28 Octobre 2022
Depuis que sa récupération est enfin sur de bons rails, depuis que son attitude laisse deviner qu’il recommence à croire en la perspective de retrouver son niveau sportif d’avant, Jérémie s’intéresse à nouveau au rugby. Il regarde les matches du Stade à la télé, je les regarde avec lui. Il est heureux de voir son équipe gagner et se qualifier, mais il bout à l’intérieur de ne pas pouvoir apporter sa contribution à cette belle épopée sportive. Il regarde aussi les matches de l’autre Stade. Et il est tout aussi heureux de voir l’équipe de Thibault faire un très beau parcours et se qualifier également.
Cette saison, les deux Stades du Top 16 ne sont jamais dans la même poule, ni dans la phase de classement, ni dans celle de qualification. Ce qui fait que leurs chemins ne se croisent que dans la grande finale du Top16.
Le match le plus attendu de la saison est fixé au 7 juin au Stade de France.
— Putain, le Stade de France, en plus ! Le Stade de France ! s’emporte Jérém, l’air à la fois emballé, excité, impressionné et terriblement frustré.
Je sais qu’une telle finale, Stade Français contre Stade Toulousain, ça le fait rêver, ça le fait bander même. Car c’est une finale qui lui aurait enfin permis de jouer un match de championnat, le plus prestigieux de tous, qui plus es, face à son ami d’enfance, dans ce lieu démesuré. Alors, la perspective de ne pas pouvoir être présent sur le terrain, de rater ce grand moment sportif, lui plombe sacrément le moral.
Samedi 07 juin 2003, Stade de France.
Le match doit démarrer à 14 heures. Mais une bonne heure avant le coup de sifflet, l’immense enceinte commence à être bien remplie et à devenir bruyante, démonstrative, vivante, vibrante, impressionnante.
Jérém a été invité à suivre le match, et il a été installé sur le banc de touche pour être au plus près de l’action. Curieux paradoxe que ce placement qui le met au plus près de cette action, tout en lui rappelant sans cesse à quel point il en est loin.
Quant à moi, Ulysse a pu me trouver une place en Tribune Bas Ouest.
Quelques minutes avant le début du match, les écrans géants du stade affichent mon Jérém en gros plan. Qu’est-ce qu’il est beau en costume, chemise blanche et cravate ! Il est à la fois très élégant, mais aussi terriblement sexy dans son style particulier, un style qui consiste à porter la chemise ouverte de deux boutons en haut, la cravate lâche, une dégaine rappelant des ambiances de fin de soirée arrosée et de relâchement de mœurs. Si je m’écoutais, j’irais le sucer sur le champ.
En même temps, les béquilles posées à ses côtés me font mal au cœur. Et la vulnérabilité qui se dégage de cette image, d’un joueur mis sur le banc de touche par une sale blessure, un joueur au moral cassé, le rend à mes yeux terriblement touchant. Si je m’écoutais, j’irais le prendre dans mes bras sur le champ.
Le commentateur parle de Jérémie et de son accident, « nous lui souhaitons de retrouver le chemin du terrain de jeu pour bientôt ».
Cet après-midi, la pelouse du Stade de France reçoit la fine fleur du rugby français. Deux Titans du championnat s’affrontent. Le choc est brutal. Le match est serré. Je n’ai que rarement vu Thibault jouer, mais je le trouve très tactique, fin stratège, il semble toujours avoir au moins deux coups d’avance sur tout le monde. Thibault est un facilitateur d’actions, on dirait que le jeu des Toulousains gravite autour de lui. Son jeu est à son image, adroit, futé et respectueux.
Je peux juste imaginer ce que Jérém ressent pendant ce match, lorsque les points sont marqués par son équipe ou par celle de Thibault. Il doit se sentir terriblement frustré. Vers la fin de la première mi-temps, la caméra refait un plan sur Jérém et sur ses béquilles. Jérém les tient désormais dans ses mains, comme s’il était à deux doigts de se lever et partir. Il a l’air dépité, dégoûté.
Le beau brun finit par lever le regard et il se voit sur les écrans. L’image qu’il voit de lui ne doit pas lui plaire. Avec un geste un brin agacé, il repose les béquilles à côté de lui.
Les actions se suivent, les points s’enchaînent. Les deux forces en présence sur le terrain sont toutes deux aussi remarquables. Mais il ne faut qu’un seul gagnant.
Au coup de sifflet final, le score affiché est de 32-18 en faveur du Stade Français. L’équipe de Jérém a gagné et la caméra fait un long plan sur Ulysse et sa belle crinière blonde, sur son visage en nage mais heureux, elle le montre en train d’échanger des accolades à répétition avec ses coéquipiers, mais aussi avec ses adversaires.
La caméra montre ensuite d’autres joueurs. Mais elle revient vite sur Ulysse. Et l’image qu’elle va montrer, me remue les tripes et m’arrache les larmes. Le beau blond au maillot bleu traversé par deux éclairs rouges a filé droit vers Jérém, et il est en train de le serrer très fort dans ses bras. Jérém est en larmes et son coéquipier lui caresse les cheveux, il pose des bisous sur son front. Un instant plus tard, un autre joueur, avec un maillot aux couleurs rouge et noir, s’incruste dans l’image. Thibault est là, et Ulysse lui cède sa place sur le champ. L’accolade entre les deux potes d’enfance est tout aussi émouvante, et elle dure longtemps, alors que le commentateur parle des deux champions toulousains, dont l’un très malchanceux, lui souhaitant une nouvelle fois un prompt rétablissement.
Je réalise que le stade est en train de scander « Tommasi ! Tommasi ! Tommasi ! ». Le stade ovationne mon beau brun et lui tire d’autres larmes. Non, Jérém n’a pas joué aujourd’hui. Mais il s’est quand même payé une sacrée démonstration d’affection, d’amitié, d’amour.
Quelques minutes plus tard, les joueurs parisiens soulèvent le bouclier de Brennus. Ulysse est tout proche de Jérém et le soutient lorsqu’il est obligé d’abandonner ses béquilles pour soulever le trophée que ses coéquipiers veulent à tout prix partager avec lui. L’image est belle, et terriblement émouvante.
Sur le bord du terrain, à proximité des entrées des joueurs, je reconnais Maxime. Je savais qu’il viendrait assister au match, et il n’est pas venu seul. Mr Tommasi est là aussi. Ils attendent certainement que l’équipe gagnante quitte le terrain pour aller à la rencontre de Jérém.
Maxime me voit et me fait signe d’approcher. J’accepte son invitation, malgré quelques réticences à approcher son père après l’accident diplomatique à l’hôpital, après qu’il a découvert que Jérém et moi n’étions pas que de simples amis. Je me dis que s’il est venu, ce n’est pas pour faire la guerre à Jérém, et que l’intense émotion du moment le mettra dans de meilleures dispositions vis-à-vis de moi.
Lorsque j’arrive près d’eux, Maxime me fait la bise et me prend dans ses bras. Je tends la main à Mr Tommasi, il la saisit. Et là, j’ai la surprise de sentir son bras m’attirer contre lui, et de recevoir la bise de sa part.
— Salut, Nico.
— Bonjour, Monsieur.
— Je te dois des excuses, Nico. J’ai été trop con avec Jérém et toi à l’hôpital. Je suis vraiment désolé.
— Ne vous en faites pas, c’est oublié.
— Je te dois aussi une fière chandelle. Maxime m’a dit tout ce que tu as fait pour mon fils. Alors, merci, Nico, merci infiniment !
— Je n’ai fait que ce que le cœur m’a dit de faire.
— Alors ton cœur a été sage, plus sage que ne l’a été le mien.
Les joueurs de l’équipe gagnante quittent enfin le terrain. Jérém avance à son rythme, qui est celui de ses bras et de ses béquilles. Il est escorté par l’adorable Ulysse. Maxime et son père se dirigent vers lui. Maxime le prend dans ses bras en premier. Et son père, en fait de même dans la foulée.
La suite de cette journée si riche en émotions est un grand dîner dans un restaurant parisien. Autour de la table, en plus de Jérém, Papa et moi, Ulysse et Thibault qui ont pu s’échapper pendant une partie de la soirée aux programmes mondains de leurs équipes respectives, Maxime et son père, mais aussi Thierry et Thomas, qui ont eux aussi fait le déplacement pour la finale.
Jérém est comme ivre de toute cette avalanche d’affection qu’il a reçue en une seule journée.
La conversation tourne longuement autour de la finale. Thibault et Ulysse détaillent les actions, échangent leurs ressentis, ils les comparent aux impressions des quelques spectateurs présents à ce dîner. Non seulement les deux demi de mêlée affichent une belle complicité, mais aussi un humour des plus vifs et joyeux. Thibault ne semble en rien affecté par la défaite de son équipe. C’est un garçon intelligent, et il sait que le Stade toulousain n’a pas démérité aujourd’hui. C’est aussi un vrai sportif, qui sait que l’important dans le jeu, c’est le jeu, pas la victoire.
Jérém les écoute, mais je vois bien qu’il se tient en retrait. Je sais à quoi il pense, et je sais que malgré toute l’affection qu’on lui a témoignée, cette finale vécue en costard cravate demeure une plaie béante pour lui.
— J’aurais tellement aimé être sur le terrain, cet après-midi ! il finit par lâcher.
— On se retrouvera l’année prochaine, en finale, et on vous mettra une sacrée raclée, fait Thibault, en provoquant Jérém et Ulysse.
— Le jour où vous allez jouer l’un contre l’autre, nous autres on ne va pas savoir pour quel stade courir ! plaisante Thierry.
— N’importe quoi ! On est Toulousains, et le cœur d’un Toulousain ne peut battre que pour l’équipe de sa ville natale… il n’y a qu’un seul Stade, enfin !
— C’est vrai, il n’y a qu’un Stade, celui de la capitale ! fanfaronne le beau blond. Et personne ne peut gagner contre le seul et l’unique !
— T’as qu’à croire ! le mouche Thibault.
— On a gagné cette année alors que Jérém a raté une bonne partie de la saison… alors, l’année prochaine, quand il sera de retour, je vous raconte pas les dégâts !
— J’espère seulement pouvoir revenir !
— Moi je ne l’espère pas, moi j’y compte. Je courais beaucoup moins quand tu étais sur le terrain ! lance Ulysse.
— Moi aussi j’y compte, ajoute Thibault. C’est moins marrant de jouer en pensant que toi tu te fais chier en rééducation.
Il est près de minuit lorsque cette belle soirée prend fin, lorsque ce beau comité se sépare. Thibault et Ulysse sont appelés par leurs troisièmes mi-temps respectives. Mr Tommasi accuse le coup du voyage en voiture après un départ au petit matin depuis Toulouse. Maxime doit retrouver sa copine chez une amie à elle. Thierry et Thomas semblent quant à eux bien décidés à profiter de tout ce que peut leur apporter la nuit parisienne.
Jérém et moi rentrons à l’appart. Nous sommes en train de nous câliner lorsque la sonnette déchire le silence nocturne. Jérém referme sa braguette, il reprend ses béquilles et se dirige vers l’entrée.
— Je n’avais pas envie de faire la fête avec l’équipe. J’avais envie de passer un peu plus de temps avec vous deux, nous explique l’adorable Thibault.
Jérém a l’air content que son pote soit là. Je suis content aussi, car je sais à quel point la présence de Thibault peut faire du bien à mon beau brun.
Autour d’une bière, la conversation entre Thibault et Jérém tourne autour de la pression psychologique dans le rugby professionnel, une pression pour la performance qui a été amenée par la professionnalisation.
— L’argent est partout, et il prend beaucoup trop de place, commente Thibault. Le besoin de gagner à tout prix fait perdre le plaisir simple du jeu, et provoque un jeu plus violent, plus dangereux. Il est important que les joueurs en prennent conscience, et que le respect de l’intégrité physique de tout le monde, y compris les adversaires, soit la priorité absolue.
Jérém a l’air vraiment touché par la présence et l’affection de son pote. Je suis soulagé qu’il ait bien pris ce qui s’est passé entre Thibault et moi en début d’année. Le beau pompier aussi avait été soulagé quand je lui avais dit que j’avais tout raconté à Jérém et qu’il ne s’en était pas offusqué.
Cette nuit, c’est Thibault qui prend les choses en main. C’est lui qui embrasse Jérém en premier, qui le caresse, le déshabille. C’est lui qui glisse sa main dans son boxer, qui le branle doucement.
Cette nuit, Jérém laisse Thibault venir en lui. C’est la première fois que je vois Jérém s’offrir à un autre gars que moi. C’est tellement beau de voir Jérém enveloppé par la virilité de Thibault. C’est tellement beau de voir deux si beaux garçons se faire du bien, s’offrir mutuellement du plaisir !
En m’approchant de près de ce magnifique spectacle, avec mes yeux, mes mains, mes caresses, mes lèvres, mes baisers, ma langue, mon désir, je suis enivré par les tièdes effluves virils, par le bonheur sensuel qui se dégagent de cette étreinte entre ces deux splendides Dieux Mâles.
Cette nuit, chacun de nous s’offre aux autres, chacun de nous possède l’autre à tour de rôle. Nous empruntons des chemins de plaisir encore jamais sillonnés, nous explorons de nouvelles voies de sensualité. Il n’y aucune réticence, aucune jalousie, aucune possessivité, juste l’envie d’être bien entre potes, une communion d’Etres qui s’aiment de la façon la plus pure et plus belle qui soit, celle qui consiste à être comblé en faisant du bien à l’autre.
Et lorsque je me retrouve allongé sur le lit, entre les deux mâles repus, assommés de plaisir, je sens qu’une immense tendresse perdure entre nous, une tendresse qui se manifeste avec des câlins, des caresses, des baisers, des petites conversations légères, une belle complicité, des confidences, des rires.
Juin 2003.
A partir du lundi qui a suivi la finale du championnat de rugby et cette nouvelle nuit magique en compagnie de Thibault, la rééducation de Jérém reprend de plus belle. Pendant deux semaines, les progrès sont encourageants. Jérém est d’une humeur sereine, voire joyeuse.
Par ailleurs, nous faisons l’amour aussi souvent que nous le pouvons. C’est à dire, aussi souvent que je peux dormir avec lui. C’est-à-dire à chaque fois que l’équipe de Laetitia est de garde, soit quatre fois par semaine.
Il m’arrive également de le sucer vite fait entre midi et deux. Qu’est-ce que c’est bon de retrouver sa virilité bouillonnante, conquérante. Et cette étincelle de fierté masculine dans son regard !
Juillet 2003.
Début juillet, la rééducation en piscine s’alterne avec celle sur vélo d’entretien articulaire. Peu à peu, le tapis de marche est introduit dans le protocole de rééducation. Durant la deuxième quinzaine de juillet, Jérém est autorisé à marcher sans béquilles. Le premier essai pour se mettre debout sur le seul appui de ses jambes est un moment très émouvant. Au début, il n’est pas très confiant. Il fait la grue. Il tremble sur sa jambe valide, comme si elle était en coton. Il manque de peu de perdre l’équilibre, le kiné le rattrape de justesse.
— Faites-vous confiance, Mr Tommasi, l’encourage son kinésithérapeute, la cicatrisation est terminée et parfaitement réussie, là vous ne risquez plus rien.
Progressivement, la marche en extérieur est introduite dans le protocole. Un coach l’accompagne, et Jérém accepte que je me joigne à eux pendant les sorties. Des sorties dont la durée augmente chaque jour et qui se passent la plupart du temps sur la promenade qui donne sur le spectacle majestueux offert par l’océan.
Oui, la rééducation marche plutôt bien, et tout semble se dérouler pour le mieux. Et Jérém se montre de plus en plus reconnaissant vis-à-vis de ma présence et de ma persévérance à ses côtés.
Août 2003.
En ces premiers jours du mois d’août, la progression de sa reprise de mobilité semble ralentir, et Jérém a très vite l’impression de faire du sur place. Ce qui provoque chez lui la remontée de vieilles inquiétudes, une nouvelle perte de confiance, et une nouvelle baisse de moral. Sa motivation vis-à-vis de son protocole de rééducation faiblit à nouveau.
Je sais que Jérém fait aussi face à un autre gros sujet d’inquiétude, celui concernant le renouvellement de son contrat pour la saison à venir. L’actuel se termine à la fin du mois, et personne ne l’a contacté pour lui proposer une rallonge. Il semblerait que la direction de l’équipe attende de voir la progression de sa rééducation pour prendre une décision. En gros, si le jouet Tommasi est irréparable, ils vont le laisser sur le bord de la route comme une épave. L’agent de Jérém est aux abonnés absents, ce qui ne fait qu’amplifier toute cette incertitude, toute cette inquiétude.
Mon beau brun se fait à nouveau plus taciturne. Mais ses accès de colère ne reviennent pas pour autant. Malgré son air soucieux, il se montre toujours aussi respectueux et reconnaissant vis-à-vis de moi.
Son découragement, il l’intériorise. Et ce n’est pas mieux. A la limite, je préférerais qu’il passe ses nerfs sur moi un bon coup, qu’il le regrette juste après, qu’il culpabilise, et que ça le fasse rebondir !
Je le pousse à tenir bon, à continuer à aller aux séances de kiné et aux exercices. Je le pousse à être patient, à ne pas baisser les bras. Mais son abattement est coriace.
Alors, je cherche à le faire réagir, par tous les moyens, y compris la provocation.
— Je trouve que tu baisses les bras trop facilement. Montre-moi que tu as des couilles !
— Avec tout ce que je te mets, tu es bien placé pour savoir que j’en ai !
— Oui, tu as des couilles pour me sauter, ça c’est sûr ! Mais est-ce que tu as des couilles pour tenir le coup ? Est-ce que tu as des couilles pour continuer à poursuivre tes rêves, même si c’est dur et que tu ne vois pas encore le bout du tunnel ?
Puisque la fin semble justifier les moyens, rien ne m’arrête, pas même le chantage affectif.
— Montre-moi que tu as envie de te battre, montre-moi que je n’ai pas passé les trois derniers mois avec toi pour rien !
Avant, j’aurais pris sur moi, car j’aurais eu peur de me faire jeter (Casse-toi !), ou de me faire lancer des mots blessants à la figure (Je ne t’ai jamais demandé de rester avec moi !).
Au fond, ce risque existe toujours. Mais c’est devenu un risque calculé. Je sens que j’ai désormais une cote, une confiance, une estime auprès de Jérém qui me permettent de lui parler franchement sans craindre de me faire jeter comme un malpropre. Jérém sait que j’ai raison, il prend sur lui et il maîtrise sa colère. Ce qui ne l’empêche pas d’exploser par moments :
— Tu fais chier !
Quand rien d’autre ne marche, j’ai aussi appris à le travailler au chantage sexuel. Un jour, excédé par son manque de motivation, je lui balance :
— Si tu ne vas plus chez le kiné, je te suce plus !
— Tu ne tiendrais pas deux jours ! relance le petit con.
Ça, c’est vrai, il a parfaitement raison. Mais je ne m’avoue pas vaincu pour autant.
— J’ai bien tenu six mois, c’est pas quelques jours de plus qui vont me faire vaciller ! je bluffe.
— T’es vraiment qu’une salope ! il me balance, mi agacé, mi amusé.
— Allez, file à ta séance, sale gosse ! Et si tu es sage, quand tu reviens, je te lèche tout ce que tu veux, autant que tu veux !
Ce jour-là, Jérém est parti à ses séances. Ce soir-là, je l’ai fait jouir comme un malade.
Lundi 11 août 2003.
Au vu de l’avancement de la rééducation de Jérém et de sa récupération physique, mon beau brun est autorisé à quitter le Centre pendant deux semaines pour prendre des vacances et se changer les idées.
Je suis tellement content que la récupération physique de mon beau brun avance bien, qu’il remarche enfin sans béquilles. Certes, il a gardé de ses accidents, une légère boiterie. Mais j’ai l’impression que c’est surtout psychologique, comme une façon de se protéger contre la crainte de refaire des dégâts, de cette peur qu’il n’arrive pas à se sortir de la tête.
J’ai bon espoir que ces quelques jours de vacances vont lui faire du bien.
Nous partons de Capbreton le lundi matin, moi au volant de sa belle allemande, Jérém à la place passager.
C’est marrant cette inversion des rôles. A l’époque de nos révisions, j’étais monté quelques fois en voiture avec Jérém. Je me souviens avec émotion et un certain émoustillement de certains retours de boîte de nuit dans sa 205 rouge, direction l’appart de la rue de la Colombette. A l’époque, je n’avais pas encore le permis. Jérém était au volant, et moi à la place passager.
Il fumait en conduisant. C’était dangereux certes, mais terriblement sexy. Le regarder conduire m’impressionnait. Inconsciemment, je trouvais que cette image de Jérém tenant le volant de sa voiture et contrôlant la direction de sa voiture était une analogie de ce qui m’attendait une fois arrivé à destination, le bonheur de lui laisser au pieu aussi le contrôle de la direction à suivre, de le laisser imposer ses envies, de me faire baiser jusqu’à ce que sa queue lui en tombe. Alors, oui, le regarder conduire m’excitait énormément.
La 205 rouge sera à tout jamais associée dans mon esprit à ces premières révisions, à ces nuits, à ces retours de boîte de nuit, à ce sexe animal avec un Jérém dominant et macho qui me faisait jouir à m’en rendre dingue, mais qui me refusait toute forme de tendresse.
D’ailleurs, je crois bien que c’est un peu dans sa nature de se comporter en mâle dominateur, d’être fier de sa queue et du plaisir qu’elle peut lui offrir, et offrir à ses partenaires. Hier soir encore, après avoir bu quelques bières, il m’a bien fait comprendre qui était le mec dans notre pieu. Et c’est lorsqu’il se lâche, notamment après un peu d’alcool ou un joint, lorsqu’il montre cette nature, ce côté un brin animal qu’il me rend complètement dingue.
Et après de délicieux jeux sexuels, je redouble désormais mes effusions de tendresse. Des effusions qu’il reçoit avec bonheur et qui arrivent parfois même à remplacer la cigarette dont auparavant il ne pouvait en aucun cas se passer après nos ébats.
Je suis tellement heureux d’avoir réussi à mettre en phase le Jérém amant fougueux et le Jérém sensible, tendre et attentionné.
— Je m’habitue bien à avoir un chauffeur, je l’entends me glisser, me tirant ainsi de mes cogitations.
— Je veux être ton chauffeur toute ma vie, tu m’embauches ?
— Avec plaisir !
— Je serais ton chauffeur et tu me paierais en nature… tu me donnerais autant de primes que tu voudrais !
— Petit coquin, va !
— Plus que ça !
— T’es une bonne salope, toi !
— Et comment !
La première étape de notre summer trip est la Ville Rose. Quand je leur ai annoncé que je partais quelques jours en vacances avec Jérém, Papa et Maman ont insisté pour que nous passions à la maison.
— T’es sûr que ce n’est pas une embuscade ? plaisante Jérém. Ton père ne va pas profiter du fait que je ne peux pas courir vite pour m’attraper et me casser la figure ?
— Désormais, mon père te vénère. Tu es son joueur préféré. Et aussi son beau-fils préféré.
— Il n’a pas le choix, je suis le seul !
— Oui, mais il t’adore. Et depuis ton accident, il prend régulièrement de tes nouvelles.
A la maison, Jérém est reçu non seulement comme un roi, mais surtout comme un membre de la famille. Papa se montre très aimable, et plein d’affection. Il se renseigne sur l’avancement de sa rééducation, et sur son moral. Il ne le lâche pas d’une semelle et il ne tarit pas de compliments au sujet de son début de saison qu’il qualifie de « brillant » et « spectaculaire ».
— J’ai hâte de te revoir sur le terrain. Tu as une belle carrière devant toi ! Le Stade doit être heureux de tes progrès à Capbreton !
— En fait, je n’en sais rien. Mon contrat arrive à échéance fin août, et c’est toujours silence radio…
— Ton contrat sera renouvelé, tu verras. Ils ne vont pas laisser filer un joueur comme toi.
— Je ne me fais pas trop d’illusions. Ils ont des piles de CV de bons joueurs prêts à être embauchés, et qui n’ont pas un genou et une cheville rafistolés…
— Certainement. Mais dans ces CV, les joueurs comme toi il n’y en a pas des masses. Tu as un don, tu es fait pour ça. Tu as le rugby dans le ventre. Beaucoup de mecs savent jouer au rugby. Mais peu d’entre eux savent jouer comme des champions. Et toi, tu joues comme un champion.
Jérém est visiblement touché par l’estime, le soutien, la bienveillance, la confiance en sa récupération que Papa vient de lui témoigner.
Nous passons à table, et Maman est au petit soin pour tout le monde, et en particulier pour Jérém. Elle a mis les petits plats dans les grands et nous a concocté un repas de fête. Dans mon cœur réchauffé par tant d’amour, une évidence s’affiche : Papa, Maman, je vous aime comme un fou !
Puisque nous passons la nuit à Toulouse, à la maison (bien évidemment, nous n’avons pas pu refuser), une bonne soirée entre mecs s’impose. Thibault, Thierry, Thomas, Maxime sont de la partie, ainsi que d’autres gars de l’ancienne équipe amateur de Toulouse.
La soirée démarre au restaurant. Et au bout de quelques verres, c’est ambiance troisième mi-temps. Les joyeux lurons installent une belle complicité virile rythmée par de bonnes tranches de franche rigolade. C’est beau de voir des garçons qui prennent du bon temps.
Jérém est évidemment la vedette de la soirée, et les questions fusent au sujet de ses premiers mois au « Stade Parigot », comme ils le surnomment, ainsi qu’au sujet de sa récupération.
Mon bobrun se fait évidemment tanner avec cette histoire de pouffiasse dans les journaux. Chacun y va de sa vanne : « Même à Paris, il fallait que tu te fasses remarquer », « Tu as raison, montre-leur qu’à Toulouse on en a des grosses », « Ta bite à tête chercheuse a encore frappé », et j’en passe et des meilleures.
Bon, allez, je ne dis rien, je les laisse fantasmer. Je trouve très marrant ce décalage entre l’illusion qu’on prend pour la réalité et la réalité cachée derrière l’illusion. D’autant plus que le sourire en biais que Jérém me lance, un sourire amusé et un tantinet malicieux, me fait comprendre qu’il se dit la même chose.
La soirée se poursuit ensuite dans ce temple de la vie nocturne hétérosexuelle toulousaine qu’est la Bodega. La Bodega, dont les toilettes ont été le théâtre d’une bonne pipe dispensée à mon bobrun. C’était il y a deux ans déjà, pendant la soirée qui fêtait la fin du bac. Tous nos camarades étaient là en train de faire la fête, et moi j’offrais à mon beau brun son premier orgasme de la soirée. Le premier, car il n’avait absolument pas été le dernier. Ce soir-là, un retour de boîte de nuit en 205 et un passage par l’appart de la rue de la Colombette m’attendaient…
Jérém et ses potes font quelques parties au billard. Je suis également invité à jouer. Ça me fait énormément plaisir, car jamais on ne m’avait invité à jouer au billard. Un seul hic, je ne sais pas jouer. Mais cela est vite rattrapé par la bienveillance de Thibault et de Jérém qui me montrent les rudiments du jeu avec une patience et une pédagogie qui me touchent énormément. Chance du débutant assurément, j’arrive même à marquer quelques points. Mon équipe, celle que je forme avec Thibault, finit même par gagner face à celle de Jérém et Thierry, même s’il est évident que les points marqués par mon coéquipier d’un soir ont été clairement déterminants.
Au bout de quelques parties, deux de nos acolytes quittent le groupe pour aller discuter avec d’autres gars. Jérém est reconnu par un mec et très vite entouré par une petite foule. Le groupe se disperse.
Les bières commencent à faire de l’effet, et je dois partir aux chiottes. Ces dernières étant désertes, je fais mon affaire à l’urinoir. C’est lorsque je me poste devant le lavabo pour me laver les mains que la porte battante qui donne accès aux toilettes s’ouvre d’un coup bien énergique, et que mon beau brun apparaît.
— Viens ! il me lance, alors qu’il se dirige tout droit vers une cabine.
Ah putain ! Ça fait toute la soirée que le souvenir de cette soirée passé me hante. Ça m’excite et me fait bander. Mais je me disais que, si ça se trouve, Jérém ne s’en souviendrait même pas. Et pourtant, si ! Je me disais que jamais il n’oserait ! Et pourtant, si !
J’ai tellement envie de lui offrir le premier orgasme de sa soirée, comme il y a deux ans ! Mais cette fois-ci, à ma grande surprise, c’est lui qui se met à genoux en premier devant moi. Il me suce, avec un entrain et une fougue qui m’excitent au plus haut point. Je sens très vite mon plaisir monter, et l’orgasme approcher. Je pose mes mains sur ses épaules, je me retire de sa bouche.
Un instant plus tard, Jérém est debout, et il défait sa braguette. Je suis déjà à genoux, et je baisse son boxer. Je prends en bouche sa queue tendue et je le pompe avec un bonheur immense.
Comme la dernière fois, des gars viennent pisser dans les urinoirs à côté. Dans un souci de discrétion, je ralentis mes va-et-vient sur sa queue, jusqu’à presque les arrêter. Mais le bobrun n’est pas de cet avis. Il pose sa main sur ma nuque et il imprime le mouvement qu’il exige de moi. Cela m’excite terriblement. Je recommence à le pomper avec une énergie de dingue. Mais je n’ai pas besoin d’aller bien loin. Ses giclées chaudes et puissantes atterrissent dans ma bouche, son goût de jeune mâle tapisse ma bouche, et ravit mes sens comme une petite ivresse.
Jérém vient en moi, et me branle pour me faire jouir. Et avant de se retirer, il attrape mon menton, il retourne ma tête contre lui et m’embrasse avec une fougue qui me touche énormément.
Cette nuit-là, nous dormons à la maison. La fatigue se fait sentir et nous ne recommençons rien de sexuel. Nous nous contentons d’un peu de tendresse, du bonheur de s’endormir dans les bras l’un de l’autre.
Mardi 12 août 2003.
Papa et Maman voudraient que nous restions un jour de plus, mais nous ne pouvons pas. Les vacances de Jérém sont limitées, et le programme qu’il a prévu est très chargé. Très beau, mais très chargé. Les étapes sont nombreuses, nous allons passer une frontière, et nous éloigner de Toulouse de plus de 1500 bornes.
La prochaine étape de notre trip, c’est la mer. Le soleil nous accompagne sur l’autoroute vers l’Aude.
Je n’arrive pas encore à croire que nous en sommes enfin là, que je conduis la voiture de Jérém et que nous allons passer deux semaines ensemble. C’est la première fois que nous passons autant de temps rien que tous les deux. Ce sont nos premières vacances, en dehors des escapades magiques à Campan, nos premières vacances en amoureux.
Je mesure la distance parcourue entre nos premières « révisions », cette période où Jérém s’entêtait à me voir comme un défouloir de ses envies sexuelles refoulées, et cet instant où, après nous être séparés, après avoir passé tant de mois difficiles, nous partons en vacances ensemble. Et ça me donne le vertige.
Jamais mon Jérém ne m’a autant touché. Ce garçon a ravi mon cœur et m’apporte un bonheur immense. J’ai besoin de le toucher pour être sûr que cela n’est pas un rêve. Je pose ma main sur sa cuisse, il tourne aussitôt la tête vers moi, il me regarde. Et il me sourit. Puis, il se penche vers moi et il pose un bisou dans mon cou. J’ai envie de pleurer de bonheur.
Dès la sortie d’autoroute, un Concerto en C majeur nous attend. « C », comme cigales. Un concert à la fois monophonique et symphonique, une boucle répétée à l’infini pour souhaiter la bienvenue aux vacanciers dans cette région de vacances. Un Concerto pour nous annoncer qu’on y est presque, que la mer est proche, et que dans quelques minutes les pieds toucheront le sable et l’eau salée.
Je retrouve avec émotion les étangs de Gruissan, le massif de la Clape, ce paysage sauvage composé de forêts de pins méditerranéens, de garrigue, de roche affleurante, de vigne, de soleil. Et de cigales. Je suis comme toujours fasciné par ce terroir de caractère, cet environnement sec et caillouteux, difficile pour l’Homme, mais d’une beauté époustouflante.
Tant de souvenirs remontent en moi. Mes étés d’enfance, lorsque je venais à Gruissan avec Elodie et ma marraine, sa maman. Puis, mes étés d’adolescent, lorsqu’Elodie et moi avons commencé à venir seuls. Je me souviens des longues heures sur la plage, glissées entre baignade, bronzette, lectures diverses, discussions avec Elodie sur les sujets les plus divers, et les bonnes tranches de rigolade. Et aussi, évidemment, ces longs moments à laisser mon regard vagabonder à la recherche de la beauté masculine, à regarder les petits mecs sur la plage. Au début, je culpabilisais. Je ressentais un sentiment de honte. Je ne comprenais pas ce qui se réveillait en moi. Puis, j’ai dû me rendre à l’évidence. Regarder les garçons m’apportait un bonheur immense, un émoustillement certain, et une frustration tout aussi immense de ne pas pouvoir, de ne pas savoir les approcher. Tant d’émotions qu’aucune nana ne m’a jamais apportées.
Gruissan a également été le théâtre, les dernières années, de séjours plus difficiles. Jérém était loin, et il me manquait horriblement. D’autant plus que je n’avais aucune garantie de le retrouver à mon retour à Toulouse. Les premiers mois de notre relation ressemblaient à un intérim sexuel à la fois enivrant et terriblement déstabilisant.
Et maintenant, me revoilà, Gruissan ! Je reviens te voir et je suis bien décidé à créer de nouveaux souvenirs sur ta plage, dans tes restaurants, dans tes rues, avec Jérém. Les souvenirs du bonheur d’être avec lui.
La première chose que nous faisons à notre arrivée à la plage, c’est l’application de la protection solaire. J’ai attrapé assez de coups de soleil par le passé, que j’ai retenu la leçon. A ma grande surprise, Jérém me propose de m’en mettre dans le dos, là où il est le plus difficile de le faire par soi-même. Je suis touché par sa proposition, lui qui, il y a peu de temps encore, ne tolérait aucun contact entre nous en public. Le contact un peu abrupt avec la fraîcheur de la crème est vite rattrapé par la chaleur de ses mains, par la douceur virile de son toucher, par la tendresse qu’il sait insuffler dans ses doigts. Dans ce simple contact, j’ai l’impression de sentir toute notre complicité, notre tendresse, notre amour, notre sensualité. Et ça fait un bien fou.
Je lui propose de l’aider à mon tour. Il accepte également. La simple sensation de toucher sa peau me fait bander. J’ai aussitôt envie de lui. Mais en même temps, le fait de rendre service au garçon que j’aime, de lui éviter des coups de soleil, me comble de bonheur. Aussi, j’adore l’idée de caresser les épaules et le dos de Jérém en lui faisant ressentir l’immense tendresse que je ressens pour lui, tout en la cachant à aux regards extérieurs qui pourraient capter cette scène.
Nous nous baignons aussitôt. Et ce, malgré une eau pas vraiment engageante. Mais peu importe, nous avons envie de rencontrer la mer. Jérém disparaît sous l’eau. Et lorsqu’il réapparaît, avec sa peau mate ruisselante, ses cheveux bruns et les poils de son torse plaqués par l’eau, les tétons qui pointent délicieusement à cause de la fraîcheur, un beau sourire sur son visage, il est beau comme un Dieu. Un Dieu qui a l’air si heureux. Le regarder m’emplit de joie.
Nous nous allongeons sur nos serviettes, l’un à côté de l’autre. Sa peau mate perlante d’eau, sa musculature parfaite attirent les rayons du soleil tout autant que les regards des nanas qui passent à proximité. Eeeeeehhhhh, je vous ai à l’œil ! Pas touche, même pas du regard !
C’est une journée parfaite pour la plage. Il n’y a pas de vent, et le soleil n’est pas aussi féroce qu’il peut l’être parfois sur cette plage. Nous passons la matinée et l’après-midi entre le sable et l’eau.
Le soir, nous achetons des pizzas et nous bivouaquons sur la plage. Nous nous approchons d’un petit groupe qui a eu la même idée que nous, qui a aussi allumé un feu, et apporté une guitare en prime. L’un des mecs improvise des grands standards de la musique française, et ses potes, filles et garçons, tentent de le suivre en chantant les paroles. Le tout dans une ambiance bon enfant et pleine de bonne humeur qui fait du bien.
Il est près de deux heures du mat’ lorsque Jérém et moi décidons de rentrer. Ma cousine Elodie a été heureuse de me prêter l’appart à la plage, ce qui nous rend bien service. Je l’adore !
Dans le clic clac où j’ai dormi enfant tout seul, nous faisons l’amour, et nous nous endormons très vite.
Jeudi 14 août 2003.
Après deux jours passés à la plage de Gruissan, nous reprenons la route. C’est une très belle matinée d’été et il fait déjà chaud. Je regarde Jérém assis à côté de moi, affalé dans le siège passager, ses biceps enserrés par les manchettes de son t-shirt blanc, son short en jeans laissant admirer ses beaux mollets délicieusement poilus, ses lunettes noires très stylées. Les rayons du soleil accentuent le contraste entre sa peau mate et la couleur immaculée du coton, redessinent sa musculature, font briller sa chaînette et ses tatouages. Il est tout simplement à craquer J’ai envie de lui à en crever.
Près d’Avignon, nous nous rendons compte que nous n’avons pas pris la bonne direction. Nous n’aurions pas dû monter si haut. Ah, si seulement on avait un GPS ! Car les cartes papier ne savent pas dire « Faites demi-tour dès que possible ».
Peu importe, nous ne sommes pas pressés et Jérém a envie de sortir de l’autoroute pour chercher un vrai resto pour déjeuner. Nous roulons quelques minutes au milieu des vignes en direction d’une petite ville. Jusqu’à ce que nous arrivions à hauteur d’un vignoble avec un beau château.
Et une décharge d’émotions intenses me submerge lorsque je reconnais l’endroit. Je reconnais le nom du domaine, ses abords, ses bâtisses, son chemin d’accès, son somptueux portail en pierre et en bois. Je le reconnais comme si j’y étais allé hier. Je le reconnais parce que cet endroit est indissociable d’un souvenir très marquant au sujet de Jérém, un souvenir de désir brûlant et d’immense frustration.
Ce souvenir remonte à quatre ans. Cette année-là, le voyage de fin d’année de seconde nous avait amené en Italie, à Turin, sur le lac de Garde, à Bergame, à Vérone, à Venise. Un voyage magique, à la découverte d’un pays fascinant. Mais aussi, en grande partie, magique grâce à la présence de Jérém, une présence tout aussi délicieuse que déchirante.
Pendant tout le voyage, le beau brun avait papillonné de nanas en nanas, et ça me déchirait le cœur. D’autant plus qu’il n’avait pas le moindre regard pour moi, comme si je n’existais pas à ses yeux.
Pour la pause déjeuner du dernier jour, nous avions fait une étape gourmande dans un vignoble du Vaucluse. Ce vignoble précisément.
— Tu le reconnais ? je demande à Jérém, en m’arrêtant sur le bas-côté pour prolonger ces retrouvailles.
— Bien sûr que je le reconnais !
— Tu te souviens quand on était partis se balader avec Malik et Nadia ?
— Evidemment !
— J’étais très pote avec Nadia…
— Malik était mon pote.
— Nadia était une grande gueule, et elle a toujours été sympa avec moi. Parfois elle a même pris ma défense quand certains camarades se payaient ma tête.
— Je m’en souviens.
— Parfois, j’ai eu l’impression qu’elle savait que je n’étais pas un mec à nanas, mais elle n’a jamais essayé de savoir. Elle n’a jamais posé de question, ni même fait la moindre allusion. Elle était juste mon amie. De toute façon, je n’étais pas encore prêt pour assumer tout ça. Il m’a fallu plus de temps que toi pour assumer, il admet.
— Ce jour-là, elle voulait se rapprocher de Malik.
— Et Malik avait bien envie de la pécho aussi !
— Je me souviens très bien le moment où ils sont partis tous les deux.
— Ils nous avaient plantés comme deux cons !
— J’étais content de rester un peu seul avec toi. Ça n’arrivait jamais. Mais j’étais tellement stressé ! Je te kiffais à en crever, tu m’impressionnais tellement !
— Je sais, ça se voyait…
— A ce point ?
— A ce point…
— Tu étais tellement sexy, ce jour-là, avec ton t-shirt blanc collé sur sa peau mate et moite de sueur ! Je me souviens que tu avais attrapé le bas de ton t-shirt pour t’essuyer le front. Quand j’ai vu tes abdos, j’ai failli faire un malaise !
Le bobrun sourit, l’air à la fois amusé et flatté.
— J’ai vu à quel point je te faisais de l’effet !
— Et ça te faisait quoi de voir que je te faisais de l’effet ?
— Ça me faisait bander !
— Oh putain, quel gâchis, quand on y pense ! Si on avait su, on aurait pu se trouver un, deux, trois ans plus tôt !
— Tu l’as dit, tu n’étais pas prêt. Et moi encore moins que toi.
— J’avais l’impression que j’étais transparent pour toi, tu faisais comme si je n’existais pas…
— Tu me faisais de l’effet, Nico ! C’est pour cette raison que je faisais semblant de t’ignorer. J’avais peur que ça se voie. Alors, je gardais mes distances.
— Elle est marrante la vie. Cruelle, mais marrante !
— C’est clair ! il admet.
— Je me souviens que tu avais enlevé le t-shirt parce que tu avais chaud, je poursuis. Là, je n’en pouvais plus ! Ta peau était moite de transpiration. En plus, tu avais fumé un joint avec Malik, tu planais, tu étais à craquer !
J’ai toujours en tête cette image de toi, debout devant moi, appuyé dos contre un arbre, torse nu, avec le t-shirt blanc sur l’épaule. Et moi, assis sur le petit rocher, le regard pile à la bonne hauteur pour mater la bosse de ton jeans.
Et tu m’as achevé quand tu as dit que tu avais trop chaud et que tu as défait ta ceinture et les deux premiers boutons de ton jeans. Quand j’ai vu les poils au-dessus de l’élastique de ton boxer j’étais à deux doigts de devenir fou pour de bon….
— J’avais envie de t’allumer et de voir dans quel état ça te mettrait. Je voulais te pousser à m’avouer que tu avais envie de moi. Peut-être que si tu l’avais fait, je t’aurais jeté. Mais j’avais tellement envie que tu me dises que tu avais envie de moi !
— Je regrette de ne pas t’avoir dit ce jour-là à quel point j’avais envie de toi !
— Tu ne me l’as pas dit, mais ton regard l’a crié haut et fort !
— Mon cœur battait la chamade, j’avais le ventre en feu, je poursuis. J’aurais donné une fortune pour avoir la chance de te faire plaisir ! Mais je pensais que tu m’étais inaccessible, et te voir si près et en même temps si loin de moi était une véritable torture. Et pourtant, j’aurais tout donné pour que ce petit moment ne s’arrête jamais ! Parce que je pensais qu’il n’y en aurait pas d’autres. Ça me rendait malade de me dire que je ne t’aurais jamais, que je ne serais même jamais pote avec toi, car je n’existais même pas pour toi.
— Et pourtant, tu existais déjà, et comment !
— Si seulement, j’avais su !
— Ralentis, prends ce chemin, il me commande de but en blanc, en m’indiquant un parcours qui s’engouffre dans les vignes.
Je ne bronche pas, croyant à une envie soudaine de pause pipi.
— Continue encore un peu, il insiste, alors que je m’apprête à m’arrêter à quelques dizaines de mètres de la route.
Je continue de rouler, sans poser de questions.
— Arrête-toi ici, il me lance, à hauteur d’un chêne, lorsque nous avons parcouru assez de distance pour que la route ne soit plus visible.
— Viens ! il me lance, le regard fripon.
Je crois que j’ai enfin compris où il veut en venir. Jérém sort de la voiture et ôte son t-shirt. Aujourd’hui aussi, il porte un t-shirt blanc parfaitement ajusté à son torse, exactement comme ce jour-là. Et comme ce jour-là, il l’enlève d’un geste rapide et très sensuel et le pose sur son épaule. Et comme ce jour-là, il prend appui avec ses épaules contre un arbre, il ouvre sa ceinture et les deux premiers boutons de son short.
C’est la même tenue, la même position, le même paysage. La même promesse de bonheur que je n’ai pas pu concrétiser à l’époque. Et mon Jérém me propose de rattraper ça maintenant. Il ne manque que l’effet du joint. Mais Jérém s’allume une cigarette. Et là, je suis fou. Je suis comme un gosse devant un cadeau qui dépasse de très loin ses attentes.
— Montre-moi ce que tu m’aurais fait ce jour-là ! il me lance entre deux taffes, devant mon éblouissement.
Un instant plus tard, je suis à genoux devant lui. Je finis de défaire sa braguette, je descends son short et son boxer. Je libère sa belle queue magnifiquement tendue. Je la prends en bouche et je la pompe. Cet après-midi, les éléments s’allient pour décupler notre plaisir.
Mon excitation et ma fougue sont démultipliées par le baiser du soleil et par la caresse du vent sur ma peau. Et par cette sensation de liberté, doublée d’un délicieux parfum d’interdit, de risque que seuls savent apporter les ébats en pleine nature. Et puis, il y a les caresses terriblement sensuelles que Jérém n’a de cesse de m’offrir. J’ai l’impression de planer dans un bonheur sensuel inouï.
— Je vais jouir… je l’entends m’annoncer, dans un long soupir. Ahhhh, putain, vas-y, avale, avale tout ! il m’intime un instant plus tard, la voix étranglée par la vague de plaisir qui submerge sa conscience et fait trembler tout son corps.
— Maintenant tu sais, il me glisse à l’oreille, alors que je viens de jouir à mon tour, sa queue enfoncée entre mes fesses.
— Qu’est-ce que je sais ?
— De quoi j’avais envie ce jour-là, il lâche, en se déboîtant de moi.
— Si j’avais su, si tu me l’avais fait comprendre, je t’aurais offert tout ça, ce jour-là !
— J’ai essayé. Tu crois vraiment que ce jour-là j’avais chaud au point d’ouvrir ma braguette devant toi ? Enfin, si j’avais chaud… à la bite !
— Quel petit con, tu fais !
Pour toute réponse, il me lance un sourire des plus charmeurs.
Après une pause resto, nous reprenons la route. Nous passons la frontière à Vintimille vers 18h00. Nous quittons l’autoroute pour chercher une piaule pour la nuit.
Lorsqu’on voyage, lorsqu’on s’éloigne suffisamment de chez soi, on est tôt ou tard frappés par la délicieuse sensation de changer radicalement de décor. Les changements de paysage, de couleurs, de formes, d’architecture, de senteurs, de sons nous impressionnent et nous enchantent. C’est le charme d’un terroir, d’une culture, d’une Histoire.
Parfois, il est suffisant de changer de région, de département ou juste de canton, pour ressentir cela. C’est le cas de mon département, la Haute Garonne. Des grandes plaines du nord, en passant par les collines de Toulouse et du Lauragais, jusqu’aux Pyrénées tout au sud, le dépaysement est flagrant.
Mais cette fascination de la découverte est d’autant plus marquante lorsqu’on change de pays. Car en plus de tout le reste, c’est la langue qui change, une langue dont le premier contact nous vient des panneaux routiers et des enseignes des magasins. La langue et la toponymie contribuent de façon déterminante à la sensation de dépaysement. Se sentir « perdu » dans un pays dont on ne maîtrise pas la langue peut avoir quelque chose de grisant, en particulier lorsqu’on s’y rend en compagnie de l’être aimé. Les quiproquos engendrés par la barrière de la langue constituent une source intarissable de fous rires, de découvertes à deux, de bonheur.
Je ne parle pas un mot d’italien. Mais mon Jérém, sans vraiment parler la langue de Dante, se démerde quand-même pas mal.
— Por favore, mi puoi dire où trouvare un hotello ? je l’entends demander à un passant.
Si je connaissais l’italien, je saurais que dans sa question pour se faire indiquer un hôtel, il y a une flopée d’erreurs. Mais je ne le sais pas et je suis impressionné. D’autant plus que mon beau brun a l’air de comprendre les indications que lui fournit le type.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ? je le questionne lorsque nous reprenons la route.
— Je crois qu’il m’a dit de continuer par-là…
En gros, il n’a rien compris. Mais je continue « par-là », sans demander plus d’explications, je continue, amusé et excité, tout droit vers cette magnifique aventure. Nous suivons une route sinueuse qui s’éloigne de la mer et qui continue vers la montagne. Au bout de quelques kilomètres, nous tombons sur un village au nom prometteur de Dolceacqua, littéralement « L’eau douce ».
— Ça doit être ici… fait mon bobrun.
Dolceacqua est un village qui se déploie le long d’une rivière surmontée par un petit pont en pierre très ancien. Sur la droite, une grande église domine le village du haut d’une colline. Les couleurs des façades des maisons varient entre le blanc, le jaune, l’orange, le rose. Les toits sont en terre cuite. Le tout donne une impression d’homogénéité, d’harmonie, comme si tout le village avait été construit à la même époque et que le temps s’était arrêté juste après.
Nous faisons un tour à pied, et nous trouvons une petite pension bien charmante. Notre hôtesse est une femme d’une cinquantaine d’année, avec des formes généreuses et l’air d’être une bonne vivante. Elle parle fort, mais sa voix est douce. Elle parle un peu le français, mais elle laisse souvent glisser des mots d’italien dans la conversation.
— Vous voulez mangiare questa soirée, ragazzi miei ? elle nous interroge.
C’est la première fois que je me fais traiter de « ragazzo ». Je trouve que ça sonne bien.
Jérém et moi avons tous deux envie de découvrir la cuisine maison, alors nous acceptons volontiers. Nous n’allons pas le regretter. Elle nous prépare des « orecchiette al ragù », et c’est un délice.
Ce soir-là, dans cette petite chambre au décor suranné mais charmant, au beau milieu de ce petit village mignon comme tout, dans ce pays que nous allons découvrir ensemble et dont la première mise en bouche nous enchante, nous faisons l’amour. C’est bon, tendre, sensuel. Je n’arrête pas de me dire que ça valait vraiment le coup de m’accrocher pendant tous ces mois, et même avant, pendant les hauts et les bas de notre relation pendant deux ans. Ça valait le coup d’attendre pour en arriver là, pour être récompensé par ce bonheur immense.
Vendredi 15 août 2003.
Le lendemain matin, notre hôtesse nous donne des sandwiches et des boissons pour la route, et nous recommande un petit crochet par Apricale avant de continuer notre route. Quelque chose dans son regard me laisse imaginer qu’elle a compris pour Jérém et moi. Mais ça n’a pas l’air de l’offusquer. En tout cas, ça ne lui a pas enlevé son sourire et sa bonhomie.
Apricale est un village dont le nom décrit une destinée. Ou du moins l’intention de ses bâtisseurs. Apricale signifie en effet « exposé au soleil ».
Accrochées sur un flanc de colline exposé plein sud et posées au milieu d’un paysage verdoyant, ses nombreuses maisons semblent collées les unes aux autres, comme des moules sur un rocher, comme des fruits sur un gâteau.
Apricale se découvre en laissant la voiture à ses pieds, et en remontant à son sommet par des ruelles minuscules, escarpées, constituées de pierres polies par les innombrables pas des hommes à travers les siècles. Les passages étroits, tous invitant à l’ascension, la pierre omniprésente, son charme si singulier lui conféreraient presque des allures de Mont Saint Michel.
Oui, la montée est rude. J’ai hâte de tout voir, de découvrir le cœur du village. Mais je m’adapte à l’allure de Jérém pour ne pas le fatiguer. Et surtout pour ne pas le pousser à prendre le moindre risque avec son genou et sa cheville.
Je le laisse passer devant et donner le rythme de la marche. En le regardant par derrière, si tant est qu’il soit possible que j’arrive à décrocher mon regard de son magnifique dos en V, sa boiterie attire mon regard.
— Tu as mal au genou ? je le questionne.
— Non.
— Au pied ?
— Non plus, pourquoi ?
— On dirait que tu n’oses pas poser ton pied.
— Je n’ose pas le poser !
— Tu as peur de quoi ?
— J’ai peur de casser quelque chose !
— Le médecin a dit que tu ne crains plus rien.
— Je sais, mais c’est plus fort que moi. Je n’arrive pas à être serein.
— Tu sais que quand tu vas recommencer à jouer, tu auras besoin de tes deux pieds bien collés au sol…
— S’il le faut, je ne recommencerais jamais à jouer…
— Pourquoi tu dis ça ?
— J’ai peur qu’ils ne renouvellent pas mon contrat !
— Ils le renouvelleront, je lui lance, sur le ton le plus formel dont je suis capable.
Mais il est vrai qu’il y a de quoi s’inquiéter. Si le club a vraiment suspendu le renouvellement du contrat à la récupération de Jérém, maintenant que les résultats sont là, maintenant que les médecins annoncent un possible retour sur le terrain avant la fin de l’année, il devrait se manifester. Et pourtant, ce n’est pas le cas. Le contrat arrive à échéance le 31 août, soit dans deux semaines et aucune nouvelle ne filtre de la part de la direction. Personne n’appelle et personne ne peut renseigner Jérém. Même pas son agent, qui est toujours aux abonnés absents. Voilà l’unique bémol dans la parfaite symphonie que sont nos vacances en Italie.
La place d’Apricale est petite mais magnifique, entourée de bâtisses imposantes et harmonieuses, dont l’église et l’hôtel de ville. Sur un côté fermé par une rambarde, elle s’ouvre sur la vallée. Le paysage est époustouflant.
A l’opposé, se trouve un bar avec des tables en terrasse. Nous nous asseyons et Jérém commande un cappuccino et un croissant. Je fais de même. Quelques minutes plus tard, une vérité fondamentale me saute aux yeux. Il faut être en France pour acheter un bon croissant. Mais il faut l’amener en Italie pour l’accompagner d’un bon cappuccino.
Dans l’après-midi, nous faisons escale aux Cinque Terre. Encore un lieu à la beauté singulière et ravageuse. Il s’agit de cinq villages l’un à la suite de l’autre, accrochés à la montagne et surplombant la mer. Les vagues s’écrasant sur les rochers laissent apparaître les bleus turquoise des profondeurs.
Là encore, la palette chromatique de l’œuvre de l’Homme (le blanc, le jaune, l’orange, le rouge, le rose, le violet des façades, le vert et le bleu des volets) se combine à merveille avec les tonalités de la nature (le turquoise de la mer, le blanc de la roche, les nuances de la végétation) et crée ce feu d’artifice de couleurs dont l’Italie semble détenir le secret.
Cinque Terre est un endroit féerique. Nous déjeunons à Monterosso sur une terrasse de restaurant avec vue plongeante sur la mer. Le soir, nous faisons la randonnée qui longe la côte des cinq villages. La vue est à couper le souffle.
Nous n’avons toujours pas de réservation, mais nous n’avons aucun mal à trouver une petite pension tout aussi agréable que celle de Dolceacqua.
Samedi 16 août 2003.
Sur conseil de notre hôte, ce matin nous prenons le bateau pour découvrir un autre regard sur ce site exceptionnel. Depuis la corniche, le spectacle offert par la mer est grandiose. Depuis la mer, le spectacle offert par les villages aux mille couleurs accrochés à la montagne est époustouflant.
En quittant la Liguria pour rentrer en Toscana, nous tombons sur une station radio qui ne passe que des grands classiques de la variété italienne. « Latte Miele, 88.3 » indique l’affichage du poste.
La chanson qui accroche mon oreille en premier est « Il cielo in una stanza » de Gino Paoli.
Quando sei qui con me/Quand tu es ici avec moi
Questa stanza non ha più pareti/Cette chambre n'a plus de murs
Ma alberi, alberi infiniti/Mais des arbres, des arbres infinis.
Quando sei qui vicino a me/Quand tu es ici à côté de moi
Questo soffitto viola/Ce plafond violet
No, non esiste più.../Non, il n'existe plus ...
Io vedo il cielo sopra noi/Je vois le ciel au-dessus de nous.
Ça résume tellement bien ce que je ressens pendant ce voyage aux côtés de Jérém. Mon présent ne m’est jamais apparu si heureux, et mon avenir ne m’a jamais semblé plus radieux.
Et ça enchaîne avec « Nel blu dipinto di blu » de Domenico Modugno.
Lattemiele, « du lait et du miel », cette radio porte si bien son nom. Car ses ondes semblent décrire une certaine idée de la « dolce vita ». Cette radio devient la bande son de notre escapade au « bel paese ».
Je repense au voyage en Italie que Maman et Papa ont fait pour leur lune de miel et dont Maman m’a souvent parlé comme de l’un des moments les plus heureux de sa vie. Le fait que l’Italie soit un pays bourré de charme doit certainement tenir un rôle dans le souvenir ému qu’elle en garde 25 ans plus tard. Et pourtant, je pense que c’est surtout le fait d’avoir accompli ce voyage à côté de l’homme qu’elle aimait, mon papa, qui rend son souvenir de l’Italie si précieux à ses yeux.
Je suis conscient que je suis moi aussi en train de vivre l’un des moments les plus heureux de ma vie, si ce n’est le plus heureux. Moi aussi je me sens comme dans ma lune de miel. Alors, je savoure chaque paysage, chaque ville, chaque rue, chaque kilomètre, chaque bouchée de pâtes, chaque mot, chaque sourire, chaque chanson qui passe à la radio, chaque nuit passée à faire l’amour. Oui, je savoure chaque instant avec un émerveillement et un bonheur qui ne cessent de se renouveler.
Firenze.
Firenze et typiquement le genre de ville qui en impose un max. Un endroit qui semble t’accueillir en te disant : Ferme ta gueule et admire.
Il faut dire que lorsque tu te retrouves sur la piazza del Duomo, devant la Cattedrale di Santa Maria del Fiore, cet imposant édifice tout habillé en marbre blanc aux finitions roses et vertes, un édifice qui peut se vanter de posséder une coupole créee par Brunelleschi, véritable prouesse technologique pour l’époque, en plus d’un clocher réalisé par Giotto, excusez-moi du peu, sans compter ce bijou architectural qu’est le Battistero di San Giovanni situé au milieu de la place, là oui, ça donne définitivement envie de fermer sa gueule et d’admirer. Du haut de mes vingt ans, confronté à la grandeur de ces beautés architecturales âgées de sept siècles, je me sens vraiment, vraiment tout petit.
Jérém a l’air tout aussi impressionné que moi.
Et nous ne sommes pas moins impressionnés lorsque nous pénétrons dans cet espace à l’allure solennelle qu’est la Piazza della Signoria.
Déjà, la silhouette du Palazzo Vecchio et de sa tour imposante suffirait à en mettre plein la vue. Mais c’est sans compter sur la présence des statues géantes qui ornent les quatre coins de cet espace grandiose. Et parmi elles, l’une des vedettes incontestées de la sculpture de tous les temps, j’ai nommé le David de Michel-Ange, avec ses cheveux bouclés, son corps musclé mais un brin trop petit par rapport à la tête, son air sévère et sa teub à l'air. Je sais que ce n’est qu’une copie, mais ça m’impressionne quand-même. Et pas qu’un peu.
Je me dis que depuis sa réalisation il y a un petit demi millénaire, cette statue du David incarne la quintessence de la beauté masculine. Michel-Ange, qui savait très bien de quoi il retournait, a su lui insuffler des proportions parfaites, un canon esthétique qui n’a guère évolué en cinq siècles. Quand je pense que vingt générations d’hommes et femmes ont contemplé et apprécié sa plastique parfaite, ça me donne le tournis.
En dépit de ses origines, Jérém non plus ne connaît pas grand-chose au « bel paese », à part Napoli et ses alentours, où il a de la famille qu’il est allé voir quelques fois pendant son enfance.
Alors, nous sommes tous deux avides de découverte. Nous visitons tout ce qui est visitable, nous goûtons tout ce qui est goûtable. Il est impossible de passer par Firenze sans goûter la « bistecca fiorentina », ou le « Lambrusco », un vin léger et pétillant qui ressemble à un Beaujolais qui serait agréable à boire, ou encore le « tiramisù », ou bien le vin « Chianti », le vin le plus emblématique de la terre de Toscane.
L’Italia est le pays des pâtes et chaque région a les siennes, sèches ou fraîches, aux mille formes, aux mille assaisonnements. Les plus typiques de la région de Firenze sont les Parpadelle (de larges bandes de pâtes, un peu comme des « tagliatelle » mais en beaucoup plus large) et les Pici (sorte de gros spaghetti, un peu comme les Bucatini mais sans trou au milieu).
Oui, nous goûtons tout. Y compris un mets particulièrement délicieux qui se décline lui aussi en une infinité de nuances suivant les régions et les rencontres : je veux bien entendu parler des « ragazzi ».
Le soir, alors que nous nous baladons sur les quais le long de l’Arno, nous croisons un gars qui vient dans le sens opposé par rapport à nous. Il est grand, brun, il est beau et plutôt bien sapé, jeans, chemise blanche et veste bleu. Et il nous regarde. Je suis sûr qu’il nous regarde. Plus il approche, plus il nous regarde. Il doit avoir 25 ou 27 ans, et il est vraiment très sexy. Je finis par me rendre compte qu’il regarde surtout Jérém. Rien d’étonnant, vu sa belle gueule et son panache.
Pendant un instant, je commence à croire qu’il va carrément venir nous aborder. Mais nous continuons d’avancer en sens contraire jusqu’à ce que nous nous passions à côté sans nous rencontrer. Ou presque.
Au moment de nous croiser, il m’a semblé que le gars avait fait exprès de dévier un peu sa trajectoire pour effleurer le bras de Jérém.
Surpris, ce dernier se retourne aussitôt. Je me retourne aussi. Le gars se retourne aussi, il ralentit son allure jusqu’à s’arrêter à une vingtaine de mètres de nous. Il s’appuie à la rambarde de la promenade et s’allume une cigarette. Le tout, sans jamais vraiment nous quitter du regard. On dirait qu’il attend.
— Qu’est-ce que tu en dis ? me glisse Jérém.
— Je ne sais pas trop…
— Il est beau, non ?
— C’est sûr…
— Ça te dit ou pas ?
Je ne sais pas quoi dire, j’hésite. C’est tentant, certes.
— Si ça te dit pas, je m’en fous. On rentre et je te baise. Mais si ça te dit, ça peut être marrant…
— Je pense en effet que ça peut être marrant. Mais il faudrait des capotes…
— Je crois qu’il m’en reste, et du gel aussi.
Oui, Jérém a eu une vie sexuelle pendant notre séparation. Je le sais. Mais je ne peux m’empêcher de ressentir un pincement au cœur en ayant la confirmation de cette façon, à ce moment précis. Mais au fond, je suis content qu’il ait pris toutes ses précautions.
Jérém lui fait signe d’approcher.
— Ciao belli, nous lance le type.
— Ciao, fait Jérém.
— Io sono Giovanni, il se présente.
— Io sono Jérémie, et lui est Nicolas, fait mon beau brun.
— Francesi ? demande Giovanni, l’œil pétillant.
— Si, francesi.
L’œil pétillant est alors embrasé par une belle étincelle lubrique.
Une minute plus tard, Giovanni nous suit pour rentrer avec nous. A l’hôtel, il nous suce tous les deux. Puis, il se fait baiser par Jérém.
— Dai, scopami bene, fighetto francese ! (Allez, baise-moi bien, le bogoss français !) il soupire, alors qu’il se fait bien tringler par le beau rugbyman.
Après s’être fait démonter par mon bobrun, Giovanni ne demande pas mieux que je lui offre le même plaisir. Je m’applique à faire de mon mieux, car il est toujours délicat de passer après un champion.
Mais il « ragazzo fiorentino » semble bien apprécier mes coups de reins aussi. La puissance de mon orgasme est décuplée par le contact du torse de Jérém dans mon dos, par les caresses dispensées par ses mains délicieusement adroites.
Giovanni prend congé de nous juste après s’être fait doublement sauter, tout en nous remerciant de lui avoir procuré autant de plaisir.
— French boys do it better, il nous glisse en partant.
Dans ma tête, je me dis que ce n’est pas exactement ce qu’affirmait Madonna sur un t-shirt qui a fait sensation à son époque. Mais bon, toute opinion en la matière est subjective.
Après une bonne cigarette, Jérém vient en moi et commence à me tringler. Mais pas du tout de la même façon où il avait tringlé notre amant d’un soir.
Avec Giovanni, il s’est bien éclaté, il a pris son pied, ça a dû faire du bien à son égo d’inscrire un autre beau mec à son tableau de chasse. Son attitude était dominante, un tantinet macho. Tout ce qu’on demande pour une bonne baise. Giovanni avait envie de se faire baiser, et Jérém l’a bien baisé. Ma présence a contribué à lui apporter du plaisir. Je suis certain que ça l’a excité de me voir me branler pendant qu’il baisait ce type, tout comme je le suis que ça l’a bien chauffé de me voir en train de le baiser à mon tour. Mais ça s’arrête là. Il n’y a eu aucune tendresse, aucune complicité avec ce gars.
Et maintenant, alors qu’il coulisse lentement en moi, que son torse effleure le mien, que ses mains me saisissent fermement, que ses lèvres m’offrent d’infinis frissons, et que son regard recherche en permanence le mien, là il est bel et bien en train de me faire l’amour.