne.
Entre deux chansons, je pense à Jérém.
Entre deux autres, je pense à Thibault. Toujours pas de coup de fil. J’ai toujours du mal à accepter d’avoir perdu son amitié. Quel gâchis !
L’après-midi, je vais courir sur le canal. Ça me fait du bien. En quelque sorte, je le retrouve, après l’avoir pas mal lâché depuis quelques semaines. Et je lui dis également au revoir, car je sais que je ne le reverrais pas de sitôt.
Le soir, je vois ma cousine dans un bar en ville.
Elle veut tout savoir de mon week-end à Campan. Elle est vraiment heureuse pour moi. J’adore ma cousine Elodie.
« Alors, qu’est-ce que tu avais à m’annoncer de si mystérieux ? » je finis par lui demander, alors qu’elle semble tourner autour du pot.
Elle sourit, elle prend une grande inspiration, et elle me balance :
« Je suis enceinte ».
« Quoi ? »
« Tu es la première personne à qui je le dis ».
Je suis assommé. Je n’arrive pas à réaliser que ma cousine va être maman.
« Mais de combien ? ».
« Mais non, je blague ».
« Conasse ! Alors, crache le morceaux ».
« Regarde » fait-elle, en me montrant une bague avec un petit diamant.
« Elle est belle. Tu voulais me voir juste pour m’annoncer que tu as une nouvelle bague ? ».
« Mais qu’il est con ! Philippe a fait sa demande le week-end dernier ! ».
« En mariage ? ».
« Non, en divorce ! ».
« Déjà, après deux mois à peine ? ».
« Oui, je sais, c’est rapide, mais c’était une évidence entre nous. Je n’ai jamais été aussi bien avec un gars. Et Dieu sait que j’ai fait un certain nombre de crash tests… et puis, au pieu… ».
« Ok, ok, j’ai compris ! je suis très content pour vous, pour toi ».
Je me lève et je m’approche d’elle pour lui refaire la bise et la serrer fort dans mes bras.
« Je vais me marier mais ça ne doit rien changer à notre relation. Tu seras toujours mon petit cousin adoré et je serai toujours là pour toi ».
« J’espère ».
« Tu peux y compter ».
« Vous allez vous marier quand ? ».
« Au printemps ».
« C’est génial ».
« Je sais que c’est un peu tôt, mais j’ai un truc à te demander ».
« C’est quoi ? ».
« Je ne me vois pas proposer à quelqu’un d’autre que toi d’être mon témoin ».
Je suis tellement touché que j’en perds mes mots.
« M-m-moi ? » je finis par bégayer.
« Oui, oui, toi. Tu es la personne dont je suis la plus proche, et tu es un gars formidable ».
« J’accepte avec plaisir ».
« Et il est bien évident que le témoin préféré de la mariée est invité à venir accompagné du gars qui le rend heureux ».
« Si seulement je pouvais te dire que ce sera possible ».
« Ca le sera peut-être d’ici-là ».
« J’aimerais bien ».
« Cool. C’est une affaire qui roule, alors. Sinon » elle enchaîne sans transition « je crois savoir que demain est un jour spécial pour toi ».
« Mon anniversaire… ».
« Tiens » fait-elle, en sortant de son grand sac un paquet cadeau coloré et en me le tendant.
« Je t’ai offert un peu de lecture. J’ai découvert cette saga il y a deux ans et j’ai vraiment accroché » elle m’explique pendant que je défais le paquet. Je découvre alors un coffret contenant trois livres en format poche.
Harry Potter à l’école des sorciers.
Harry Potter et la chambre des secrets.
Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban.
J’ai bien sûr entendu parler de cette saga. Mais je ne me suis pas encore penché sur le sujet. J’attendais la sortie du premier film qui est annoncée pour la fin de cette année.
« Merci beaucoup ma cousine ».
Je ne le sais pas encore, mais je suis à la veille de découvrir une saga prenante et qui me tiendra en haleine pendant près de 10 ans, jusqu’au dernier tome et jusqu’au dernier film.
« Ourson ».
Un peu plus tard dans la soirée, un nouveau coup de fil de mon bobrun vient égayer mon présent.
« P’tit loup ».
Et là, petit loup me raconte qu’il a été reçu par le président du club, qui lui a glissé une grande enveloppe avec un contrat mentionnant un très bon salaire et d’autres avantages. Comme par exemple un appartement payé par le club, et dont il prendra possession dans quelques semaines.
« Et tout ça pour foutre quatre coups dans un ballon ! » il s’extasie.
« Fais gaffe à toi, Jérém. Tu te souviens des mots de Daniel, à Campan ? Fais gaffe à ne pas te blesser ».
« Yes, ourson ».
« T’es sorti avec tes nouveaux potes, hier soir ? ».
« Oui, on a un peu fait la fête. Heureusement qu’aujourd’hui je n’avais pas entraînement. Ils sont sympas, mais, putain, qu’est-ce qu’ils sont fêtards ! ».
Je prends sur moi pour ne pas lui demander comment ça s’est passé, s’il a été sage. Je ne veux pas l’agacer. Et pourtant, à chaque fois qu’il me parle de ses nouveaux potes, je ressens comme une piqûre au ventre. Je pense à la promiscuité des vestiaires, aux regards, aux envies que cela peut faire naître, aux douches, aux corps qui s’effleurent, aux envies que cela peut faire grandir.
« Tu me manques, p’tit loup » je tente de me rassurer.
« Toi aussi, toi aussi ».
Le vendredi, je passe mon temps à essayer de tuer le temps. Jérém me manque de plus en plus.
Thibault aussi me manque. Je ne sais pas pourquoi, mais ce matin je me suis réveillé avec la conviction qu’il m’appellerait. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais cette intuition. Je crois que j’ai rêvé de lui cette nuit.
En me levant, j’ai repensé à toutes les fois où nous avions pris un verre ensemble, où il m’avait soutenu, où il m’avait conseillé pour mieux comprendre mon bobrun. J’ai repensé à sa douceur, à sa bienveillance, à sa droiture. Je n’arrivais pas à croire que ça se terminerait de cette façon. J’ai attendu son coup de fil pendant toute la journée, en me donnant des créneaux probables. Midi, l’heure du repas, 18 heures, la fin probable de ses entraînements, 20 heures, le repas du soir, après 20 heures et jusqu’à minuit, la soirée. Chacun de ces « créneaux » est venu et est passé sans que rien ne se passe. J’ai souvent regardé mon téléphone, mais il est resté muet. Pendant la soirée, le moment où il aurait pu difficilement me dire une fois de plus « je suis pas mal occupé » ou « je dois y aller » j’ai eu envie de faire un nouvel essai, de le rappeler. Je n’ai pas eu le courage. Il m’a bien fait comprendre qu’il n’avait pas envie de me voir. Et, certainement, qu’il n’avait non plus envie que je l’appelle.
J’ai également passé ma journée à attendre le coup de fil de Jérém. Je me doutais que je n’aurais pas de ses nouvelles pendant la journée. Jérém n’est pas très « sms ». L’écriture c’est pas vraiment son truc. Je le vois au fait qu’il met des plombes à répondre à mes messages, je le vois au fait qu’il préfère appeler plutôt qu’écrire. J’imagine que pendant la journée il n’a pas trop le temps de passer des coups de fil. Ces contacts espacés créent un manque de plus en plus fort. Mais je sais que je ne peux rien y faire.
Alors, j’ai pris mon mal en patience et j’ai attendu le soir pour entendre sa voix. J’ai attendu, longtemps. A 22 heures, toujours pas de coup de fil de Jérém. Je décide de l’appeler.
Il ne répond pas. Je tombe sur sa messagerie. Rien que sa voix enregistrée me fait vibrer et m’excite. Ça m’inquiète aussi. Pourquoi il ne m’a pas appelé ce soir ? Je laisse un message qui finit par « Rappelle-moi, tu me manques trop p’tit loup ».
Une heure plus tard, toujours pas de nouvelles. A minuit non plus. Je me dis qu’il a encore du sortir faire la fête avec ses potes. Comme hier soir déjà. Mais ce soir, il a oublié de me donner de ses nouvelles. Je ne peux m’empêcher de me demander si ses nouveaux potes sont déjà en train de l’éloigner de moi.
Je finis par m’endormir, pour la première fois sans nouvelles de mon Jérém depuis Campan.
Lorsque je me réveille le lendemain matin, samedi, de bien bonne heure, je trouve un message envoyé à 2h36.
« J’ai bu un coup avec pote, je rentre là ».
Me voilà à la fois rassuré et inquiet. Il ne lui est rien arrivé, c’est le plus important. Mais en même temps, me voilà pris de court par les évènements. A peine il débarque sur Paris, il s’est déjà fait de nouveaux potes, avec qui il sort, il fait la fête, avec qui il va forcément croiser des nanas. Et ces nouveaux potes, ils sont comment ? Est-ce qu’ils sont tous hétéro purs et durs ? De toute façon, Jérém est le genre de bogoss atomique capable de susciter bien de vocations, le genre de bogoss capable de rendre l’hétérosexualité une notion bien mouvante, rien qu’en le côtoyant. Alors, en le voyant à poil dans un vestiaire…
Quant à Jérém, il connaît désormais très bien le plaisir entre garçons. Il a franchi le pas avant moi, et avec moi, il a exploré une vaste palette de cette sexualité. Il assume de plus en plus ses envies. Est-ce qu’il saura résister à la tentation masculine à laquelle il sera confronté ? « Je ne suis pas pd, moi ». Ça a bon dos. Il a quand même couché avec Thibault, son meilleur pote, non ?
Arrête ça, Nico, tout de suite. Julien a raison, si tu commences à cogiter comme ça, tu vas devenir fou. Il est juste sorti prendre un verre pour ne pas rester seul dans son coin. Il est naturel et sain qu’il se fasse de nouveaux potes, surtout parmi les gars avec qui il va partager l’aventure du rugby pro.
J’attends 8 heures pour lui envoyer un message.
« Bonjour le fêtard, ça va ce matin ? »
Une minute plus tard, le téléphone sonne.
« Bonjour, Ourson, ça va ? ».
Ça me fait plaisir d’entendre sa voix. Même si elle est pâteuse et traînante, comme s’il avait la gueule de bois.
« Bonjour, ça va, oui. C’est toi qui as l’air fatigué… ».
« Laisse tomber, les gars c’est de vrai fous. Ils n’en avaient jamais assez. Je suis rentré très tard. Je suis complètement en vrac ».
Puis, il enchaîne, sans transition :
« Bon anniversaire Nico ».
Sur le coup, je suis surpris.
Depuis mon réveil, je n’avais même pas encore percuté qu’on était samedi et que je fêtais mes 19 ans. Mais Jérém y a pensé. Il y a pensé, putain, il y a pensé ! Mon cœur se vide instantanément de toutes les pensées négatives d’un instant d’avant et se remplit d’une joie intense.
« Merci, Jérém, merci beaucoup ».
Je suis ému aux larmes.
« Tu vas faire la fête ? » il me questionne.
« Non, je n’ai rien prévu. Je pense que maman fera un gâteau ».
« Si j’étais là, je te ferais bien la fête ».
« Je ne dis pas que je n’en ai pas envie… ».
« Putain, moi aussi j’ai trop envie… ».
« Rien que d’entendre ta voix j’ai envie de te faire jouir ».
« T’es un petit coquin, toi… ».
« Pas plus que toi… ».
« Qu’est ce que c’était bon à Campan ! » je l’entends soupirer.
« Je ne te le fais pas dire ! Je te ferais bien une petite gâterie là ».
« Je suis presque à la bourre, là. Il faut que je me lève, que je prenne ma douche. Il faut que j’aille à l’entraînement ».
J’ai envie de prendre la douche avec lui.
« J’espère que ça va aller ».
« Ca va aller, aujourd’hui je vais juste faire de la muscu ».
Soudain, rien que le fait de l’imaginer en débardeur en train de transpirer en soulevant de la fonte me fait bander. J’ai les tripes en feu à force d’avoir envie de le faire jouir. D’autant plus que l’image de la salle de muscu me renvoie à un souvenir des plus torrides avec mon Jérém.
Je bande instantanément.
« Tu te souviens du soir où tu m’as fait venir à la salle de muscu au terrain de rugby ? ».
« Oh que oui… ».
« Le soir où tu m’as baisé la bouche sur la table du développement couché, en prenant appui sur la barre ».
« C’était excitant à mort ».
« Et après une cigarette, tu m’as pris sur la table de massage ».
« Je me souviens très bien, c’était booooooon !!! ».
« Putain que oui, c’était bon ! » je confirme.
C’était l’époque où sa tendresse me manquait à en crever. Une époque où le cœur du bobrun me semblait totalement inaccessible. Ah, putain, mais c’était aussi l’époque où je n’étais que son objet sexuel, où il me baisait comme et quand l’envie lui en prenait, sans apparemment se soucier de mes envies à moi. L’époque où je découvrais la puissance de sa virilité, son incroyable endurance, ses attitudes de petit macho à la queue bien chaude. J’ai envie de sa queue. J’ai envie de le faire jouir. J’ai envie de son jus de petit mâle. Je bande dur. Je me caresse. J’ai envie de me branler. Je ne peux pas m’en empêcher. Je sens que je vais devoir aller au bout.
« T’es un sacré mec, toi… un sacré mâle… qu’est-ce que tu m’as fait jouir depuis qu’on couche ensemble… » je commence à le chauffer, alors qu’une idée saugrenue traverse mon esprit.
« Tu me fais vraiment de l’effet. Et ton petit cul, c’est le pied ».
« Tu l’aimes, mon cul, hein ? ».
« Laisse tomber, rien que d’y penser je bande ».
« Qu’est-ce que tu as envie de lui faire à mon petit cul ? ».
« De bien le secouer et de lui gicler dedans… ».
J’adore l’entendre dire ça. Je ne m’en lasse pas. « Bien le secouer et lui gicler dedans ». D’autant plus que je ressens dans sa voix une excitation grandissante. J’ai envie de lui, j’en crève. Et son envie à lui décuple encore la mienne. Rien qu’en entendant sa voix, son excitation, sa façon de me parler de son envie d’être « le mâle », c’est comme s’il était en moi en train de me limer. Mon trou se contracte, un frisson d’excitation y prend naissance et se propage dans tout mon corps. Sept cents bornes nous séparent, et pourtant ce beau mâle arrive presque à me baiser par téléphone interposé. Je suis à lui.
« T’es encore au lit ? » je le questionne.
« Oui, pourquoi ? ».
« Tu es nu ? ».
« Presque ».
« Tu portes quoi ? ».
« Un débardeur ».
« Blanc ? ».
« Oui ».
« Tu dois être sexy à mort ».
« Je pense » il lâche, coquin.
Mon excitation grimpe en flèche.
« Tu bandes ? ».
« Oui ».
« Bien dur ? ».
« Tu connais ma queue ».
« Elle doit être raide comme un piquet ».
« Pire que ça ».
« Tu te branles ? » je le questionne.
« Il se pourrait… ».
« Qu’est ce que j’ai envie de la toucher ».
« Moi j’ai plutôt envie que tu la suces ».
« J’en crève d’envie ».
« Tu te branles aussi ? ».
« Grave ! ».
« Tu me ferais quoi si t’étais là ? » il me questionne à son tour.
« Je te sucerais jusqu’à te rendre fou, je prendrais ton gland bien au fond de la gorge, comme tu aimes ».
« Ah oui… ».
Je sens que son excitation grimpe de seconde en seconde, d’échange en échange. Alors j’insiste, je le chauffe à bloc.
« Et puis je le lècherais les tétons ».
« Hummmmmm ».
« Et les couilles, tout en te branlant ».
« Aaaahhhhh ».
« Et aussi le trou ».
« Oooohhhh ouiiiiii ».
« C’est bon, ça, hein ? » je le cherche.
« Laisse tomber, tu me fais mouiller le gland ».
« J’ai bien envie de goûter à ça ».
« J’ai bien envie de sentir ta langue jouer avec mon gland ».
« Je ne me ferais pas prier ».
« Et après ? » il veut savoir, alors que ses ahanements me donnent la mesure de son excitation extrême.
« Après, je t’offrirais mon cul. Parce que je sais que tu as envie de lui gicler dedans ».
« Oh que oui… ».
« Si tu étais là tu jouirais dans mon cul ? ».
« Oh oui, mais d’abord dans ta bouche parce que sinon ça va venir trop vite ».
« J’avalerais tout ».
« C’est bon ça… ».
« Et après tu pourrais me prendre ».
« Et sentir ton cul bien chaud qui enserre ma queue ».
« Et me remplir… ».
« Et te remplir le cul, oui… oh… oui… ».
Soudain, j’entends ses ahanements s’emballer.
« Je vais jouir » il m’annonce, la voix déjà cassée par l’orgasme ravageur.
« Fais toi plaisir » je lâche, ne pouvant faire autre chose que lui donner ma bénédiction. J’aimerais tellement au moins le voir jouir, faute de pouvoir le faire jouir. Mais le fait de n’avoir que le son de son orgasme, le fait de l’entendre jouir au téléphone, d’entendre ses râles de plaisir est quand même terriblement excitant.
« C’est malin, j’en ai foutu partout sur le torse, jusqu’au cou » il lâche, après un instant de silence.
Soudain, j’imagine sa peau mate, ses abdos, ses pecs, brillants de son sperme odorant et chaud, les poils du torse humides.
Je me branle toujours.
« Quel gâchis ! J’ai envie de tout lécher ».
« Je te laisserais bien faire… même si tout ça serait bien mieux dans ta bouche ou dans ton cul ».
« Ca c’est clair ! ».
J’ai tout juste le temps de terminer ma phrase lorsque je ressens une onde de plaisir prendre naissance dans mon bas ventre, se propager dans mon corps, embraser chacune de mes fibres et submerger ma conscience. Et mon torse reçoit à son tour de bonnes traînées de sperme chaud.
« T’as joui aussi ? » il demande.
« Oui ».
« On est fous ! ».
« C’était trop bon ».
« C’est vrai. Mais ce serait tellement mieux en vrai ».
« Je sais. En tout cas, c’était un beau cadeau pour mon anniversaire ».
« Je ne t’ai même pas offert de vrai cadeau ».
« Tu m’en as fait plein. Ton coup de fil la semaine dernière pour m’inviter à Campan était un énorme cadeau. Les quelques jours à Campan, les plus beaux de ma vie, c’était un autre, immense cadeau. Et ta chaînette ».
« Tu la portes toujours ? ».
« Oui, bien sûr ! ».
« Tu l’aimes bien, hein ? »
« Je l’aime trop. Quand je la sens glisser sur ma peau, j’ai un peu l’impression d’être avec toi, et que tu es avec moi. Et que tu es… en moi… ».
« Me tarde de te voir ».
« A qui le dis-tu ».
« Il faut que j’aille à la douche maintenant ».
« Bonne douche alors, et bonne journée ».
« A toi aussi, ourson ».
« Je t’aime, p’tit loup ».
Je viens de raccrocher et je sens remonter en moi la douce fatigue, l’apaisement total qui suit l’orgasme. Je laisse mon corps en profiter, je laisse chacun de mes muscles se détendre. J’essuie mon torse, je tire les draps. Je me laisse glisser vers un délicieux sommeil matinal déclenché par le plaisir. Ça fait du bien de commencer la journée en jouissant. Même si je préférerais 10.000 fois commencer la journée rempli de sa virilité et de son sperme.
J’ai le sourire aux lèvres. Parce que ce petit partage sensuel à distance, parce que les mots de Jérém m’ont rassuré quant au fait que les bonnes ondes de Campan résistent à la distance. Par ce coup de fil, j’ai retrouvé exactement le même Jérém que j’ai laissé trois jours plus tôt. Il lui tarde de me revoir. Je suis bien. Je suis heureux. Et je m’endors comme un bébé.
Lorsque j’émerge, il est presque 10 heures. Sur mon tél, un message de ma cousine :
« Bon anniversaire, cousin ! ».
« Bon anniversaire ! » m’accueille maman lorsque je la rejoins dans la cuisine.
Je passe la matinée à écouter de la musique et à avancer mon récit sur mon séjour à Campan. Je prends un plaisir fou à essayer de faire revivre sur papier ces jours inoubliables, à transcrire les répliques, à décrire les personnalités de ces gens hors du commun qui m’ont tant touché. Mais ce qui me donne le plus de plaisir, c’est de raconter les gestes, les mots, les regards, les attitudes, l’amour de mon Jérém. Je veux fixer ces souvenirs, je ne veux pas les laisser s’effacer de ma mémoire. Un peu plus tard dans la journée, j’aurais des photos. Mais il n’y a que les mots pour retranscrire mes états d’esprits, mes ressentis, mon bonheur.
Midi arrive très vite, on déjeune à 13 heures. Maman a fait un gâteau à la meringue, garni de grains de grenade et de groseilles. Mon préféré. Il était délicieux. Je suis un garçon comblé. Presque gâté. Lorsque je sors de table, il est l’heure du rendez-vous avec mes souvenirs photographiques.
[Les paragraphes qui suivent contiennent à nouveau des expériences que notre époque à oubliées. Alors, enjoy-it, lol].
A 14 heures pétantes, je franchis la porte du magasin. Je file au comptoir photo. Je m’impatiente pendant que la nana parcourt les dizaines d’enveloppes en attente sans trouver la mienne.
« Je crois qu’elles ne sont pas prêtes, il faudra repasser mardi ».
« Mardi ? » je demande, ahuri.
Mais putain, mardi c’est dans trois jours, c'est-à-dire une éternité, je ne vais pas pouvoir attendre jusqu’à là. Mais c’est même bien pire que ça ! Lundi soir je pars à Bordeaux et je ne pourrai passer les chercher que dans deux semaines au mieux ! La déception et la frustration s’emparent de moi. Je ressens du dépit, du désespoir, de la tristesse. Je ne vais pas pouvoir tenir jusqu’à là ! Au secours !
« Vous êtes sûre qu’elles ne sont pas arrivées » j’insiste.
« Attendez… ah, si, les voilà ».
Putain, tu pouvais pas mieux regarder d’entrée, et éviter de me faire une frayeur ?
Elle me tend la précieuse enveloppe avec un geste machinal. Comme si elle me passait un chiffon sale, et non pas un objet d’une valeur inestimable.
« Génial. Merci beaucoup ».
Je l’attrape et le simple contact avec l’enveloppe, son poids dans mes mains me rendent déjà heureux.
« Sinon, si vous voulez des photos instantanées, nous avons des appareil Polaroïd. Et au rayon électronique, ils ont de nouveaux appareils numériques ».
« Non, merci, j’aime bien les vraies photos. Bonne journée ».
Je sors du magasin en vitesse, impatient de découvrir le résultat. Impatient de revoir mon Jérém. Je me pose sur un banc de la place Wilson. J’essaie d’ouvrir l’enveloppe, mais mon impatience me rend la tâche plus difficile que prévu.
J’y arrive enfin, et je sors le petit paquet de photos avec un soin extrême, comme s’il s’agissait d’un objet sacré.
Et là, paf, première claque, je tombe sur une photo de mon Jérém à cheval, le torse droit comme un I, une façon bien virile de tenir les rênes, le regard concentré, le sourire aux lèvres. Beau comme un dieu. Je feuillète, les mains tremblantes.
Quelques photos de paysage, magnifiques. Une autre photo de Jérém, en train de brosser Unico. Il est légèrement penché en avant, le biceps visible bien bandé, tirant dangereusement sur la manchette de son t-shirt gris un peu souillé, les cheveux bruns en bataille, la chaînette qui était encore la sienne pendant dans le vide, le regard fixé sur son étalon. Le bogoss en mode nature, en mode campagne, en mode montagne. Loin du mec toujours bien soigné de Toulouse, c’est le bogoss sans artifices. Simplement et naturellement beau, comme une évidence.
Une autre photo de Jérém à cheval, complètement ratée.
Une autre, prise pendant la première soirée au relais de l’asso de cavaliers. Jérém est à côté de Charlène, un sourire magnifique sur son visage.
Encore une photo floue de Jérém. Grrrrr !!!
Deux photos « à oreilles », des paysages signés par la présence des extrémités poilues de ma monture. Encore Jérém à cheval, sexy à mourir, qui regarde l’appareil, et celui qui a pris la photo (moi, en l’occurrence) d’un regard doux et touchant.
Encore des paysages.
Le tas de photos à découvrir s’amoindrit dangereusement. Mais pourquoi j’ai fait autant de photo de paysages ? Pourquoi je n’ai pas fait plus de photos de mon Jérém ?
C’est là que je tombe sur LA photo qui me tire les larmes. Jérém et moi, à cheval, l’un à côté de l’autre.
Notre toute première photo ensemble. Et en plus, elle est très belle. La lumière est époustouflante, les couleurs magnifiques, la mise au point parfaite. C’est la plus belle de toutes. Je ne suis peut-être pas objectif, mais pour moi, c’est la plus belle de toutes. Jérém est souriant, il a l’air vraiment bien. Et moi, je suis fou de bonheur. C’était le plus beau moment de ma vie. Ça transpire de la photo, ça crève les yeux. Je ne peux retenir mes larmes.
Des larmes dont l’intensité monte encore au fil des photos suivantes. Car Charlène n’en a pas fait qu’une, elle en a fait trois, comme pour bien immortaliser ce beau moment. Trois photos, identiques à quelques détails près, comme des variations sur un même thème de bonheur absolu. Merci Charlène, merci infiniment. Soudain, je me sens bête de ne pas avoir pensé à demander le numéro de Charlène, j’aurais vraiment voulu la remercier et lui envoyer le double de quelques unes de ces photos.
Me voilà désormais l’heureux possesseur d’une poignée de photos de mon Jérém. Au final, la moisson photographique n’a pas été mauvaise. Je retourne dans le magasin pour laisser les négatifs pour un deuxième tirage. J’offrirai ces photos à mon Jérém à la première occasion où nous nous reverrons. Il me tarde !!!
J’ai passé le reste de la journée à essayer d’imaginer à chaque instant ce que mon bobrun est en train de faire. Est-ce qu’il est sur le banc de muscu ? Est-ce qu’il déconne avec ses nouveaux potes ? Est-ce qu’ils le matent ? Est-ce qu’il les mate ? Qu’est-ce qu’il va faire ce soir ? Sortir encore ? Où ? Est-ce qu’il va se faire draguer par des nanas ? C’est inévitable. Est-ce qu’il va savoir dire non ? Est-ce que Julien a raison, qu’il faut laisser faire et juste exiger qu’il se protège ? Le fait est que nous n’avons pas parlé de cela. Comment en parler, d’ailleurs ? Sujet délicat, et auquel je n’ai même pas pensé dans le bonheur de Campan. Dans ma naïveté, je me disais qu’on saurait nous attendre sagement. Mais Julien m’a ouvert les yeux. De toute façon, c’est facile à comprendre et à concevoir. Une bombasse comme Jérém, lâché dans la jungle sexuelle parisienne, au milieu de requins et surtout de requines, est une « proie » de choix. Comment j’ai pu être aussi naïf pour croire qu’il tiendrait ?
Oui, j’aurais lui parler de protection, de capote. Je pourrais lui en parler au téléphone. Mais comment aborder le sujet sans paraître relou ? De plus, j’ai l’impression que lui en parler, serait comme lui donner le feu vert pour qu’il vive des aventures. D’un autre côté, le fait de ne pas lui en avoir parlé, c’est ne pas savoir à quoi m’attendre.
Je tente de me rassurer en me disant que je pense qu’il va se protéger, il m’a dit qu’il se protégeait. Je me souviens de sa capote volée de son jeans le dernier jour où il était venu chez moi, avant qu’on se bagarre, lorsqu’il m’avait avoué qu’il couchait avec une nana mais « qu’il se protégeait ». Je me souviens que le fait d’apprendre qu’il se protégeait m’avait fait une belle jambe. Le fait de savoir qu’il couche ailleurs, même avec capote, m’avait brisé le cœur. Et même aujourd’hui, malgré les mots très sensés de Julien, lorsque j’essaie d’imaginer mon bobrun coucher ailleurs, même avec une capote, j’ai le ventre en feu et je ressens une colère sourde mais dévorante s’emparer de mon esprit et de mon corps.
Voilà des idées qui monopolisent mon esprit ce samedi après-midi-là.
Heureusement, de temps à autre, d’autres pensées remontent à ma conscience.
Des pensées plaisantes, comme le souvenir de l’annonce du mariage de ma cousine, et le marque de sa grande considération à mon égard en me demandant d’être son premier témoin. Ça me touche vraiment.
En rentrant à la maison, je montre les photos à maman.
« Tu as fait du cheval ! ».
« C’était génial ! ».
Lorsqu’elle tombe sur les photos de Jérém et moi, elle me dit :
« Vous êtes beaux tous les deux. Et vous êtes bien ensemble, vous avez l’air tellement heureux ! ».
« Ça se voit tant que ça ? ».
« Ça crève les yeux ! ».
A 18 heures, je reçois un coup de fil de mon pote Julien. Il m’invite à sortir le soir même, avec lui et d’autres potes à lui ».
« On va se faire une virée au Shangay pour fêter ton départ pour Bordeaux ».
« Je vous paierai un coup à boire, c’est mon anniversaire ».
« Alors il faut faire la fête ! ».
« C’est clair ! ».
Comme il n’y a personne en boîte de nuit avant minuit, la soirée commence dans un bar du centre-ville. Mon pote Julien est sur son 31, avec une petite chemise blanche avec le col et les bords des pans de couleur bleue, bien ajustée à son torse, les deux boutons du haut ouverts sur la naissance de ses pecs, un beau jeans délavé, des chaussures de ville, le bronzage impeccable, le sourire ravageur. Bref, élégant, charmeur et excessivement sexy.
Et puisque l’une des lois régissant l’Univers, du moins le mien, est celle selon laquelle « le bogoss attire des potes bogoss », ses deux potes ne sont plutôt pas mal non plus. Vraiment pas mal. Jérôme, c’est un blond un peu costaud, mais drôle et charmant. Quant à Adil, c’est un bon spécimen de ce que la reubeuterie peut offrir de sexytude un peu sauvage et fort virile. Et pourtant, son apparence dégage une certaine douceur, tout comme ses gestes, sa façon de parler et le ton de sa voix. En fait, ce gars est à la fois très mec et puits à câlins.
Autour des bières, j’écoute les potes discuter de voitures, de nanas, de foot. Que des sujets qui me passionnent. Me voyant un peu à part, Julien décide de porter un toast à mes études à venir à Bordeaux. Et là, à ma grande surprise, le bogoss Adil me demande quel cursus je vais suivre. Lorsque je mentionne le cursus de Sciences de la Terre et de l’Environnement, il me répond qu’il est en troisième année en sciences naturelles. Alors, pendant que Julien et Jérôme discutent entre eux, Adil me raconte son entrée à la fac, il me parle de ses rencontres, de sa passion pour les études, de comment il a dû se battre pour suivre cette voie alors que sa famille le poussait à bosser dès la fin du lycée. Il me parle de ses difficultés, de son manque de temps pour les études à cause du boulot de livreur qu’il est obligé de garder en parallèle pour payer ses frais.
Son récit me donne la mesure de la chance qui est la mienne. Je n’aurais pas besoin de bosser pour me payer la fac. Du moins pas les premières années. Alors qu’il y a plein d’étudiants qui y sont obligés.
Je lui pose des questions sur la vie à la fac, il me répond généreusement. C’est génial de pouvoir partager l’expérience des autres. Ça m’aide à appréhender plus sereinement la nouvelle vie qui sera la mienne dans tout juste 48 heures.
Adil me parle aussi de ses projets futurs, une Maîtrise pour être enseignant et/ou chercheur. Il vise haut le beau gosse. J’aime beaucoup son parcours d’études et de vie. Adil est très sympa et il a l’air d’un mec bosseur, droit dans ses baskets. Je ressens de l’admiration pour ce gars.
Il est environ 23h30, nous sommes toujours en train de discuter, lorsque quelque chose d’inattendu se produit. Mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Mon cœur fait un sprint de 80 à 1000 bpm en une fraction de secondes. Je n’ai pas besoin de regarder le petit écran pour savoir qui essaie de me joindre.
Jérém. Je ne m’attendais pas à qu’il m’appelle ce soir, et encore moins à cette heure. Je laisse vibrer, jusqu’à ce que la vibration s’arrête. Et alors que Julien entraîne Adil dans une nouvelle conversation, j’en profite pour sortir dans la rue et rappeler mon bobrun.
« Ourson ! » je l’entends s’exclamer, en guise d’accueil affectueux.
« Petit loup ! ».
« Tu dormais déjà ? ».
« Non… ».
« Tu fais quoi ? ».
« Je suis sorti prendre un verre ».
« Seul ? ».
« Non ». Et là je prends peur. Je réalise que Jérém m’a déjà fait une sorte de scène de jalousie au sujet de Julien. Si je lui dis que je suis avec lui et ses potes, il va s’imaginer des choses qui ne sont pas vraies. J’ai peur qu’il croie que je vais voir ailleurs. Je suis bien placé pour savoir comment la distance peut exacerber la jalousie. Je ne veux pas qu’il se pose des questions et qu’il y réponde en prenant de la liberté de son côté. Alors, je choisis d’arranger un peu la réalité. Un petit mensonge sans conséquence est parfois préférable à une vérité qui peut soulever des doutes.
« Je suis sorti prendre un verre avec ma cousine » je me prépare à lui dire.
Mais je n’ai pas le temps d’énoncer mon petit arrangement avec la réalité, je viens tout juste de prononcer le mot « avec » que j’entends dans mon dos la voix de Julien, bien claire et portante m’annoncer :
« Allez Nico, gourre, on file au Shangay… ah pardon… t’es au téléphone… ».
« C’est qui ce mec ? » j’entends illico Jérém me questionner. Me voilà soudainement mis en porte à faux.
« C’est… Julien… le moniteur d’autoécole ».
« Celui que j’ai croisé avec toi l’autre soir ? ».
« Non, non, non, non, pas du tout. Lui je ne veux plus le revoir. C’est l’autre moniteur, le blond, celui qui m’a fait toutes les leçons de conduite. Tu l’as vu une fois qu’on s’est arrêtés au feu devant la brasserie à Esquirol ».
« Tu fous quoi avec lui ? ».
« Il m’a invité prendre un verre avec ses potes à lui ».
« Et il te veut quoi ? ».
« Rien, rien du tout. On est amis, c’est tout. Je te promets. J’ai bien le droit de faire une virée avec un pote… comme toi avec tes nouveaux potes ».
« Et avec ton pote tu vas au Shangay ».
Eh oui, il y a ce facteur « aggravant » dans l’histoire. Le Shangay est une boîte avec un espace dédié aux gays. Et Jérém le sait. Vu de l’extérieur, et à distance, ça fait louche, en effet.
Je sens que Jérém fait la gueule. Je sens presque le bruit de ses questionnements.
« Je vais au Shangay pour danser et boire un coup. Je ne vais pas y aller pour draguer ».
« J’espère ».
« T’inquiète pas, c’est toi que j’aime, c’est de toi que j’ai envie ».
« Je vais sortir moi aussi ce soir ».
« Je ne veux pas que tu penses à mal. Ce mec est hétéro à 200%. Et même s’il était gay, je n’ai pas envie de coucher avec d’autres que toi. Il ne faut pas que tu sois jaloux ».
« Je ne suis pas jaloux ».
« Je serai sage, je t’attendrai, Jérém ».
« Je l’espère ».
« Tu seras sage aussi ? ».
« On verra » fait-il sur un ton moqueur.
« Ne rigole pas stp. Tu seras sage ? ».
« Ouiiiiiiiii » il finit par lâcher, sur un ton agacé.
« J’ai envie de te serrer contre moi ».
« Moi aussi ».
« Tu me manques ».
« Toi aussi ».
« Je t’aime petit loup ».
« Ne fais pas de bêtises ».
« N’en fais pas non plus ».
D’une part, sa jalousie me fait peur, car elle pourrait le motiver à faire de mauvais choix de son côté. Mais d’autre part, qu’est-ce que ça fait du bien de savoir qu’il tient à moi !
Au Shangay, nous nous rendons évidemment dans la salle « hétéro ». Dès notre arrivée, Julien se met à draguer à tout va. Rien qu’avec le regard. Pétillant, coquin et charmeur. Et avec le sourire. Ravageur, magnétique, hypnotisant. Il a une facilité à aller vers les nanas, ou plutôt, à attirer les nanas vers lui, qui est époustouflante. Son sourire, à la fois solaire et carnassier, est un véritable aimant à gonzesses. On dirait mon Jérém six mois plus tôt, le soir où il a emballé deux nanas pour un plan à quatre avec son pote Thib.
Une demi-heure après notre arrivée, nous sommes assis à une table, en compagnie de plusieurs nanas. Comme d’habitude, Julien joue les clowns, il fait son pitre, il est drôle, il fait rire tout le monde. Son pote Jérôme lui donne la réplique et les nanas sont conquises. On dirait un couple comique. « Il y en a un qui épluche les oignons et l’autre qui pleure » aurait dit Coluche. Adil, quant à lui, est plus discret, plus réservé. Mais non moins sollicité par les nanas.
La présence de toutes ces nanas ne m’enchante pas. Ce n’est plus la même ambiance qu’au bar de tout à l’heure. Là-bas, on était entre mecs, il n’y avait pas tant de musique, on s’entendait parler sans avoir besoin de crier. Et surtout, les mecs étaient en mode « soirée entre potes », alors que là ils ont basculé en mode « drague du samedi soir ». Et si je pouvais me connecter à eux dans la première configuration, il m’est impossible de le faire dans la deuxième.
Une nana dont je n’ai même pas retenu le prénom commence à me parler, et très vite elle me pose des questions sur ma vie sentimentale. Je n’ai pas trop envie de causer. Et surtout pas de ma vie intime. Je n’ai pas la force de mentir non plus. Le petit échange avec Jérém de tout à l’heure m’a un tantinet perturbé. Mon esprit est happé par cet « impair » dont les conséquences me font peur. Je ne veux pas perdre sa confiance, parce que je veux pouvoir lui faire confiance.
Malgré mes réponses en format monosyllabique, la nana ne se décourage pas. Elle est collante. Je ressens clairement que si je voulais, ce soir je pourrais la mettre dans mon lit. Mais je ne veux pas. C’est la première fois qu’une nana me montre autant d’intérêt. Oui, c’est génial de se sentir désiré. Même quand le désir n’est pas réciproque. Mais bon, au bout d’un moment, elle commence à m’agacer.
Je crève d’envie de lui crier que j’aime les mecs. Mais je me dis que ça ne servirait à rien. Elle n’a pas besoin de savoir.
Il est une heure. Je décide d’aller danser pour me changer les idées. La nana me suit sur la piste. Elle se colle à moi. J’essaie de garder mon espace vital, elle n’en a rien à faire, elle me marche sur les pieds. Sa présence m’agace. D’autant plus que son parfum m’écœure. Autant j’aime les parfums de mec. Autant les parfums de fille, surtout quand ils sont trop insistants, je ne peux pas.
J’ai envie de me barrer. Je cherche un prétexte pour lui signifier mon départ en la décourageant de proposer quoi que ce soit pour la fin de la soirée. Elle essaie de m’embrasser. Je m’esquive.
« Je crois que je vais y aller ».
« Qu’est-ce qu’il y a, je ne te plais pas ? ».
Depuis quelques minutes, j’ai repéré au bord de la piste de danse un beau reubeu, très bien foutu, le regard viril, terriblement sauvage, limite agressif. Son visage est entouré d’une belle barbe brune bien fournie, remontant bien haut sur les joues. Il porte une chemise blanche, les manches retroussées au-dessus de ses coudes, les deux boutons du haut ouverts, laissant dépasser une belle pilosité brune. Le mec dégage une puissance brute de mâle par laquelle je me sens attiré comme une aiguille par un aimant puissant, une puissance par laquelle mon instinct primaire me donne envie d'être secoué, défoncé et rempli jusqu'à plus de jus. Ce mec me fait terriblement penser au reubeu que j’avais maté une fois en boîte de nuit jusqu’à qu’il repère mon manège et qu’il vienne vers moi avec un air tellement menaçante qu’il m’avait poussé à prendre les jambes à mon cou. J’ai appris de mes erreurs, mes regards sont plus discrets ce soir.
Alors, avec ma chieuse de nana, je choisis de jouer la carte de la vérité.
« Tu vois ce mec là, avec la chemise blanche ? ».
« Tu le connais ? ».
« Non, mais c’est le genre de mec que je kiffe à mort ».
« Ah mais tu es pd ».
« Gay ça me va mieux ».
« Ah, c’est pour ça que tu ne veux pas de moi ».
« Certes. Mais aussi parce que tu es trop casse-couilles » je faillis lui balancer.
Au lieu de quoi, je me limite à un :
« Je vais vraiment y aller, là, je suis naze ».
Je la plante au milieu de la piste et je passe dire au revoir à Julien et ses potes.
« Donne des nouvelles quand tu es à Bordeaux ».
« Je n’y maquerai pas ».
« Et quand tu passes sur Toulouse, sonne-moi ».
« Ok, merci beaucoup, merci pour tout ».
« De rien mon pote » fait-il, avec un grand sourire, en me serrant dans ses bras. Ah putain, comment ses pecs sont saillants et son parfum captivant !
« Et si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas » il ajoute.
« Merci. Toi aussi, si tu as besoin de quelque chose ».
« Bon courage petit mec »
« Au revoir Julien ».
Définitivement, ce gars est quelqu’un de vraiment adorable.
Avant de quitter le Shangay, je ne peux m’empêcher de jeter un dernier regard au beau reubeu à la chemise blanche. Et de me dire que ce qui me fascine chez ce genre de mecs typés, c’est la façon dont ils dégagent une virilité brute, incarnée avec une intensité inouïe.
Mais il y a aussi parmi eux, des mecs avec des origines maghrébines, des gars comme Adil, des mecs tout aussi virils, mais avec une tête à bisous.
Je rentre très vite à la maison. Pendant le trajet, puis dans mon lit, je me demande toujours et encore ce que Jérém est en train de faire. Si ce soir je me suis fait draguer par une nana, il doit se faire draguer par dix nanas. Est-ce qu’il va tenir bon ?
« Je suis rentré. Je pense très fort à toi ptit loup ».
Voilà le texte du sms que je décide de lui envoyer pour le rassurer, pour me rassurer.
Il est 4 heures lorsque je regarde mon téléphone pour la dernière fois. Et toujours pas de réponse de Jérém. Mais qu’est-ce qu’il est en train de faire ?
Le dimanche matin, je me réveille à 8 heures. Autant dire qu’après uniquement 4 heures de sommeil, je ne suis pas au top de ma forme. Et pourtant, impossible de me rendormir. Toujours pas de message sur mon téléphone. Je commence à m’inquiéter. Julien avait raison. Si au bout de quatre jours de distance j’en suis déjà à ce stade de cogitations, qu’est-ce que ça va être dans deux semaines, dans quelques mois ? Il a raison, ça va me bouffer. Je devrais arrêter d’y penser. Mais je n’y arrive pas.
9 heures. J’ai trop envie de l’appeler. Il est trop tôt. Qui sait à quelle heure il est rentré. Déjà que le soir d’avant il est rentré à 2h30 du mat ! Il doit dormir. Pourvu qu’il soit rentré seul…
10 heures, envie de l’appeler, 11 heures, c’est toujours trop tôt. Je ne veux pas le réveiller.
Midi arrive, déjeuner en famille. Une heure trente, est ce que je vais oser l’appeler ? Non, pas encore.
C’est sur le coup de 15 heures que je trouve enfin le courage de composer son numéro. Et je tombe direct sur sa messagerie. Tout comme à 16 heures. Et à 17 heures. Putain, mais qu’est-ce qu’il fout ?
Putain, mais pourquoi j’ai accepté de sortir en boîte avec Julien ? J’ai peur de l’avoir blessé, peur qu’il croit que je couche ailleurs et qu’il se sente autorisé à coucher ailleurs.
J’aurais du rester à la maison hier soir. Il n’y aurait pas eu d’embrouille. Je sais que ce sont des considérations stupides. Je ne peux pas m’empêcher de vivre. D’autant plus que lui aussi est sorti. Et c’est bien normal. Doute et confiance, deux plats d’une balance à équilibre instable.
Je fais une dernière tentative à 20 heures. Et là, mon Jérém décroche enfin.
« Oui… » il répond. Pas d’« ourson » cette fois-ci. Quelque chose a changé.
« Salut petit loup, ça va ? ».
« Je suis naze ».
« J’ai essayé de t’appeler cet après-midi ».
« J’avais le téléphone éteint ».
« Tu as fait quoi ? ».
« J’ai dormi jusqu’à trois heures et je suis sorti manger un bout et faire un tour. Je n’étais jamais monté à Paris ».
« Cool. Et hier soir, c’était bien ? ».
« On a beaucoup picolé ».
« Ah ».
« Et toi, tu t’es amusé avec ton pote ? ».
« C’est un gars vraiment sympa. Mais au Shangay il a dragué trop de nanas et je suis parti assez tôt. T’as vu mon message ? ».
« Oui ».
Je le sens crispé.
« J’ai été sage, tu sais. Je me suis fait draguer par une nana mais je l’ai envoyée bouler » je tente de le rassurer.
Je lui parle des photos que j’ai récupérées dans l’après-midi. Ce qui me donne l’occasion de reparler de certains moments de Campan. Et là, je sens mon Jérém se décrisper peu à peu. Il évoque des souvenirs à son tour, nous retrouvons notre complicité petit à petit. Je suis ému. Car cette complicité est la joie la plus grande de ma vie. Sans elle, je serais bien malheureux.
« J’ai un mal au crâne terrible » il m’avoue « il faut que j’arrête de sortir autant ».
Son ton est rassurant, je pense que lui aussi a été sage.
Lundi 17 septembre 2001.
Le lundi, je me réveille de bonne heure. C’est le grand jour. Ce soir je pars pour Bordeaux. Ce soir, commence ma nouvelle vie d’étudiant de fac. Ce soir, je vais prendre possession du petit meublé que je n’ai vu qu’en photo à l’agence. Ce soir je vais me retrouver seul entre quatre murs en terre inconnue. Je vais dîner seul, je vais m’endormir seul. Sans mon Jérém. Et sans la rassurante proximité de mes parents. Je suis à la fois excité et mort de peur.
Je passe la matinée à faire mes valises, et à remplir ma petite voiture. En fait, c’est un petit déménagement. Maman me charge de vivres, comme si je devais tenir un siège de plusieurs mois. La nourriture est l’une des voies principales empruntées par les mamans pour montrer leur amour.
Il est deux heures, je suis en train de ranger la dernière valise dans ma voiture, lorsque mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Je le sors vite m’attendant un appel surprise de mon bobrun. Mais une surprise de taille m’attend lorsque je regarde le petit écran indiquant avec insistance :
« Thibault ».
Mon cœur fait là aussi un sprint digne de la fusée Ariane. Je n’arrive pas à croire qu’il m’appelle. Soudain, j’ai les mains moites, le souffle court. Mais je ne peux pas rater l’occasion. Je dois répondre. Je prends une profonde inspiration et je décroche.
« Salut Thibault ».
« Salut Nico, ça va ? ».
« Bien et toi ? ».
« Ça va. Alors, tu te prépares à partir ? ».
Il a retenu que je pars ce soir à Bordeaux. Ce mec est vraiment incroyable.
« Oui, je viens de ranger la dernière valise dans ma voiture ».
« T’as le temps de faire un saut chez moi pour un café ? ».
« Quand ? Vers quelle heure, je veux dire… ».
« Maintenant si tu veux ».
« J’arrive ».
Vers le 15/02
Life is a journey, not a destination.
La vie est un voyage, pas une destination.