27 Janvier 2023
Lundi 26 juillet 2004.
C’est aujourd’hui que les vacances prennent fin pour Jérém. C’est là que nous allons nous séparer physiquement. L’ailier vedette du Stade Français reprend les entraînements dès demain. Il est également attendu en fin de semaine pour un rendez-vous très important. Quant à moi, je vais rester à Toulouse pour passer quelques jours chez mes parents, pour revoir Elodie, et peut être Julien et Thibault. Je sais déjà que ça va être dur d’être loin de Jérém après ces nouvelles vacances de bonheur.
Vendredi 30 juillet 2004.
[Le shooting photo que tu redoutais depuis des semaines se passe dans un studio en plein Paris. Tu n’es pas à l’aise avec ça, Jérémie.
Bien sûr, tu as l’habitude de la nudité, la tienne, celle de tes potes. Mais uniquement dans un contexte bien précis, celui des vestiaires et des douches. C’est une nudité que tu considères comme « naturelle ». Tu es tout aussi à l’aise avec la nudité sensuelle. Tu n’as jamais eu de mal à te foutre à poil quand tu te sentais désiré.
En revanche, sortir ta bite pour prendre la pose devant toute une équipe de production, ça c’est une tout autre chose. Rester des heures à poil devant des photographes, des éclairagistes, des étalonneurs, des directeurs de production, tu as vraiment du mal avec ça.
On te l’a proposé, tu n’as pas pu dire non. Car la plupart de tes coéquipiers a dit oui. Certains n’en sont pas à leur premier essai. A l’instar d’Ulysse. Tu te dis que refuser ce serait te faire remarquer, avouer que tu as quelque chose à cacher.
Mais le fait est que tu as quelque chose à cacher. Ton attirance pour les garçons. Tu as vu les photos des précédentes éditions, et ce que tu redoutes le plus c’est que l’on te demande de faire des clichés de promiscuité entre joueurs, sous les douches, dans les vestiaires. Tu as peur de bander.
Tu as peur de te trahir, tu as peur que ça se voit que tu es gay. Tu as peur d’être ridicule sur les photos. D’ailleurs, tu te sens déjà ridicule, tu as envie de tout planter et de te tirer de là. Ce n’est que grâce à la présence rassurante d’Ulysse et de celle de Thibault, lui aussi invité à rejoindre les Dieux du Stade pour cette nouvelle édition, que tu arrives à tenir jusqu’au bout.
A la fin de cette longue journée, tu es rincé. Tu n’as qu’une envie, celle de te doucher et de fumer un joint pour te détendre].
— Alors, c’était comment ? j’interroge mon beau brun le soir même.
— C’était interminable. J’étais pas à l’aise.
— T’as fait beaucoup de photos ?
— Des dizaines, des centaines ! Ça bombardait dans tous les sens !
— Mais c’est un calendrier Dieux du Stade ou un calendrier Tommasi ?
— Moque-toi ! J’aurais bien voulu te voir à ma place !
— T’as qu’à pas être si sex, ils ne t’auraient pas proposé de faire le calendrier !
— Ah ah, très drôle !
— Blagues à part, tu as eu ton mot à dire pour les photos ?
— Oh, putain, ça, ça a été le plus dur… remater toutes les planches et trier les photos une à une, me revoir à poil avec dix autres personnes qui faisaient des commentaires sur ma pose, ma gueule, ma bite, mon cul !
— Mais ils t’ont laissé participer au choix des photos ?
— Oui, j’ai validé chaque photo qui va paraître.
— Mais tu vas être sur combien de photos ?
— Trois, a priori.
— Ah, quand-même !
— Une, seul, une avec Ulysse, une avec Thibault.
J’ai hâte de découvrir les photos.
Août avance et je commence à penser à ma rentrée. Après avoir validé ma Licence en Sciences de la Terre et de l’Environnement en juin dernier, j’ai choisi de suivre un Master Environnement, toujours à Bordeaux. Ces deux années d’études supplémentaires me permettront d’aborder plus spécifiquement la question de l’eau, le sujet autour duquel je sens désormais vouloir orienter ma future carrière professionnelle. J’ai toujours été fasciné par la gestion de l'eau et sa préservation, l’une des plus importantes, si ce n’est la plus importante, de notre planète. J’ai un béguin tout particulier pour la Garonne, et je sens que j’ai envie de travailler avec elle, pour elle.
Avant de repartir à Bordeaux, je passe quelques jours chez mes parents. Je suis bien à la maison. Papa me questionne sur mes études et mes projets futurs, je lui parle de ma fascination pour l’eau et des premières idées d’avenir professionnel qui commencent à germer dans ma tête. Il a l’air fier de moi.
Je profite de mes journées pour revoir ma cousine Elodie et partager nos bonheurs. Moi, celui d’amoureux comblé, elle, celui de maman heureuse. La petite Lucie va bientôt fêter sa première année. Le temps passe si vite. Je lui parle de la préparation de mon voyage à Lisbonne en septembre pour aller assister au concert de Madonna, et je lui exprime mon regret de ne pas pouvoir partager ce nouveau spectacle avec elle.
— Si je pouvais, je viendrais avec plaisir ! Mais Lucie est encore trop petite, je ne peux pas la laisser, elle me répète.
— Je comprends, je comprends, t’en fais pas.
— Ce n’est que partie remise.
— J’espère bien !
— Tu penseras à moi quand tu te déchaîneras comme une folle à lier ?
— Bien sûr, je danserai pour toi aussi !
Je revois Thibault après son retour de Paris. Nous allons dîner en ville. Pendant le repas, le beau pompier me confirme le côté éprouvant du shooting pour le calendrier.
— Je crois que c’est la première et dernière fois que je me laisse embarquer là-dedans !
— A vrai dire, j’ai été étonné d’apprendre que tu avais accepté. J’ai toujours eu l’impression que tu es quelqu’un d’assez pudique…
— Je le suis. Mais je n’ai pas pu refuser. Les organisateurs voulaient un cliché de Jérém et de moi, les « Toulousains », comme ils nous appellent dans le milieu, et ma direction voulait à tout prix un joueur du Stade Toulousain sur le calendrier. Alors, ils ont fait pression jusqu’à ce que je cède. J’ai pas fini de me faire charrier par mes potes…
— Les « frères ennemis du rugby français », c’est comme ça que certains journaux ont titré au sujet de Jérém et de toi après la dernière rencontre entre les deux Stades…
— Ouais, ils aiment bien se gargariser de mots à la con !
Le jeune papa se languit du petit Lucas qui est avec sa maman pendant deux semaines.
— Je n’arrive pas à croire qu’il a déjà presque deux ans et demi !
— Il te rend heureux, ce gosse, je considère.
— Très heureux. Mais entre les entraînements, les matches du week-end et les pompiers, je ne le vois pas autant que je voudrais. Je n’arrive même pas à le prendre chaque jour de ma garde. Heureusement que Nathalie est arrangeante et que ses parents nous aident. On m’a proposé d’intégrer le XV de France, mais je crois que je vais dire non. J’aimerais bien, mais je ne peux pas être partout.
— Sérieux ? Tu vas dire non ? Il y en a qui ne rêvent que de ça.
— Tu sais, pour moi le rugby c’est avant tout une façon pour m’amuser et avoir des potes. La gloire, la carrière, la lumière, très peu pour moi. Quand ça devient trop sérieux, quand les enjeux sont trop grands, quand il y a trop de stress, quand il faut gagner à tout prix, je ne m’amuse plus. Déjà en championnat c’est dur. J’imagine en équipe nationale ! Et puis, si j’accepte, je vais devoir renoncer à mon engagement auprès des pompiers, ou bien voir Lucas encore moins. Et ça, c’est hors de question. On ne vit qu’une fois, et il ne faut jamais perdre de vue ses véritables priorités.
— Je comprends, et j’admire ta détermination.
— Je fais ce que je ressens là-dedans… fait le beau pompier en portant sa main sur le cœur.
— Là-dedans, il y a un grand cœur, je considère, et cela te rend un bon gars. Je t’admire beaucoup, Thibault.
— Arrête, tu vas me faire chialer !
— Et ton médecin ? je change de sujet pour évacuer l’émotion avant qu’elle ne se transforme en larmes.
— Lui aussi me rend heureux. Nous arrivons à nous voir un peu plus souvent. J’ai l’impression qu’il tient vraiment à moi.
— Comment pourrait-il en être autrement ? Tu es un garçon tellement attachant !
— Merci, Nico, tu l’es aussi.
Malheureusement, Julien n’étant pas en ville en ce moment, je n’ai pas le plaisir de le retrouver. Pour lui aussi, comme pour Elodie, ce n’est que partie remise.
Août 2004.
Août arrive, et le championnat de rugby reprend aussitôt. Lors de la 1ère journée du Top 16, le Stade Français remporte haut la main le match contre Bayonne.
Août se termine, septembre arrive. Et avec lui, les prémices de l’automne. Des journées qui raccourcissent, des soirées qui se rafraîchissent. Et des souvenirs qui remontent. Comme celui de nos retrouvailles à Campan. C’était il y a deux ans, sous la grande halle en pierre, sous une pluie battante. Il y a deux ans, Jérém m’embrassait pour la toute première fois. Je me souviens toujours de la tête de la dame qui avait traversé la halle pendant nos effusions, je me souviens de son regard accusateur, et je me souviens de la réaction de Jérém.
« Qu’est-ce qu’il y a, t’as jamais embrassé personne ? » il l’avait ramenée, railleur.
Oui, il y a deux ans je découvrais les randonnées à cheval dans la nature, je faisais la connaissance de Charlène, JP, Martine, Daniel et sa guitare, de la folle ambiance des soirées au relais avec les cavaliers.
Je faisais la connaissance d’un Jérém tellement différent du petit con de Toulouse, un Jérém « nature », dont je découvrais les racines, solidement ancrées dans ce petit village de montagne.
Septembre, c’est aussi le triste souvenir du 11 septembre. Et celui tout aussi triste du 21 septembre. La télé se charge de le rappeler dans de nombreuses émissions et reportages. Toulouse, New York et leurs habitants meurtris soignent toujours leurs stigmates.
Mardi 14 septembre 2004.
Ce soir, à 21h30, le Pavilhão Atlantico de Lisbonne frémit de l’impatience des 30.000 fans venus applaudir leur Star pour la toute dernière date du Reinvention Tour.
C’est bon de se retrouver entre gens qui partagent une même passion, une même admiration, pour qui Madonna représente une telle icone, un personnage qui porte un message de tolérance, d’ouverture, d’affirmation de soi, de progrès des droits pour tout un chacun.
Ça fait plus de six mois que j’ai acheté le ticket, six mois que j’attends cet instant, trois mois que mon impatience monte au gré des enregistrements audio, des très belles photos, et parfois même des vidéos – ces dernières en basse qualité, certes, mais néanmoins bien alléchantes – faisant surface sur le net après chaque date. Et maintenant que j’y suis, que le grand jour est arrivé, je me surprends à ressentir un petit pincement au cœur du fait que l’attente se termine déjà, et que cette tournée touche déjà à sa fin.
Un autre pincement au cœur me vient du fait que ma cousine n’est pas là pour partager ce moment avec moi. Jamais autant que ce soir je n’avais senti que le bon vieux temps entre Elodie et moi était définitivement révolu. Au fond de moi, je sais que ce n’est pas que partie remise. Je sais que celui de 2001 restera à tout jamais le seul concert de Madonna que j’ai partagé et que je partagerai avec elle.
Et ce, pour la simple et bonne raison que l’Elodie que j’ai toujours connue, la nana espiègle, cash et un tantinet fofolle n’existe plus. Elle a été remplacée par une épouse aimante et une maman comblée, qui n’a plus le temps pour les délires d’antan.
Le concert est à la hauteur de mes attentes, il les dépasse même. Madonna est dans une forme exceptionnelle, elle est resplendissante. Les écrans géants coiffent la totalité de l’immense scène, les moyens mis en œuvre sont du jamais vu. Les titres du dernier album sont mis à l’honneur à côté des nouvelles versions de ses titres phares. Les costumes, son look, les tableaux, les chorégraphies, tout est à tomber. Ce spectacle est de loin le plus grandiose de sa carrière. Et pourtant, cette débauche de moyens et de démesure sera encore largement dépassée deux ans plus tard.
Je sors de près de deux heures de spectacle comme abasourdi. J’en ai pris plein la tronche, et je sens que mon estime et mon amour pour cette immense artiste n’a jamais été si grand. C’était une formidable façon de fêter mon anniversaire en avance d’un jour. Merci Madonna !
Vraiment dommage de n’avoir pas pu partager ça avec Elodie. Ou Jérém.
Mercredi 15 septembre 2004.
Je suis tout juste rentré, et pas encore tout à fait remis de mon escapade lisboète, lorsque mon anniversaire tombe. Aujourd’hui, j’ai 22 ans. Au fond de moi, ça fait des semaines que je pense à ce jour et à comment j’aimerais le fêter. J’y ai tellement pensé, que je serais vraiment déçu que ça se passe autrement.
Et ça ne se passe pas autrement. A 17 heures je suis à l’appart, je finis le ménage, je me douche, je me mets sur mon 31. A 18h15 ma sonnette retentit. Je sais que c’est lui. J’ouvre le portail sans même demander qui c’est. J’ouvre ma porte et je vois Jérém avancer dans le passage qui sépare le grand portail et la petite cour au sol rouge.
— Bonjour M. Tommasi, j’entends Denis lancer de sa loge-tour de contrôle.
— Bonjour Monsieur !
Le beau brun avance vers moi, lui aussi sur son 31, belle chemise bleue ouverte juste ce qu’il faut sur ses pecs saillants et délicieusement poilus, belle crinière brune légèrement plus longue que d’ordinaire. Et un sourire, putain, un sourire qui ferait fondre le soleil lui-même, un sourire qui contient à mes yeux toute la beauté de l’Univers.
Je suis sur le seuil de ma porte et Jérém s’arrête juste devant moi, tout près de moi, son nez à dix centimètres du mien. Il me fixe pendant deux ou trois secondes, puis m’embrasse avec une fougue intense.
— Ah putain, qu’est-ce qu’ils sont chauds ces jeunots ! j’entends Albert lancer, alors que Jérém me pousse à l’intérieur et claque la porte derrière nous.
Le lendemain, jeudi, Jérém repart de bonne heure. Il est évident que je ne peux pas le laisser partir sans lui offrir une dernière pipe pour la route, sans m’offrir une dernière fois le goût de son jus, le goût du bonheur.
Ce jeudi est également le jour de ma rentrée. Le début d’une nouvelle phase de ma vie d’étudiant. Dans ce nouveau cursus, mon seul repère est Monica, la seule de mon groupe à avoir choisi le même Master que moi. Je suis un peu triste de ne pas retrouver mon pote Raphaël, parti terminer ses études dans une autre ville. Hélas, la vie c’est ça aussi. Après de belles rencontres, parfois les chemins se séparent.
Samedi 16 octobre 2004.
Aujourd’hui, Jérém a 23 ans. Et le jour de son anniversaire, il est amené à jouer l’un des matches les plus difficiles et éreintants de sa carrière. La rencontre Castres-Stade Français se solde par un score de 7-7 où chaque point a été arraché dans la transpiration, l’effort et le sang.
Après deux mi-temps épiques et une troisième pourtant sensiblement écourtée, mon beau brun rentre à l’appart complètement HS. Ce soir-là, il n’a même pas le courage de me faire l’amour. J’essaie de le sucer, mais sa queue ne répond pas. Tant pis, le câlin suffira pour cette nuit.
Après une bonne nuit de sommeil et une douche, avant de partir retrouver ses coéquipiers pour le débrief du match de la veille, le beau rugbyman au t-shirt blanc viendra prendre possession de mon cul et lui gicler dedans comme il se doit.
Fin octobre, le calendrier le plus attendu de l’année sort enfin. L’ouvrage fait son apparition dans les vitrines des libraires et dans les kiosques à journaux. Une apparition fracassante, c’est peu de le dire. Et ce, dès la couverture, Avec une entrée en matière très alléchante.
En effet, elle comporte le cliché d’un mâle bien connu, l’un des deux demis de mêlée les plus canons du Top16, le boblond au regard de glace, j’ai nommé le somptueux Ulysse.
Le coéquipier de Jérém y est photographié débout, avec un cadrage du buste, torse nu, tous pecs, tétons, biceps et abdos dehors, tenant un ballon ovale contre sa hanche. Le torse légèrement penché vers la gauche, la tête légèrement penchée vers la droite, le regard en plein dans l’axe de l’objectif. C’est un regard clair comme la glace, pénétrant. Un regard qui happe les regards, qui hypnotise. Une attitude assurée, mais sans excès, sans ajouts, tout ce qu’il y a de plus naturellement viril. Il y a à la fois une telle douceur et une telle puissance dans ce regard, que ça a de quoi rendre dingue.
Inutile à ce stade d’en rajouter en mentionnant ses cheveux un peu plus courts que d’habitude, sa belle barbe blonde toujours aussi fournie et soignée, le pli de l’aine qui part du ballon et se perd dans la limite inférieure de la photo, obligeant le spectateur à côtoyer la folie en imaginant la suite, maudit cadrage, tout comme celle de la délicieuse ligne de poils qui descend de son nombril, seule pilosité de ce corps parfait. Oui, inutile d’en mentionner plus, la raison s’est déjà fait la malle depuis belle lurette.
Le noir et blanc déchire, il permet de se concentrer encore plus sur les lignes, les reliefs, les formes. Pas étonnant que cette photo ait été choisie comme couverture. Avec un aperçu de ce type, cette édition du calendrier va se vendre comme des petits pains. Franchement, rien que la couverture, ça promet un grand cru.
Jérém m’a promis de m’en avoir une copie, mais je ne peux pas attendre pour découvrir ses clichés. Dans une librairie du centre, je feuillète le calendrier les mains tremblantes, le cœur en fibrillation, débordant d’excitation, d’impatience, mais aussi de malaise de le faire dans une grande allée où des gens circulent.
Janvier, février, l’année 2005 défile à toute vitesse sur le papier glacé. C’est en avril que le premier choc m’attend. Le premier d’une série.
Jérém est là. Le bobrun est lui aussi photographié débout. Le cadre est un peu plus élargi que celui d’Ulysse, car il descend jusqu’aux genoux. Jérém est également torse nu, tous pecs, poils bruns, tétons, biceps et abdos (et tatouages) dehors, comment pourrait-il en être autrement ?
Mais au-delà de sa beauté presque surnaturelle, c’est son attitude qui happe le regard et embrase l’esprit.
La tête penchée vers la droite et légèrement vers l’arrière, le regard charmeur, séducteur même, déjà ça suffirait pour que la raison abdique en faveur d’un désir incontrôlable. Mais la mise en scène va bien au-delà. Comment recevoir l’image de sa main droite posée sur sa cuisse, de la gauche cachant délicatement sa queue, et laissant pourtant entrevoir non seulement sa belle pilosité brune pubienne, mais aussi et surtout le côté droit du galbe de ses bourses ? Comment recevoir ces détails, cette pose, si ce n’est comme une provocation savamment étudiée, une attaque frontale à la santé mentale ?
Cette attitude me fait penser au Jérém le jour de notre première révision, quand il s’était levé et qu’il m’avait commandé de le sucer.
Son attitude dégage un érotisme brûlant, car c’est celle d’un garçon sulfureux. A l’évidence, la direction artistique du calendrier semble œuvrer pour lui coller cette image. Et il faut dire que le bobrun toulousain possède la belle petite gueule, le corps, la prestance et l’insolence de l’emploi.
Après ça, en sachant qu’il reste deux photos à découvrir de mon bobrun, continuer à feuilleter ce calendrier peut ressembler à une opération très risquée. Et pourtant, je m’y aventure, au péril de voir mes derniers neurones griller l’un après l’autre à cause d’une exposition trop prolongée à la bogossitude.
Jérém n’apparaît dans aucun autre mois. Il apparaît en revanche dans des pages bonus qui séparent chaque mois du suivant. Le deuxième choc est provoqué par la photo avec Thibault.
Thibault, à gauche de l’image, est pris de face, Jérém à droite, est pris de dos. Les deux potes sont photographiés dans l’eau. Le niveau de l’eau est malicieusement calculé pour permettre de voir les poils pubiens du demi de mêlée du Stade Toulousain, et le haut des belles fesses musclées de l’ailier du Stade Français. Jérém tourne sa tête, ainsi les deux potes regardent tous deux l’objectif. L’intense virilité des regards se combine à la proximité, à la promiscuité des torses, des pubis.
Là encore, le rendu du noir et blanc savamment contrasté appuie sur la beauté des corps, met en valeur les proportions, les reliefs.
Jérém m’a prévenu qu’il y aurait des poses et des attitudes suggestives, mais là, putain, ça dépasse l’entendement.
Et pourtant, même après ce deuxième KO technique, je ne me décourage pas, je continue à feuilleter.
Dans un autre intercalaire, je tombe sur le cliché de trois magnifiques rugbymen, les chemises ouvertes sur autant de torses de fous, les cravates défaites. Une image très suggestive, qui fait lourdement marcher la machine à fantasmes.
C’est coincée entre les mois de novembre et de décembre que la dernière image de Jérém me foudroie. On y voit trois jeunes mâles, dont mon beau brun, Ulysse et un autre gars complètement canon, les cheveux et les corps mouillés, à proximité des douches, jouant la surprise, l’air ébahis par l’objectif, comme s’ils avaient été interrompus dans quelque chose. Là encore, la camaraderie, la proximité, l’intimité, la promiscuité, et même la sensualité sont suggérées simultanément, créant un terreau formidable pour le fantasme.
Je sors de ce premier feuilletage comme assommé. Pour son premier shooting, mon beau brun fait fort, très fort. J’essaie d’imaginer combien de nanas et de mecs vont voir ces images, le trouver canon, sexy, combien vont avoir envie de lui, et ça me donne le tournis.
Oui, le mec que j’aime va se faire mater par la France tout entière, et il va faire bander ou mouiller la France tout entière.
J’essaie de me rassurer en me disant que personne ne saura comment je sais le faire jouir et comment il me fait l’amour. Et que, surtout, personne ne saura rien du lien profond qui unit Ourson et P’tit Loup.
Samedi 06 novembre 2004.
A l’occasion de la onzième journée du Top16, la première rencontre de la saison entre les deux Stades se joue une nouvelle fois au stade Ernest-Wallon à Toulouse. Évidemment, je suis de la partie. Évidemment, mon cœur balance. A la fin du match, j’aimerais tellement voir chacun des deux adorables Toulousains gagnants et heureux. Mais je sais que quel que soit le score final, le gagnant rendra hommage à l’adversaire et ce dernier sera heureux pour l’exploit du premier.
Le match se solde par un 32-16 en faveur des Parigots. Après le coup de sifflet de fin, la première personne que Jérém va saluer, c’est Thibault.
Mardi 16 novembre 2004.
Pour l’anniversaire de Monica, nous organisons des retrouvailles de l’ancienne petite bande des premières années de fac. En guise de cadeau, Raphaël a eu une idée assez originale.
Après avoir déchiré le papier cadeau, ma camarade de fac est sonnée par la nudité d’Ulysse, frappée par tant de beautés mâles, et carrément terrassée par la présence de mon Jérém.
— Ah, mais regarde-moi celui-là, qu’est-ce qu’il est beau ! s’exclame Monica justement au sujet de mon beau brun.
— Je suis sûr qu’il doit en avoir une petite ! se marre Fabien.
— Avec un corps et une gueule pareille, je prends le risque ! décrète Monica.
— Voyons, comment il s’appelle ? s’enquête Cécile. Jérémie Tommasi, sacré mec, celui-là ! Il doit en lever des nanas !
Personne n’a tiqué sur le fait que Jérém est mon Jérém. Alors, je ne rétablis ni la vérité sur la taille de ses attributs, ni sur la nature de sa vie sexuelle, pas plus que je ne dévoile la nature de notre relation, chose qui pourrait encore affecter Cécile. Je me contente de sourire intérieurement.
Les filles butent également sur la photo de Jérém et Thibault.
— Tu t’imagines coincée entre les deux, là ? lance Monica. Ça ferait du bien, non ?
Là non plus, je ne relève pas, bien que ça me brûle les lèvres de leur dire non seulement que ces deux torses et ces deux pubis se sont approchés bien plus que ça, et ce à plusieurs reprises, mais qu’il m’est bel et bien arrivé de me retrouver coincé entre ces deux-là et qu’effectivement, ça fait sacrement du bien.
— Je me demande comment les responsables du club ont réussi à vendre ça à ces mecs, s’interroge Cécile. Se foutre à poil sur un calendrier vu par des millions de personnes, ce n’est pas rien !
— Mais attendez… fait Monica, comme foudroyée par une soudaine illumination.
Elle revient en arrière, elle cherche le mois d’avril. Jérém est toujours là, beau comme un Dieu, un Dieu dégageant une sensualité torride.
— Tu le kiffes, celui-là, hein, Monica ? fait Raphaël qui, lui, n’a pas eu d’illumination.
— Oui, je le kiffe, et je connais… je connais une… une copine qui le kiffe encore plus que moi, bref je me comprends.
Oui, Monica, nous nous comprenons très bien.
— A mon avis, l’année prochaine ça va être « avril » pendant douze mois, abonde Fabien.
Décembre 2004.
Début décembre, je vais faire changer les pneus de ma voiture dans un petit garage. La nana à l’accueil, la cinquantaine rayonnante, est à la fois avenante, efficace, arrangeante, et fort sympathique. De plus, elle semble avoir un goût certain en matière de garçons.
Nous ne sommes qu’en décembre, et pour elle, c’est déjà le printemps. Je réalise que le calendrier des Dieux du Stade est tout sauf un outil de gestion du temps, mais plutôt un objet dispensateur de bonheur. Et je réalise également que le fait de voir mon beau brun ainsi exposé aux regards et aux désirs suscite en moi un sentiment mélangé de fierté et de jalousie. Ce qui me rassure, c’est le fait qu’avec Jérém tout se passe toujours très bien et que nos retrouvailles sont toujours aussi intenses, complices, tendres, passionnées, sensuelles, sexuelles.
Lors de l’une de ces rencontres, Jérém tient sa promesse et m’apporte une copie du calendrier. Des lors, je peux le consulter à ma guise. C’est là que je me rends compte du paradoxe de ce calendrier. Sur le papier, ce recueil d’images de corps taillés à la serpe et de belles petites gueules est une idée de génie.
Et pourtant, passé le premier choc des images étudiées pour en mettre plein la vue, je réalise qu’au-delà de l’admiration esthétique de cette débauche de muscles, de pecs, d’abdos, de belles gueules, on oscille en permanence entre la fascination, l’excitation et la frustration. Une frustration qui vient d’un certain défaut de naturel de tous ces clichés. Sous la direction des photographes, les garçons prennent trop la pose, la mise en scène est trop marquée. Or, la bogossitude est la plus belle quand son expression est la plus naturelle qui soit. Oui, il manque quelque chose à ces clichés, et ce quelque chose est le naturel.
Ce n’est pas un hasard si les seuls garçons qui me font vraiment de l’effet dans ce calendrier ce sont ceux avec lesquels j’ai partagé du plaisir et de la tendresse, Jérém en tête et Thibault juste après, ou du moins que je connais en vrai, comme Ulysse. L’image figée sur le papier glacée est complétée par les souvenirs et les ressentis qui insufflent la « vie » qui manque à ces photos.
En ça, le DVD du « making of » est la véritable réussite du projet des Dieux du Stade. On y voit les garçons rigoler, se charrier, on voit leur complicité, leur joie de vivre, leur insouciance. C’est beau à en pleurer.
En regardant les images, j’ai également une pensée émue pour les techniciens qui s’affolent autour des athlètes dans leur plus simple appareil et je me demande comment ils arrivent à se concentrer. Et parmi tous les corps de métier impliqués dans ce shooting célébrant la beauté masculine, il y en a un qui me fascine tout particulièrement. Dans l’un des plans, on voit une nana à genou devant un jeune Dieu mâle, un pinceau à la main, en train de maquiller je ne sais pas trop quoi autour de sa virilité. Oui, il existe des professions tout aussi étonnantes, fascinantes, que méconnues.
Noël 2004 et jour de l’An 2005.
Comme il est coutume depuis quelques années désormais, nous passons les fêtes de fin d’année à Campan. Entre Noël et le jour de l’An, le sujet de la reprise de la pension de Charlène revient sur la table, bilans des dernières années et budgets prévisionnels à l’appui. Charlène souhaite louer les prés et les installations à un prix symbolique pour s’assurer un complément de retraite sans trop peser dans l’équilibre financier du projet. Elle présente Camille, la fille qui est pressentie pour reprendre la gérance de l’affaire.
— Je te fais entièrement confiance, Charlène, fait Jérém. L’important, c’est que cet endroit perdure. Ici, il y a toute une partie de mon enfance.
Comme je l’aime, mon adorable Jérém !
La montagne et la neige sont des ambiances propices à la magie de Noël. Pour moi, la magie de Noël est associée depuis quelques années à la magie de Campan, cet endroit où Jérém et moi, malgré les amis qui nous entourent, sommes en quelque sorte seuls, loin de tout. Campan est l’endroit qui n’est qu’à nous. C’est le refuge de notre amour. Oui, c’est l’endroit où Jérém m’a embrassé pour la première fois, mais aussi l’endroit où il a fait son premier coming out, l’endroit où il m’a dit « je t’aime » pour la première fois.
C’est l’endroit où cette année encore, nous sommes heureux comme nulle part ailleurs.
2005.
L’année 2005, s’ouvre sous les meilleurs auspices. Je valide mon premier semestre, et c’est également le cas de Jérém qui a enfin retrouvé le chemin de la fac.
Aussi, les premières rumeurs d’un nouvel album de Madonna commencent à circuler, il se murmure même qu’elle aurait contacté ABBA, faut oser, pour sampler l’un de ses morceaux, « Gimme ! Gimme ! Gimme ! ». Le but serait de réaliser le premier single d’un album aux sonorités disco qui devrait sortir vers la fin de l’année. Voilà de quoi me réjouir.
La carrière sportive de mon beau brun est au beau fixe, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. En ce début d’année, la belle petite gueule de Jérém est souvent dans la presse sportive. On l’annonce au plus haut niveau, on le dit assez gaillard pour aller jouer dans la cour des grands. Les grands, c’est le XV de France. Et la cour, c’est le Tournoi des Six Nations qui va bientôt débuter.
Jérém est euphorique à l’idée de jouer pour l’équipe de son pays.
— Le XV de France, tu imagines ? Moi, Tommasi, dans le XV de France !
Une euphorie relevée par un bon petit sentiment de revanche :
— Quand je pense qu’après mon accident j’ai vraiment cru que je ne rejouerais jamais au rugby !
Et encore de revanche :
— Ces cons de responsables toulousains vont se mordre les doigts de ne pas avoir voulu de moi !
Entre ses entraînements, au Stade et en Equipe de France, ses matches, ses cours, ses soirées et ses obligations mondaines, nous nous voyons peu. Pas assez, en tout cas, à mon goût.
Et pourtant, je suis heureux pour lui. Et je suis heureux tout court. Car rien, ni la distance, ni le temps passé loin l’un de l’autre, n’affaiblit notre amour. Bien au contraire.
Nous nous laissons libres de vivre ce que nous avons à vivre, mais finalement nous n’avons besoin de rien de plus. En tout cas pour moi. Je n’ai pas besoin d’aller voir ailleurs. Et même quand je suis à Bordeaux dans mon studio le soir, quand Jérém me manque horriblement, il me suffit de penser à lui, car je sais que quelque part dans ce monde, il existe un garçon pour qui je suis spécial. Je sais qu’il sera là pour moi si j’ai besoin de lui et il sait que je serai là s’il a besoin de moi.
Le Tournoi des Six Nations débute le 5 février 2005. La France joue contre l’Ecosse au Stade de France. Jérém ne fait pas partie de l’équipe sur le terrain, mais il est sur le banc des remplaçants.
Quant à moi, je suis en tribune avec Papa Tommasi, Maxime et Thibault.
Dès le début du match, je vois Jérém frémir, ronger son frein. Je sais qu’il crève d’envie d’être sur le terrain. La première mi-temps se termine sur un score assez équilibré. Au début de la deuxième, la France prend l’avantage. Vers le milieu de la mi-temps, l’ailier français se blesse. Et Jérém est appelé en remplacement.
Mon beau brun débarque sur le terrain l’air un peu intimidé, un peu perdu. Son attitude me rappelle celle qu’il avait lors du premier match télévisé de sa carrière, celle d’un petit mec dépassé par l’ambiance survoltée d’un stade rugissant.
Et pourtant, le petit mec se transforme vite en lion puissant. Il ne s’est pas écoulé cinq minutes depuis son entrée sur le terrain, lorsque, sur un passage de balle venant du magicien Ulysse, le jeune ailier prodige va au but. Le match se termine quelques minutes plus tard, sur un score de 9 à 16 en faveur des Français. Les trois points marqués par Jérém ne sont pas déterminants, certes. Mais ils ont au moins eu le mérite de montrer ce que le jeune Toulousain exilé à Paris a dans le ventre.
Une démonstration qui va lui valoir une place de titulaire dès le match suivant. Et le match suivant, ce n’est rien de moins que France-Angleterre. Il se joue le dimanche suivant, le 13 février, un an, jour pour jour, après nos retrouvailles à Biarritz.
La rencontre se tient au Stade de Twickenham à Londres. Le timing étant très court, je n’ai pas pu organiser mon déplacement. J’ai regardé le match à la télé avec Papa.
Les Français ont brillé pendant leur match, un match très musclé. Jérém a marqué quelques beaux points. Ulysse y a écopé du premier carton rouge de sa carrière. La deuxième mi-temps s’est achevée par un score de 18 à 17. Et la joie de Jérém à la fin du match, bien saisie par les caméras, donnait envie de pleurer tellement c'était beau.
Quinze jours plus tard, au Stade de France, le Pays de Galles a raison des Français qui s’inclinent sur un score de 24 à 18. Jérém est déçu. Je suis évidemment présent pour les deux mi-temps réglementaires, ainsi que pour la quatrième mi-temps sensuelle. Au cours de cette dernière, je me charge de lui remonter le moral au pieu, comme il se doit.
Il faudra attendre la quatrième journée du tournoi pour que les Français retrouvent le chemin de la victoire. Le 12 mars, c’est à Dublin que se joue France-Irlande, un match qui se termine avec un score triomphal de 29 à 16. Je suis là aussi présent pour les deux mi-temps réglementaires, ainsi que pour la quatrième mi-temps. Au cours de cette dernière, une fois encore, je me charge de fêter sa victoire au pieu, comme il se doit.
La dernière journée se joue la semaine suivante, au Stade Flaminio à Rome. Je m’y rends également pour assister à la victoire écrasante, presque un acharnement, du XV de France sur l'équipe d’Italie, la plus faible du tournoi, par 56 points à 13. Au final, la France est deuxième du classement du Tournoi des Six Nations, juste derrière le Pays de Galles.
Le lendemain, nous nous baladons dans la ville éternelle, tout en nous remémorant notre voyage deux ans plus tôt.
Avril 2005.
Au printemps, un dîner de retrouvailles de notre ancienne classe de lycée est organisé. Je ne me suis jamais vraiment senti à l’aise au lycée, et la perspective de retrouver mes anciens camarades ne me réjouit pas vraiment. Si j’y vais, c’est parce que Jérém y va. Et aussi pour retrouver ma copine Nadya.
Cette soirée est l’occasion de constater l’évolution des camarades d’antan. Certains sont partis dans de longues études, d’autres dans un emploi, ou dans un projet personnel. Certains sont bien rangés dans un couple, un mariage, certains ont même déjà des gosses, certains les ont même amenés à la soirée. D’autres ont une vie amoureuse plus chaotique.
Finalement, mes craintes de retrouver les angoisses du lycée se révèlent infondées. En quatre ans, nous avons tous grandi. Je me sens mieux, j’ai même l’impression qu’on s’intéresse à moi et à mes études, qu’on respecte mon parcours. Il reste un hic, évidemment, les questions autour de ma vie sentimentale. On ne manque pas de m’interroger à ce sujet, et je suis obligé de rester évasif, car je ne peux pas parler de mon bonheur avec Jérém. Il n’y a qu’une personne avec qui je vais arriver à m’exprimer librement.
— Je te trouve bien complice avec Tommasi, elle me glisse discrètement à un moment de la soirée, vous avez gardé une belle amitié.
Nadya s’est finalement mariée avec Malik, et ils sont les heureux parents d’un petit Sofiane. Finalement, ce fameux jour de notre retour du voyage d’Italie, cette pause dans la vigne, a été le moment fondateur de leur avenir commun.
— A toi, je peux dire la vérité, je me lance.
— Te fatigue pas, je la connais, la vérité !
— C’est vrai ?
— Tu as été fou de lui pendant tout le lycée.
— Oui, c’est ça !
— Et vous vous êtes trouvés depuis…
— Oui, c’était un peu avant le bac.
— Quand vous révisiez ensemble ?
— C’est ça.
— Et ça dure depuis ?
— Oui, oui, oui !
— Malgré la distance ?
— Oui.
— Malgré sa notoriété ?
— C’est pas toujours facile, mais on y arrive, en faisant quelques concessions.
— Tu es toujours aussi amoureux ?
— Plus que jamais !
— Et lui aussi ?
— Ce gars me rend heureux.
— Tu m’en vois ravie pour toi.
— Je sais. Je t’ai toujours considérée comme ma meilleure amie au lycée. D’ailleurs, ma seule amie.
— Je t’aime beaucoup Nico. Et j’aurais aimé que nous ayons cette discussion quand on était au lycée.
— Ça m’aurait fait du bien, je pense. Je me sentais tellement seul…
Évidemment, Jérém est plus que jamais la star de la soirée. On l’interroge sur sa carrière fulgurante, sur sa blessure, sur sa récente et spectaculaire intégration en Equipe de France à l’occasion du Tournoi des Six Nations, on le charrie au sujet des pouffes avec qui il s’affiche dans la presse à scandale et aussi au sujet du calendrier.
Je retrouve avec appréhension certains camarades, ceux qui étaient les plus insupportables avec moi, ceux qui m’insultaient, qui me traitaient de pédé. Au fond de moi, j’ai toujours peur qu’ils puissent recommencer à se payer ma tête. Mais très vite, je constate avec soulagement que les quelques années depuis le lycée semblent les avoir assagis. Si seulement ils avaient pu se calmer avant le bac ! Mais à l’époque on n’était encore que des gamins, surtout eux.
Le changement d’attitude de l’un d’entre eux, Sylvain, certainement le plus virulent à mon égard, notamment dans les vestiaires de sport, me frappe tout particulièrement. Le gars semble avoir perdu beaucoup de sa superbe, il me semble déjà marqué par la vie, j’ai l’impression qu’il n’est pas bien dans ses baskets. Son regard autrefois tour à tour sévère, ténébreux, insolent et moqueur, foncièrement charmeur, est désormais comme éteint. A l’époque du lycée, il me faisait peur, mais aussi très envie. Avec Jérém, c’était le gars le plus viril et sexy de notre classe. Il me fait toujours envie, malgré les quelques kilos en plus, et une allure pas vraiment soignée. Cependant, je dois admettre que le premier sentiment qu’il m’inspire est de la tendresse, suivi par une certaine peine, et pas mal de questionnements. J’aimerais pouvoir le faire parler. J’aimerais savoir ce qui l’a transformé à ce point.
Jadis toujours au centre de l’attention, Sylvain semble être devenu plutôt solitaire. Pendant la soirée, je le vois taciturne, et il ne semble pas vraiment se mélanger aux conversations avec ses anciens potes. Parfois, il est seul, l’air perdu. Il fume beaucoup, il boit encore plus. Je le trouve vulnérable, et je cherche l’occasion pour l’aborder et discuter un peu avec lui.
A ma grande surprise, c’est lui qui vient me parler. Il me questionne au sujet de mes études, il me parle vite fait de son travail d’ouvrier dans une usine. Il me parle de l’époque du lycée, il l’évoque comme d’une période heureuse de sa vie, période qu’il semble comparer avec l’actuelle, beaucoup moins heureuse. Il insiste tellement sur le bonheur du lycée, que je finis par lui balancer :
— Pour moi le lycée n’a pas vraiment été une période heureuse.
— Je me doute…
— Tu m’as rendu la vie assez difficile, je plaisante.
— Je sais, je suis désolé. J’étais vraiment un con à l’époque.
— T’en fais pas, c’est passé, je ne t’en veux pas. Enfin, je ne t’en veux plus.
— Je peux te poser une question ? il me lance de but en blanc.
— Ouais… dis toujours.
— Alors, c’est vrai ?
— C’est vrai, quoi ?
— Que tu es pédé ?
— Pédé ? je le reprends.
— Pardon, c’est pas ce que je voulais dire.
— On dit plutôt gay, ou homo…
— Désolé, je suis toujours aussi grossier.
Au lycée, Sylvain aurait été la dernière personne à qui je me serai confié. Mais ce soir, je ne sais pas pourquoi, je me sens à l’aise avec lui. Aussi, je me dis que pour faire parler les gens, il faut les mettre en confiance. Et se dévoiler est une bonne façon de mettre en confiance.
— Pour répondre à ta question, oui, c’est bien vrai. Ça me fait rire quand j’y repense, quand tu as commencé à me traiter de pédé au collège, je ne savais même pas encore ce que ça voulait dire.
— Je suis désolé de t’avoir fait autant chier.
— C’est passé, c’est oublié.
— Et c’est comment d’être P… enfin… homo ?
— Je ne sais pas, je le suis, je n’ai pas d’autre option pour essayer d’être heureux.
— Et tu as un mec ?
— Oui ! je réponds fièrement.
— Et il est comment ?
Ouf, il est moins perspicace que Nadya.
— C’est un beau garçon, nous sommes bien ensemble.
— C’est pas trop dur de supporter le regard des autres ?
— Si, mais on fait avec.
— Je ne pourrais jamais, jamais…
— Qu’est-ce que tu ne pourrais jamais ?
— Faire ce que tu fais…
— Quoi, coucher avec un mec ?
— Non, je parle d’assumer les regards…
— Pourquoi, coucher avec un mec tu pourrais ? je m’amuse.
— Non, non, non, non, non !
Beaucoup de « non » dans sa bouche, trop de « non » pour ne pas me demander qui il est en train d’essayer de convaincre, si c’est bien moi, ou bien lui.
— T’as pas cru que… il enchaîne, l’air effrayé.
— Non, non, je n’ai rien cru.
— Est-ce que j’ai l’air d’être…
— Non, non, non, pas du tout, je tente de le rassurer.
— Tu me kiffais au collège ? il me lance à brûle pourpoint.
— Ah, ça oui, je te kiffais au lycée !
— Tu avais envie de…
— Si au lieu de me harceler tu m’avais demandé une pipe, tu en aurais eu autant que tu voulais, si c’est ce que tu veux savoir !
— Je ne suis pas comme ça !
— Mais je te crois. Je dis juste ce qu’il en était, puisque tu me poses la question !
Sylvain demeure pensif, noyé dans les vapeurs de l’alcool. Il est très sexy, avec son regard toujours aussi sévère et ténébreux, mais aussi vulnérable. A cet instant précis, il me semble qu’il n’est vraiment pas bien dans sa peau, j’ai comme l’impression qu’il se retient de me balancer une réalité plus profonde, mais qu’il n’y arrive pas. J’ai l’impression qu’il est sur le point de craquer, et de pleurer.
Son attitude et ses questions m’intriguent, j’ai envie d’essayer d’en savoir plus.
— En tout cas, tu es toujours aussi sexy…
— J’ai grossi !
— Mais ça te va bien.
— Si tu le dis…
— Arrête, tu es un très beau gars, les nanas ça doit y aller ! Tu es maqué ?
— Non.
— Tu as des aventures, alors…
— Pas tant que ça…
— Tu cherches pas à en avoir ?
— Tu sais quoi, laisse tomber, il me balance, l’air agacé.
— Mais je ne fais que discuter… désolé si j’ai pu être indiscret, je tente de rattraper le coup.
— Va te faire baiser par ton pédé de mec et fiche-moi la paix !
— T’es toujours le même petit con qu’à 13 ans ! je me braque.
— Ta gueule !
Ce seront les derniers mots que nous échangerons de la soirée.
Mis à part ce petit accroc, ce dîner se révèle être une bonne soirée. C’est l’occasion de redécouvrir certaines personnalités, mais aussi de constater que le temps passe et ne s’arrête jamais.
Après la soirée, Jérém et moi dormons chez mes parents, qui sont fort heureux de nous avoir avec eux. Après l’amour, Jérém me glisse :
— Je t’ai vu discuter avec Sylvain…
— Il m’a demandé si j’étais pédé.
— Et tu lui as dit quoi ?
— Que c’était le cas.
— Tu ne lui as rien dit de plus, hein ?
— Non, t’inquiète.
— Merci.
— De rien. Tu sais, je ne l’ai pas trouvé très en forme.
— Bah, moi non plus. ai-je n’ai pas retrouvé le gars que je connaissais au lycée.
— Pareil pour moi. J’ai même eu l’impression qu’il voulait me dire quelque chose mais que ça ne sortait pas. Comme s’il avait du mal à assumer…
— Comme quoi ?
— Tu crois pas qu’il pourrait être comme nous ?
— Je ne sais pas… enfin… à vrai dire, j’ai toujours trouvé que dans les vestiaires il regardait beaucoup…
— C’est vrai ?
— On regarde tous dans les vestiaires, plus au moins. Mais parfois il m’a semblé qu’il regardait comme quelqu’un qui a envie…
— Il a l’air très malheureux. J’espère qu’il va trouver le moyen de remonter la pente.
Au cours du printemps, les matches s’enchaînent.
Le 30 avril, au Parc de Princes, c’est l’heure de l’un des plus gros matches de la saison, le Stade Français contre Stade Toulousain de fin de championnat. Ça se termine par un score de 40 à 19. Jérém, heureux de sa victoire, s’empresse d’aller saluer son Thib. Ce dernier a l’air déçu du résultat du match, et pourtant heureux pour son pote.
Trois semaines plus tard, le 22 mai, les deux potes se retrouvent à Édimbourg pour la finale de la coupe d’Europe. Avec un score de 18 à 12, le Stade Toulousain prend la revanche sur le Stade Français. Thibault, heureux de sa victoire, s’empresse à son tour d’aller saluer son Jé. Ce dernier a l’air déçu du résultat du match, et pourtant lui aussi heureux pour son pote.
Thibault est presque mal à l’aise vis-à-vis de Jérém, pour lui avoir ravi cette victoire prestigieuse. C’est ce qu’il nous avoue, après avoir laissé Jérém lui faire l’amour, et après avoir joui en moi à son tour.
— Quand on fait un beau match comme celui de cet après-midi, finit par trancher le jeune papa pour remonter le moral de Jérém, il n’y pas de perdant, mais un seul et unique gagnant, c’est le rugby.
Le 3 juin, les deux stades s’affrontent une nouvelle fois à l’occasion de la demi-finale du Top16. Ça se passe au Stade Jacques-Chaban-Delmas, à Bordeaux. Donc, pas de déplacement pour Nico ! Le Stade Français s’impose pour 23 à 18, et gagne sa place pour la finale.
Et c’est dans mon petit studio que lors de la quatrième mi-temps, je fais jouir mon beau brun pour célébrer sa victoire comme il se doit. Nous aurions bien ouvert les célébrations à Thibault aussi. Mais un impératif de progéniture malade l’appelait en urgence sur Toulouse.
La finale du Top16 se joue le 11 juin 2005 au Stade de France. Même après en avoir franchi plusieurs fois les portes, cette immense enceinte rugissante m’impression toujours autant. Aujourd’hui, le Stade Français rencontre le Biarritz Olympique. Le match est un choc des titans. Ça joue, ça marque des points à tout va. Aucune des deux équipes n’arrive vraiment à s’imposer, le score est de 31 à 31 à la fin du temps règlementaire. Il y a des prolongations, et ça se solde par un score de 34 à 37 en faveur des Basques. Jérém est hyper déçu, perdre en finale c’est rageant. Je tente de lui remonter le moral, mais sa morosité est tenace, au point d’anéantir sa libido. Et c’est pas peu dire. Il lui faut tout un weekend pour se remettre de sa contrariété, pour venir chercher un peu de tendresse dans mes bras.
En rentrant chez moi à Bordeaux, je repense au match, à l’équipe de Biarritz. Et, de fil en aiguille, aux retrouvailles avec Jérém à l’hôtel biarrot un an plus tôt, à Dorian et à M. Charles. Je suis saisi par l’envie de prendre des nouvelles, comme je l’avais promis à M. Charles en partant de l’hôtel. En fait, ça fait des mois que j’ai envie de le faire, mais je n’ai pas su trouver le bon moment.
— Hôtel Moderne Biarritz, bonjour !
C’est une voix inconnue qui répond au téléphone. Ce n’est ni celle de M. Charles, ni celle de Dorian. C’est peut-être celle de Lilian ?
— Bonjour, je m’appelle Nicolas, je souhaite m’entretenir avec M. Charles, s’il vous plaît.
— M. Charles ?
— Oui, le concierge.
— Mais M. Charles est parti.
— Il a pris sa retraite ?
— Non, il est parti, pour toujours. Il nous a quittés soudainement il y a environ deux mois.
Je suis abasourdi. Je reçois cette mauvaise nouvelle comme un coup de massue sur la tête.
— Et comment c’est arrivé ? je veux savoir, comme si ça changeait quelque chose, ou bien pour me donner le temps d’accuser le choc.
— Il semblerait qu’il ait fait un malaise dans son sommeil. C’est sa femme de ménage qui l’a retrouvé.
C’est la plus belle des façons de partir. Et la plus discrète. M. Charles est parti sur la pointe des pieds. C’est tout à son image. Fidèle à lui-même jusqu’au dernier souffle.
Je repense à ses derniers mots au moment de nous dire au revoir, l’année dernière. « Nous nous reverrons bientôt, Nicolas ». Hélas, le temps ne nous l’a pas permis. Ce n’est pas vrai. Le temps nous l’a permis. C’est moi qui n’ai pas su saisir l’occasion.
On pense toujours qu’on aura le temps de dire je t’aime aux personnes qui comptent et qu’on aura le temps de le leur montrer. Mais la vérité est que nous n’en savons rien, nous ignorons complètement le temps dont nous disposons et dont eux disposent. Il faut vivre chaque instant comme si c’était le dernier.
Après avoir raccroché, je repense à l’histoire de M. Charles, à sa philosophie de vie, à ses mots.
« Il ne faut pas se laisser happer par le quotidien, par la course du temps. Il faut savoir discerner les choses importantes de la vie, ce sont en général celles qui nous rendent heureux. Il faut vivre et aimer, sans attendre, sans se laisser envahir par ce qui est superflu. Il faut aussi un peu de chance. La chance, il faut parfois savoir la provoquer. Et il faut surtout la reconnaître et la saisir dès qu’elle pointe le bout de son nez ».
« Et rappelle-toi que le bonheur c’est surtout ne pas traverser cette vie tout seul. Le bonheur, c’est aimer. Le bonheur, c’est savoir qu’on est l’Elu du cœur de quelqu’un ».
Je repense à son Johan, les lettres d’amour, à son regret de ne pas avoir écouté son cœur. J’essaie d’imaginer ses jours heureux, ses souffrances, ses joies, ses bonheurs. Je lui suis très reconnaissant d’avoir partagé un peu de son histoire avec moi. Car dans mon souvenir, il continue à vivre.
Un homme s’éteint, un roman s’efface. Mais pas complètement, tant que quelqu’un se souvient de lui.
Un homme s’éteint et pourtant, la vie continue. La semaine suivante, je valide mon semestre. Jérém en fait de même.
Fin juin, nous partons en vacances tous les deux. Cette année, mon bobrun m’amène dans le Nord. Car, cette année, il a envie de rencontrer sa demi-fratrie.
Alice, la maman de Jérém, est super heureuse de nous accueillir. Jérém est très ému. Anaïs, sa demi-sœur, semble au premier abord une jeune fille timide. Mais une fois passé le cap du malaise de la rencontre avec ces inconnus, elle se révèle être une jeune fille qui aime être au centre de l’attention, et accaparer toutes les conversations. Elle est marrante, un peu envahissante, mais mignonne.
Mais la rencontre la plus touchante est celle avec Romain, le frère d’Anaïs, un adorable garçonnet âgé de 10 ans. Le petit mec reconnaît en Jérém le joueur de rugby.
— Et lui, c’est mon frère ? il s’étonne.
— Demi-frère, mais oui, c’est bien ton frère, lui explique Alice.
— Et toi, t’es qui ? il me lance, avec cette curiosité sans filtres propre aux enfants.
— Je suis un copain de ton frère, je reste neutre.
Nous restons trois jours chez Alice. Et pendant trois jours, Jérém et Romain sont inséparables. Jérém lui apprend les secrets du rugby professionnel, et le petit bout de chou lui pose plein de questions sur sa vie de rugbyman. Faute de maillot, Romain lui demande de lui dédicacer un t-shirt. Mais dès le lendemain, le grand frère amène le petit dans un magasin de sport et lui achète un maillot et un ballon de rugby.
« Pour mon petit frère. J.T. » griffonne-t-il sur les deux.
Pendant ces quelques jours chez Alice, nous dormons dans la même chambre, dans le même lit, mais nous ne faisons jamais l’amour. Nous faisons beaucoup de câlins.
— Je crois que j’ai fait la paix avec mon enfance, il me glisse, un soir. Et c’est grâce à toi, Nico.
Le dernier jour, au petit déj, Anaïs balance de but en blanc à Jérém :
— Pourquoi toi et Nico dormez dans le même lit ?
— Parce que nous sommes très amis, lui répond Jérém.
— Mais vous êtes deux garçons.
— Tu sais, fait Alice, rien n’interdit que deux garçons puissent dormir dans le même lit.
— Ah, d’accord…
— Mais ça, c’est un secret, et il ne faut pas le répéter, continue sa maman.
— Voilà, c’est notre secret, confirme Jérém.
— Et pourquoi, c’est un secret ?
— Parce qu’il y a des gens qui ne comprennent pas que deux garçons puissent dormir dans un même lit.
Après cette petite escale « famille », nous passons quelques jours à Deauville et à Etretat.
Mi-juillet, le nouveau shooting du calendrier des Dieux du Stade est programmé. Cette année, Jérém se prête au jeu avec plus d’enthousiasme, en tout cas avec moins d’appréhension. Dans sa bouche, ça a l’air d’une simple formalité.
Dans la foulée, les entraînements reprennent de plus belle, avec toujours la double casquette, Stade Français, XV de France. Le 20 août, c’est déjà la première journée du fraîchement renommé Top14. L’été, c’est déjà fini. Je profite des derniers jours avant la reprise des cours à la fac pour passer quelques jours à Gruissan.
D’autant plus que ma cousine Elodie y séjourne elle aussi, jusqu’à la fin du mois. Avec Philippe et Lucie, certes. Mais, en journée, Philippe peut s’occuper de Lucie. Et Elodie peut s’aménager quelques heures de plage, de balade et de discussions pour refaire le monde avec son cousin préféré, comme au bon vieux temps.
C’est tellement bon de la retrouver, de retrouver notre complicité, même si ce n’est que l’espace d’un après midi. Oui, c’est tellement bon de nous raconter en résumé nos trois dernières années, de nous balader sur la plage, de mater les mecs et nous dire ce qu’ils nous inspirent.
Septembre 2005.
Septembre arrive, avec ses dates anniversaire. Campan, la halle. J’entends encore le bruit de la pluie qui tombait drue sur le toit de la halle, je sens son odeur, je ressens le froid. Et je me souviens de tous ces papillons dans mon ventre, je me souviens de sa silhouette de dos, encapuchée, je me souviens de son premier regard, de son sourire. Et de son premier baiser.
Septembre arrive aussi avec d’autres anniversaires moins engageants, ceux du 11 et du 21 septembre. Et là, posé au beau milieu de ces deux anniversaires de catastrophes, le mien.
Le jeudi 15 septembre, j’ai 23 ans.
Cette année, Jérém est trop occupé pour pouvoir passer me faire un coucou. Mais nous nous voyons le week-end d’après, à Paris. J’ai alors droit à un beau cadeau, une belle montre de grande marque et hors de prix. Mais aussi à un très chic et très bon resto, où la tenue « correcte » est exigée. Je m’habille donc en costume, j’ai donc droit à Jérém en costume cravate, élégant et sexy à souhait. J’ai droit à un Jérém attentionné, heureux, épanoui, bien dans ses baskets, un Jérém à la conversation plaisante, à l’humour de plus en plus fin, à l’assurance de plus en plus marquée. J’ai aussi eu droit à ressentir une nouvelle fois la sensation que j’avais ressentie pour la première fois à Biarritz il y a un an et demi, quand je m’étais posé la question au sujet du fossé de maturité, d’avancement dans la vie qui était en train de se creuser entre lui et moi.
En attendant, j’ai également le droit de sucer Jérém en costard cravate, juste la queue sortie de sa braguette. J’ai le droit de le faire jouir dans cette tenue qui m’a toujours fait fantasmer. J’ai le droit de le voir se dessaper, de le sentir venir en moi, et de l’entendre souffler son nouvel orgasme tout près de ma nuque. Et j’ai le droit de m’endormir dans ses bras, bien au chaud dans ses bras.
Octobre 2005.
Septembre, c’est le mois des vendanges. Octobre, celui du Calendrier. Cette année encore, les Dieux du Stade s’illustrent dans un ouvrage décoiffant.
Déjà, la couverture porte un magnifique cliché d’un superbe mâle rugbymen Castrais. Le torse magnifiquement charpenté, parfaitement dessiné, bien symétrique, avec des épaules carrées, des pecs saillants, des abdos en bas-relief, des biceps rebondis à souhait, des plis de l’aine vertigineux, des cuisses d’enfer. Les mains du Jeune Dieux Mâle tiennent un ballon ovale juste devant sa virilité, mais à une hauteur savamment étudiée pour laisser dépasser le haut des poils pubiens. C’est la Splendeur Classique, le Faste Suprême de la Jeunesse, le Canon Ultime de la Perfection Masculine la plus pure. Une couverture qui annonce la couleur des « thématiques » abordées dans l’ouvrage dont elle est l’ambassadrice.
Car à l’intérieur, c’est une débauche de mâlitude, de jeunesse, de puissance, de muscles, de virilité. Tout cela manque comme toujours cruellement de sensualité, c’est le propre de l’image figée, du fait de prendre la pose, ce qui fait s’évaporer cet élan naturel qui est le plus grand charme d’un garçon. Mais, au-delà de ça, quel calendrier, ou plutôt, quel catalogue ! Un inventaire choisi de ce que le monde du rugby sait produire de plus magnifique.
Mon Jérém y apparaît dans deux clichés. Le premier, seul, et en noir et blanc, l’image saturée de lumière comme s’il était en plein soleil, ce qui doit être probablement le cas puisqu’il est appuyé contre une rambarde derrière laquelle on entrevoit des tribunes, probablement celles d'un stade de rugby. Le beau brun y apparaît de profil trois quart, la tête en arrière, les pecs bien saillants – et, oh sacrilège, la splendide toison brune de son torse réduite à néant, à tous les coups par le caprice d’une tête de con de directeur artistique qui a dû décréter que le poil mâle n’est pas vendeur – la main gauche juste à la limite du cadrage, laissant imaginer qu’elle pourrait tenir quelque chose, quelque chose qu’on ne voit pas. La photo est coupée à hauteur de ses premiers poils pubiens, l’image laisse la porte ouverte à toutes les spéculations. Les paupières baissées, les lèvres entrouvertes, la photo est chargée d’érotisme. On jurerait que c’est le portrait d’un garçon qui est en train de se faire sucer et qui prend bien son pied. Dans ce cas, ce quelque chose que sa main pourrait être en train de tenir, ça pourrait bien être…
Jérém apparaît dans un deuxième cliché, en compagnie de deux autre bomecs musclés. Le beau brun est au centre de l’image, de face, il couvre sa queue avec ses deux mains, et il fixe l’objectif de son regard très brun et aveuglant, avec tout ce qu’il peut dégager de charmeur, sensuel, insolent, allumeur. Quant aux deux autres petits mecs, ils sont tournés vers Jérém, mais de trois quarts, de façon qu’on peut en même temps apprécier leurs belles fesses rebondies bien offertes à la caméra, mais également leurs belles petites gueules. Ils saisissent chacun d’une main le biceps de Jérém le plus proche, l’air d’avoir été, une fois de plus, surpris par la caméra.
Il me semble que la symbolique sexuelle est assez flagrante. Jérém est le plus viril des trois mecs, le plus assumé aussi à l’évidence, car il semble le seul des trois à ne pas avoir été « effarouché » par l’arrivée de l’objectif. On imagine bien ces deux petits mâles sur le point de s’offrir à tour de rôle à sa virilité. Ou, alors, c’est moi qui ai les idées mal placées.
Les réalisateurs de ce calendrier doivent bien se rendre compte du caractère éminemment homoérotique de certaines images et attitudes. C’est peut-être un effet recherché.
Ulysse apparaît également dans cette édition, accoudé à une échelle en métal, la main droite abandonnée dans le vide, tous pecs et abdos et biceps et belle barbe blonde dehors, le ballon plaqué d’une main contre sa virilité, mais sans oublier de bien laisser dépasser le poil pubien (à l’évidence le seul poil male toléré dans cette édition), beau comme un Dieu, à craquer, à croquer.
Le grand absent de cette édition, est Thibault. L’adorable pompier m’a avoué un jour ne pas s’être senti à l’aise dans cet exercice. Et de ne pas avoir l’intention de renouveler l’expérience. Il ne reviendra jamais sur sa décision.
Samedi 15 octobre 2005.
La veille de son anniversaire, et à l’occasion de la 9ème journée du Top14, Jérém retrouve Thibault sur la pelouse du Stade de France. Le choc entre les deux poids lourds du rugby français fait trembler pendant 80 minutes l’immense anneau de la Plaine Saint Denis. Et il se termine par la victoire du Stade Français par 29 à 15.
Comme d’habitude, nous retrouvons avec bonheur notre pote Thibault lors de la quatrième mi-temps sensuelle entre garçons. Ce que nous ne savons pas encore, c’est que ce sera la dernière fois que Thibault partagera une nuit avec Jérém et moi.
Dimanche 16 octobre 2005.
Jérém a 24 ans. Pour l’après-midi, il a prévu quelque chose d’inattendu. A ma grande surprise, il me propose d’aller au cinéma. Une proposition déjà étonnante en soi, venant de mon beau brun, mais qui semble devenir surréaliste lorsqu’il m’annonce le titre du film qu’il a envie d’aller voir.
Ennis et Jack sont presque encore des enfants lorsqu’ils se rencontrent. Ils ont 19 ans, viennent d’une Amérique rurale où on ne parle pas de ses sentiments, et encore moins de ceux entre hommes.
Quelques semaines de bonheur durant l'été 1963 au cœur d’une nature grandiose, loin de la société des hommes et de ses convenances, suivies de deux décennies de solitude et de souffrance où leurs retrouvailles régulières et clandestines ne feront que souligner le manque de l’autre.
Le propos va bien au-delà du simple "western homo" comme certains média qualifient le film, ou de la boutade d’un animateur télé qui plaisantera, des années plus tard : « voir deux cowboys qui s’enculent dans un film, ça c’est pas banal ! ».
Dans ce film, il est question de la difficulté d’aimer, de la douleur qui résulte d’un amour impossible mais contre lequel on ne peut pas lutter. Il est par-dessus tout question du manque : « J'en crève de douleur, t'as pas idée à quel point j'en crève" dit Jack à Ennis peu avant le tragique dénouement de l’histoire.
Jake Gyllenhaal et Heath Ledger sont beaux comme des Dieux. Et ils livrent ici une immense interprétation. Je pense aux regards doux et amoureux de Jack, mais aussi, et surtout, aux mâchoires serrées d'Ennis, à son mutisme qui traduisent son insurmontable malaise. Les deux jeunes acteurs sont d’une justesse incroyable et transmettent les émotions de leurs personnages d’un simple regard, d’un mouvement de tête, d’un sourire à peine esquissé. La réalisation, les décors, la musique, tout est réuni pour bouleverser le spectateur. A un moment, j’aurais juré que Jérém avait cherché ma main dans le noir.
Je sors abasourdi de la projection. Je n’ai qu’une envie, c’est de revoir ce film. Je le reverrai plusieurs fois par la suite. Et à chaque fois je me dirai que je voudrais ne pas déjà connaître l’histoire et ses personnages pour retrouver l’émotion de la toute première découverte. Et à chaque fois je me dirais que je voudrais que Jérém soit là, avec moi, comme pendant cette toute première fois. Hélas, ce ne sera jamais le cas.
Lorsque les lumières s’allument, Jérém s’essuie vite le visage. Il a pleuré, lui aussi.
Le film est d’une beauté saisissante, mais il est également empreint d’une profonde tristesse.
Je me demande si notre histoire ne va pas se terminer comme celle de Jack et d’Ennis. Je ne pense pas à une fin tragique, non. Je ne pense pas non plus que Jérém veuille se marier un jour, ou avoir des enfants. Encore que, nous n’en avons jamais parlé, et je ne connais pas du tout ses attentes à ce sujet. Peut-être devrais-je aborder le sujet ?
— Tu voudras un jour avoir des enfants ? je m’entends lui demander, le soir même.
— Pourquoi, tu veux m’en faire ? il plaisante.
— Si seulement je pouvais…
Il sourit.
— Je parle sérieusement. Tu y as déjà pensé ?
— Je ne sais pas trop.
— Rassure-moi, tu vas pas me quitter pour marier une nana et l’engrosser ?
— Et toi, tu en veux des gosses ?
— Je ne crois pas, je m’entends lui répondre.
— Et ben, moi non plus, alors. L’affaire est réglée.
Oui, cette affaire semble réglée. Mais toutes ne le sont pas pour autant. Car c’est sur d’autres sujets que notre histoire me semble être placée sur la même trajectoire que celle de Jack et d’Ennis. Comme la perspective de ne jamais pouvoir vivre notre relation au grand jour, de devoir toujours faire attention, surveiller nos arrières, du moins tant qu’il sera rugbyman professionnel.
Certes, nous avons des familles qui nous soutiennent. Mais je pense que Jérém ne voudra jamais qu’on s’installe ensemble. Dans un an, je vais terminer mes études, et chercher du taf. Je voudrais me rapprocher de Paris, me rapprocher de lui. J’ai essayé de lui en parler, mais il a botté en touche à chaque fois, en disant que nous sommes bien ainsi, que ce qui importe n’est pas la quantité mais la qualité des moments que nous passons ensemble.
Il a certainement raison. Les moments que nous passons ensemble, ce sont des feux d’artifices. Mais qu’il est sombre, triste et mélancolique, le ciel, entre deux de ces feux d’artifice !
Ce soir encore, nous faisons l’amour. Ce soir encore j’oublie mes questionnements et j’apprécie ce bonheur avec le garçon, avec l’homme que j’aime.
Le lendemain de l’anniversaire de Jérém, le nouveau single de Madonna, « Hung Up », est sur les ondes. Porté par une rhythmique splendide et sublimé par le fameux sample d’Abba, la chanson marche dans les pas des Géants, elle se situe dans les pas de Holiday, Express Yourself, Vogue, Frozen et American Life. Le clip révèle une Madonna magnifique et triomphante à l’aune de ses cinquante ans.
Novembre 2005.
Les obligations sportives et mondaines de Jérém sont de plus en plus nombreuses. En ce mois de novembre, nous n’arrivons pas à trouver un moment pour nous voir.
Heureusement, Madonna vient à la rescousse pour rattraper ce mois où la météo maussade ajoute une couche épaisse à ma tristesse. Le nouvel album « Confessions on a dancefloor » sort le 14. Les douze chansons du CD sont enchaînées à la façon d’une mixtape de DJ. C’est dansant, gai, ça donne une pêche folle. Le son est à la fois délicieusement rétro et résolument futuriste. C’est frais et éphémère comme un verre de soda glacé en plein été.
« Confessions on a dance floor » demeurera probablement à tout jamais le dernier album avec lequel Madonna a mis tout le monde d’accord. Ses fans de toute époque et de toute sensibilité, ses fans avec les Moldus, les consommateurs de musique « qui passe en radio », les Moldus avec les Détraqueurs de la critique, les Détraqueurs avec les Gobelins de l’industrie musicale. Fin 2005, Madonna était à la télé, à la radio, dans les journaux – et sur Internet aussi – comme à la grande époque de ses débuts. Un véritable coup de maître, inégalé à ce jour.
Décembre 2005.
L’avion survole la Manche, puis le Royaume Uni transversalement du sud au nord. Il atteint la mer du Nord lorsque le jour commence à décliner. Le ciel est assez dégagé pour nous permettre de voir des morceaux de glace flottant dans la mer.
Nous atterrissons à Reykjavik vers 17h00, et il fait déjà nuit profonde. Il y a de la neige. Pas beaucoup, une dizaine de centimètres, et elle est glacée. Et pourtant, il ne fait pas aussi froid qu’on ne l’aurait imaginé. Merci le courant du Golfe.
Jérém sourit, il est tout excité, un peu perdu, j’aime le voir comme ça.
L’aéroport de Reykjavik est un tout petit terminal. Les écrans sont vides, notre avion est vraisemblablement le dernier de la journée. D’ailleurs, les quelques boutiques et bars sont en train de baisser le rideau. A part nos compagnons de voyage qui s’empressent de quitter les lieux, le site est presque désert.
Nous louons une voiture et un GPS, ce dernier étant l’indispensable compagnon dans un pays aux toponymes littéralement imprononçables et qui ne comporte qu’une seule véritable route, celle qui fait le tour de l’île. Le reste du réseau étant constitué de pistes souvent non goudronnées.
L’hôtel est situé dans le centre de Reykjavik. A l’accueil, nous nous renseignons sur les « northern lights ». Le réceptionniste nous explique que pour que les aurores boréales se produisent, il faut une émission de particules solaires associée à un vent du nord. Aussi, il faut un ciel dégagé pour les observer. Ce soir, hélas, aucune de ces conditions ne sont réunies.
Nous sortons dîner. Nous nous baladons dans une rue animée de la capitale, et nous choisissons un établissement qui a l’air d’être un resto gastronomique islandais. L’ambiance est feutrée, chaleureuse. Le repas comporte beaucoup de poisson, et c’est plutôt bon. Le serveur est charmant, et ça, ça ne se refuse pas.
Un vent glacial balaie les routes lorsque nous quittons le restaurant. Le retour à l’hôtel se fait au pas de course, le vent soufflant dans notre dos. La chambre nous accueille, et nous nous réchauffons en faisant l’amour. Rien ne sait réchauffer le corps comme le torse de mon beau brun sur mon dos, comme sa queue coulissant entre mes fesses, comme ses mains saisissant mes épaules, mes bras, mes hanches, comme son souffle haletant dans mon cou, comme l’intense vibration de son orgasme. Tout comme rien ne sait réchauffer mon esprit comme ses baisers et ses câlins après l’amour.
A cette saison, en Islande, il fait plein jour à 11 heures. Quant à la nuit, elle tombe vers 17 heures, ce qui laisse 5-6 heures de lumière naturelle par jour. Tout cela à condition que le ciel soit dégagé, ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui. Non, le mois de décembre ce n’est pas la meilleure saison pour visiter l’Islande. Quoique, cette contrainte de la longue nuit n’est pas dénuée d’un certain charme. Et puis, si on veut voir des aurores boréales, c’est précisément à cette saison qu’elles se produisent.
A 9h30, il fait encore nuit noire. Nous avons choisi de voyager la nuit pour profiter de notre destination dès le lever du jour. La route que nous empruntons une fois quitté Reykjavik est verglacée et enneigée. De plus, une tempête de neige nous accompagne sans défaillir. Nous croisons une voiture tous les quarts d’heure environ, on ne peut pas dire que la circulation soit chaotique. Je me demande s’il faut bien continuer.
Après une heure de route, le ciel nuageux commence à laisser passer quelques timides rayons de lumière. Nos yeux sont éblouis par le paysage qui commence à se dessiner autour d’eux. Nous recevons de plein fouet toute cette beauté. Jérém est fasciné, et il ne cesse de s'émerveiller. Et moi avec lui. J'adore le voir emballé.
Je suis tellement heureux d’être ici avec Jérém. Cet endroit, me rappelle Campan, l’hiver. Je sens que ça va être un autre voyage mémorable en compagnie de mon beau brun.
Nous traversons le parc de Pingevillir. Le soleil commence à se lever et nous apercevons de vastes prairies grillagées peuplées de troupeaux de petits chevaux amassés au bord des clôtures pour se protéger du vent déchaîné.
Les quelques fermes sont espacées de parfois plusieurs kilomètres. On ne peut pas vraiment dire que l’agriculteur islandais soit gêné par son voisin. Nous devinons facilement que tout ce charme verglacé doit quand même être rude à assumer au quotidien.
Au fil des kilomètres, les prairies laissent la place à des espaces à l’aspect lunaire, où l’eau ruisselante et le minéral se livrent bataille et ne permettent aucune végétation spontanée. Nous réalisons qu’il n’y a pas d’arbres sur cette île, nulle part.
A l’entrée du site de Geysir, les panneaux explicatifs nous racontent que le grand jet original qui faisait jusqu’à 80 mètres d’envergure est aujourd’hui éteint. Mais qu’un jet plus petit, appelé Strokkur, d’une vingtaine de mètres, se manifeste toutes les cinq minutes environ.
Le site est parsemé de petits bassins où l’eau chaude circule. Une forte odeur de soufre monte aux narines. Et au milieu de tout ça, le fameux jet, la star du site, se prépare à nous éblouir. Avec pas mal d’autres touristes, nous faisons le pied de grue pour l’apercevoir.
Au fond du petit cratère, nous observons l’eau bouillonner, monter, refluer. Jusqu’à ce qu’une cloche d'eau d'un bleu turquoise se forme, grandisse jusqu'à exploser et se transforme en un puissant jet d'eau bouillante qui jaillit des entrailles de la Terre.
Geysir
En fin de matinée, nous reprenons la route en direction des chutes d’eau de Gulfoss. Sur le site, la météo est épouvantable. Lorsque j’ouvre la porte du véhicule, une rafale de vent me la renvoie à la figure. Le blizzard est terrible. Nous prenons notre courage à deux mains, nous passons blouson, gants, écharpe, bonnet, lunettes.
Gullfoss est une cascade spectaculaire de par sa taille et sa configuration. Il s'agit en fait de deux cascades successives sur la rivière Hvítá, se jetant dans un canyon glacé. Le rugissement de l’eau est saisissant. Le paysage est somptueux. La nature révèle toute sa puissance.
Un long escalier envahi par la glace conduit au plus près de chutes. Nous avançons lentement, car chaque pas est dangereux. Nous arrivons en bas de l’escalier et c’est sur les dernières marches que je glisse. Je me cogne les fesses, la tête, le coude.
Jérém vient à mon secours. Je me relève rapidement, mais je suis quand même sonné.
Gulfoss
Devant l’écume qui nous gèle le visage, nous nous faisons prendre en photo par un touriste.
Nous reprenons la route avec l’intention de rejoindre la côte sud avant la nuit pour trouver un hébergement. Car, à part pour la première et la dernière nuit, je n’ai pas fait de réservation. En effet, d’après le guide touristique que j’ai acheté pour préparer ce voyage, en Islande on trouverait des hébergements partout et leur emplacement serait très bien signalé. Et j’y ai cru.
Le guide nous indique des hôtels dans le sud, le long de la Route n. 1. Nous n’avançons pas vite mais l’après-midi, lui, oui. A 16h30, la nuit islandaise commence à déployer son manteau de ténèbres sur le magnifique paysage qui nous entoure.
Nous essayons d’appeler deux hôtels conseillés pas le GPS, sans succès. Dans un village près de la côte, nous trouvons enfin une chambre d’hôte. Sigga, la propriétaire, une dame plutôt avenante, nous propose même de nous faire à dîner. Pendant qu’elle s’affaire en cuisine, je lui demande si cette nuit est propice pour les aurores boréales. Elle se connecte à un site de prévisions, mais hélas, les conditions ne sont à nouveau pas réunies.
Sigga et son mari mettent tous les plats sur la table et s’asseyent avec nous. C’est la bonne franquette, et c’est super comme ça. A table, nous sommes interrogés sur nos activités en France. Lorsque Jérém parle de sa carrière au rugby, le mari de Sigga s’illumine. Car il adore le rugby. Et ça met une super ambiance.
Le soir s’étire autour de conversations diverses, mais le fait de ne pas tout comprendre et d’avoir du mal à s’exprimer ça fatigue son homme. Nous allons au lit de bonne heure. La maison est plongée dans le silence, nos hôtes sont partis au lit aussi. Ce soir, nous sommes épuisés et nous nous contentons de câlins. Qu’est-ce que j’aime être en vacances avec Jérém, et particulièrement dans ce pays où il ne risque pas d’être reconnu, où nous sommes comme seuls au monde !
Ici, loin de tout, le beau brun est détendu, heureux, fougueux, passionné. Tout ce que j’aime chez lui.
Le lendemain, nous empruntons à nouveau la fameuse Route n. 1 vers l’est. A notre droite l’océan, à gauche, la montagne, des volcans, des glaciers, des chutes d’eau. L’île est située sur une faille géologique, elle a été façonnée par les volcans et elle est encore jeune, elle frémit de toute part comme tout être jeune et gaillard.
Il n’y a pas de mots pour décrire Jokusarlon, un site situé au sud-est où le plus grand glacier d’Islande glisse lentement dans la mer. Même les photos ont du mal à restituer l'immensité du site. Les morceaux de glace flottant dans l’eau glacée prennent une couleur bleu azur complètement surréaliste.
Youkusarlon
Nous avons la chance inouïe d’assister à l’instant où un grand pan de glace décide de se détacher du glacier et de tomber au beau milieu du canal. Le craquement produit par cette puissante scission nous prend aux tripes, telle une démonstration de force de la nature sauvage et indomptée de cette île.
La chute de cet énorme bloc de glace provoque un grand remous dans le canal. Les petits icebergs s’entrechoquent. Et dans leur voyage vers la mer, ils fondent lentement.
Sur le retour, nous nous arrêtons sur le site de Svartifoss. Il est déjà le milieu de l’après-midi, nous devons nous dépêcher car les indications au parking indiquent quarante minutes de marche pour atteindre la chute d’eau. Plus nous avançons, plus le chemin est étroit, escarpé et verglacé. Jérém marche devant moi. Puis, à un moment je le vois tomber, atterrir sur ses fesses, et glisser tout droit vers le ravin. Il arrive à se rattraper de justesse à un buisson et à se remettre debout. Je me demande si c’est bien prudent de continuer.
— Nous sommes presque arrivés, alors nous n’allons pas renoncer si près du but ! tranche mon beau brun.
Il a raison. N’empêche que nous risquons l’accident à tout moment, avec la nuit qui n’est pas loin et à plus de trente minutes du parking.
Et là, au détour d’un virage, la cascade apparaît enfin. Et en effet, ça valait le détour. Derrière la chute d’eau, une conformation rocheuse rappelle de près la forme d’un orgue d’église. Cette cascade est particulièrement spectaculaire.
Svartifoss
Mais déjà à nouveau la nuit islandaise nous guette. Nous nous empressons de revenir au parking, et cette fois ci nous arrivons à éviter la glissade.
De retour chez Sigga pour la nuit, une belle surprise nous attend. Nos hôtes ont mis en route le jacuzzi. Après le dîner, nous sommes invités à le tester.
Voici le tableau : un soir de décembre, en Islande, un manteau de neige étalé partout autour de nous, il fait -2 degrés. Et Jérém et moi, dans un jacuzzi posé sous un abri dans le jardin et chauffé avec la chaleur du sol !
Si on pouvait craindre d’avoir froid, nos inquiétudes sont rapidement dissipées. L’eau est super chaude. C’est super agréable, et très romantique. C’est un instant parfait. Nous sommes si bien, et nous sommes seuls, nos hôtes nous ayant annoncé leur intention d’aller au lit. Jérém vient m’embrasser, longuement.
Ce soir encore, c’est raté pour les « northern light ». Mais un Jérém amoureux et amant fougueux, capable, en l’espace de quelques minutes, de gicler dans ma bouche et de recommencer entre mes fesses, est un « lot de consolation » plutôt agréable.
Le lendemain matin, après avoir dit au revoir à Sigga et à son mari, nous partons en direction de la presqu'île de Dyrhólaey et des falaises Reynisfjall.
Dyrhólaey
Alors que l’océan est déchaîné, nous descendons jusqu’à la plage de sable noir. Pendant que je prends la pose devant l’objectif de Jérém, une grande vague s’abat sur la plage et arrive jusqu’à nous. Comme à l’Ile de Ré, nous sommes trempés, mais nous restons encore quelques minutes pour assister au lever de soleil sur ce site unique.
Quelques heures plus tard, sur la route de la capitale le soleil se pointe enfin, il se fait sentir sur la peau à travers les vitres du 4*4. Sa lumière puissante fait briller la neige omniprésente autour de nous.
A l’approche de Reykjavik, d’immenses colonnes de vapeur jalonnent le paysage. Plus prosaïques, d’énormes tuyaux collecteurs d’eau chaude zigzaguent sur le sol pour acheminer la chaleur de la terre jusqu’aux foyers de la capitale.
Ce soir, une certaine mélancolie envahit mon cœur. Dans quelques heures nous prendrons l’avion qui nous amènera loin de cette terre faite d’eau, de feu, de roche, de glace, un lieu en équilibre précaire entre le jour et la nuit, la chaleur et le froid. Cette ambiance de bout du monde va me manquer.
Ce soir, une petite déception s’ajoute à ma tristesse. A l’hôtel on nous informe que cette nuit non plus il n’y aura rien à voir côté aurores boréales. Le ciel est dégagé, mais il n’y a pas le vent du nord et le soleil n’envoie pas ce qu’il faut.
Cette nuit, il n’y a que la présence de mon beau brun pour rendre ces dernières heures plus supportables. Sa fougue et sa tendresse sont pour moi aussi belles que des aurores boréales.
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