28 Décembre 2023
Toulouse, le lundi 04 décembre 2017.
Cet été, je me suis brièvement rebranché sur l’application, et j’ai eu quelques aventures. Je n’ai pas pris de gros risque, et il n’y a jamais eu d’accident majeur. Mais en cette fin d’année, l’envie m’a pris de faire un dépistage. Je me rends donc tout naturellement au dispensaire de l’hôpital de La Grave pour faire les prises de sang.
C’est toujours un brin intimidant de s’approcher de cette structure à la coupole majestueuse, de rentrer dans ses entrailles aseptisées et bardées d’affiches de prévention, pour faire un dépistage « anonyme ». L’anonymat a été une très bonne « trouvaille » pour diffuser le dépistage, à une époque où les MST, et le SIDA en particulier, étaient objets de discrimination et de rejet.
Certes, l’anonymat protège, mais il est également facteur de « ghettoïsation ». L’anonymat me fait me sentir un peu honteux, un peu coupable. Comme si j’avais quelque chose à cacher, quelque chose à me reprocher.
En réalité, il n’en est rien. Se dépister, c’est prendre soin de soi-même et des autres. C’est un simple geste citoyen. On devrait y aller la tête haute. La honte ne devrait pas s’ajouter à l’inquiétude. L’anonymat, c’est la conséquence du regard hostile de la société.
Au centre, le personnel est exquis, tout le monde fait un boulot nécessaire et précieux. Mais il est toujours difficile d’affronter le regard de l’infirmière qui vous reçoit pour la prise en charge, de répondre à ses questions, dont certaines assez intimes, puis de répondre à nouveau aux mêmes questions de celui ou à celle qui nous fait la prise de sang. On est obligés de se « mettre à nu » à plusieurs reprises, et l’exercice est loin d’être anodin.
Et puis, il y a l’attente. 48 heures. C’est court et interminable à la fois. Une fois de plus, je m’accroche à l’idée que je n’ai pas grand-chose à craindre. Mais le risque zéro n’existe pas. Alors, sait-on jamais. Désormais, je compte les heures jusqu’au rendez-vous de remise des résultats.
Toulouse, le mercredi 06 décembre 2017.
Le jour est enfin arrivé, et l’heure approche. Dans quelques minutes, je vais en avoir le cœur net. En traversant le pont Saint Pierre, je trouve que le vent souffle très fort aujourd’hui sur la Garonne.
En m’approchant de la coupole, je sens une certaine appréhension s’emparer de moi, malgré moi. Au moment de passer la porte vitrée de l’hôpital, j’ai le cœur qui fait de grands bonds dans ma poitrine.
Mais lorsque j’arrive dans la salle d’attente, j’ai l’impression que, soudain, il s’arrête de battre.
Car, assis tout seul dans un coin, le garçon au blouson bleu est là.
Someone in the crowd could be the one you need to know
Quelqu'un dans la foule pourrait être celui que vous devez connaître
The one to finally lift you off the ground
Celui qui te fera enfin décoller du sol
Il n’y a pas de foule, il y a juste le garçon au blouson bleu. Mais c’est une fulguration. Au plus profond de moi, je suis saisi par la certitude que ce garçon est celui que je dois connaître, celui qui me fera enfin décoller du sol.
En attendant, le garçon au blouson bleu est un petit brun à la peau mate, avec un brushing très sage, très naturel, très masculin, les cheveux courts tout simplement peignés vers l’avant. Il a l’air plutôt jeune, 23-25 ans, je dirais. Et il est mignon, terriblement mignon. Il a l’air d’un garçon très doux, un garçon a qui j’ai instantanément envie de faire des tonnes de câlins.
Je croise son regard. Dans ses grands yeux un peu tristes j’ai l’impression de lire la même fébrilité due à l’attente de ses résultats qui m’habite. Je le trouve hyper touchant.
Je croise son regard et je suis instantanément aimanté. Et j’ai l’impression que le sien est tout autant aimanté par le mien. J’ai l’impression que le courant passe d’emblée, que la connexion est faite sans besoin de rentrer de mot de passe. C’est la première fois que je ressens ça avec un garçon.
Même avec Jérém la connexion ne s’était pas établie si vite. Enfin, si, elle l’avait été, en ce premier jour du lycée. Mais, justement, il fallait un mot de passe, et il m’a fallu trois ans pour le trouver.
Certes, le contexte est différent. Mais ça ne m’empêche pas de me sentir transporté par l’intensité réciproque de nos regards.
Je sens d’infinis frissons m’envahir. Je ressens un besoin irrépressible d’aller vers lui, d’aller lui parler, de faire sa connaissance. Et de le prendre dans mes bras. Ça fait longtemps, très longtemps, que mon cœur n’a pas battu aussi fort pour un garçon.
Puis, une porte s’ouvre, un mec en sort, les feuilles de son dépistage à la main. Il a l’air décomposé. Il est suivi d’un médecin qui lui glisse : « Et surtout ne tardez pas à prendre rendez-vous pour le suivi. Plus vite on commence le traitement, mieux vous allez vous en sortir. Il n’y a rien de catastrophique, mais il faut réagir au plus vite ».
J’ignore par quelle MST ce garçon a été contaminé. Mais, soudainement, je sens mon inquiétude monter d’un cran. Ça me rappelle violemment qu’un dépistage peut annoncer de mauvaises nouvelles, et même changer le cours d’une vie.
Le garçon part sans rien répondre aux mots bienveillants du médecin. La blouse blanche regarde sa feuille et appelle le « numéro de dossier » suivant. C’est ça qui est bizarre aussi, dans l’anonymat. Quand on est dans l’anonymat, on n’est plus des individus, mais des « numéros de dossier ».
Le garçon au blouson bleu bondit aussitôt de son siège et suit le médecin dans son bureau. Le petit mec n’est pas très grand, moins d’un mètre soixante-dix je dirais, et il a l’air de rentrer dans cette catégorie de p’tits mecs que j’appelle volontiers les « petits formats très bien proportionnés ».
Le contact avec son regard est rompu, mais son éblouissement demeure, comme après avoir fixé le soleil trop longtemps. J’ai les jambes en coton. Dans le ventre, un tambour de machine à laver en mode essorage.
Je regarde la porte du bureau se refermer et faire disparaître le blouson bleu de ma vue. J’espère vraiment que tout va bien se passer pour lui. Soudain, je suis inquiet pour un inconnu. Techniquement, ce n’est plus un inconnu. Je crois que j’ai lu plus de choses dans son regard, et lui dans le mien, que si on avait parlé pendant des heures.
Il faut absolument que je trouve un moyen de l’approcher, de lui parler. Le fait est qu’après lui, il n’y a que moi. Lorsqu’il sortira, je serai aussitôt appelé, et je n’aurai pas le temps de l’aborder. Il faut que je trouve le moyen de le retenir. Mais comment ?
Tout se passe très vite. Le garçon au blouson bleu ressort une poignée de minutes plus tard, et il a l’air beaucoup plus détendu qu’auparavant. Il faut y aller, Nico, il faut y aller !
— Tout s’est bien passé ? je le questionne, au culot, alors que le médecin appelle déjà mon numéro.
— Très bien, merci.
Sa voix est douce, elle transpire la gentillesse et une certaine timidité. Définitivement, ce petit gars me plaît vraiment beaucoup. Plus que jamais, je voudrais trouver le moyen de lui donner rendez-vous, de ne pas rater ce rendez-vous avec le Destin.
Mais déjà du coin de l’œil je vois la blouse blanche s’impatienter.
— Bon courage, me lance le garçon au blouson bleu, avec un sourire doux et charmant.
— Merci…
Vite Nico, trouve le moyen de forcer ce putain de Destin, va droit au but, tente-le, soit ça passe, soit ça casse !
— Tu m’attends ? je m’entends lui lancer, droit au tutoiement, comme si on avait gardé les vaches ensemble.
— Quoi ? il réagit, visiblement interloqué par ma démarche.
— Allez, Monsieur, venez en consultation, me presse le médecin.
— Attends-moi une minute, attends-moi, ok ? S’il te plaît…
Dans le petit bureau, le médecin m’annonce tout de suite que je suis clean. L’essentiel étant spoilé, je voudrais quitter le cabinet au plus vite pour tenter de rattraper le garçon au blouson bleu. Je suis presque certain qu’il a dû me prendre pour un fou, et qu’il a dû prendre les jambes à son cou dès que je suis rentré dans le bureau du médecin. J’ai besoin de le rattraper, de lui expliquer que je ne suis pas fou. Ou que, si je suis fou, je le suis de lui, que je l’ai été dès l’instant où il est rentré dans mon champ de vision.
Mais le médecin se lance dans un interminable laïus sur la prévention. Ça m’agace, car chaque seconde réduit ma chance de pouvoir rattraper le garçon au blouson bleu.
Lorsque j’arrive enfin à m’extirper de là, je passe la porte du petit bureau comme une furie, tout en me préparant à me lancer dans une course poursuite effrénée soit sur le pont Saint Pierre, soit en direction de Saint Cyprien. Pourvu que ce ne soit pas trop tard !
Mais mon élan désespéré est coupé net en une fraction de seconde.
— Alors, ces résultats ? j’entends une voix lancer.
Cette voix, c’est celle du garçon au blouson bleu. Et cette question, m’est tout spécialement adressée.
— Ah, tu es là ? je m’étonne en freinant comme dans un dessin animé. J’ai l’impression d’entendre le crissement des pneus, le sifflement des freins, et de voir la fumée se dégager sous mes chaussures.
— Bah, oui, tu m’as dit de t’attendre. Alors, tout est bon pour toi aussi ?
— Tout est bon, oui !
— Bah, c’est cool. En attendant, je ne sais toujours pas pourquoi j’ai attendu… il me glisse, un brin taquin.
— Tu fais toujours tout ce qu’on te dit ? je fais, moqueur.
— Non, pas toujours. Juste quand c’est demandé gentiment.
— Et si je te demande gentiment d’aller prendre un verre ?
— Je risque de ne pas pouvoir dire non…
— Alors je te le demande très, très, très gentiment !
— C’est pour ça que tu m’as demandé de t’attendre ? il lâche, l’air faussement déçu.
— C’est pas une raison suffisante ? je le cherche.
— Ça peut, en effet… Il y en a d’autres ?
— Tu as l’air d’un garçon sympa et j’ai eu envie de faire ta connaissance.
— Bon bah, ça me va. Allons faire connaissance, alors !
— Moi c’est Nicolas, Nico pour les intimes, je me présente.
— Et moi c’est Anthony, Antho pour les intimes. Mais j’aime pas qu’on m’appelle Antho !
Eh, beh, voilà un beau prénom de p’tit gars !
— Promis, je ne t’appellerai jamais Antho !
Nous traversons le pont Saint Pierre alors que souffle un vent à décorner des bœufs. Nous atterrissons dans un bar sur la place du même nom, ce haut lieu des soirées étudiantes du jeudi soir.
Anthony tombe le blouson bleu et dévoile ce physique de petit format très bien proportionné que j’avais deviné caché sous la doudoune. Il porte un petit pull marron qui épouse parfaitement son torse et qui, au gré des mouvements, laisse deviner des pecs tout à fait respectables.
Autour d’un chocolat chaud, nos échanges prennent peu à peu des allures de premier rendez-vous. Le petit mec m’apprend qu’il a 25 ans. Lorsque je lui apprends que j’en ai 10 de plus que lui, il me lance, moqueur :
— Tu es un vieux !
— T’es qu’un petit con ! je lui lance, sûr de le faire rire.
Ça ne rate pas. Il y a entre nous une complicité immédiate qui me fait chaud au cœur.
— En vrai, j’aime les garçons plus âgés que moi, mon ex avait près de 40 ans !
Anthony m’apprend qu’il est Toulousain pur jus et qu’il vient d’obtenir sa licence en arts plastiques à Jean Jaurès. Et qu’il doit bientôt partir à New York pendant un an pour travailler dans une grosse boîte spécialisée dans la conception de BD. Il espère ainsi pouvoir perfectionner sa technique et trouver des partenaires potentiels. Car son rêve de carrière professionnelle est de devenir dessinateur de BD.
— Quel type de BD ? je le questionne. Toujours faire parler un beau garçon de ce qui le passionne.
— Je suis fasciné par les univers de science-fiction, avec pour thèmes de prédilection les voyages stellaires ou encore les voyages dans le temps. Tu vois, j’aime beaucoup les histoires écrites par un auteur d’ici, de Toulouse, celui qui a écrit la trilogie des fourmis…
— Werber !
— Tu connais ?
— J’adore ! J’ai tout lu de lui !
— Moi pareil ! J’aimerais adapter certains de ses livres en BD…
— Et ce serait lequel que tu aimerais adapter en premier, si tu pouvais t’y mettre dès demain ?
— Le Papillon des étoiles !
— Celui qui parle de cet immense vaisseau spatial construit pour fuir une planète Terre à bout de souffle et pour faire voyager des pionniers dans les étoiles pour qu’ils arrivent à vivre ensemble en harmonie.
— Exactement ! Mais ça représenterait un travail titanesque. Il faudrait être toute une équipe à travailler dessus. Et c’est pas certain que le tirage attendu pourrait couvrir les frais engagés.
— Tu dois beaucoup dessiner, alors !
— Un peu, oui. Je fais pas mal de strips en ce moment, des BD courtes qui racontent une petite histoire en quelques cases, dix au plus. Une planche, quoi…
— Sur des mondes fantastiques ?
— Non, en ce moment, je suis à fond sur… les rencontres…
— Les rencontres amoureuses ?
— Toutes sortes de rencontres, entre gens qui tombent amoureux, mais aussi entre potes, des rencontres inattendues, des rencontres silencieuses. Parfois je capte un mec dans le bus, et j’ai envie de le dessiner avec ses potes, j’ai envie de capter ces instants de vie.
— Ça m’a l’air bien intéressant tout ça. J’aimerais bien voir quelques-uns de tes dessins !
— Bah, écoute, il faudrait que tu viennes chez moi pour ça.
— Avec plaisir !
— Mais ce ne sera pas aujourd’hui, car je suis attendu ce soir.
— On va devoir se revoir alors, je constate avec joie.
— On dirait bien !
Le courant passe vraiment bien entre nous, chacun de nos échanges sonne comme une évidence. Tout semble couler de source, tout a l’air facile avec ce petit Anthony. J’ai l’impression qu’on se connaît depuis une éternité. Alors qu’il y a une heure encore, nous ignorions jusqu’à l’existence de l’autre.
Le petit brun me questionne à son tour au sujet de mon travail. Je le lui explique en quelques mots, et je lui explique également que je ne vis plus à Toulouse, mais que j’y viens régulièrement pour voir mes parents.
Le chapitre « ex » vient juste après. Anthony me raconte qu’il sort d’une histoire de trois ans avec un garçon dont il était amoureux fou et qui l’a quitté pour un autre. Après sa rupture en début d’été, il a eu quelques aventures lui aussi, d’où ce dépistage.
— Je ne sais pas comment on peut seulement envisager de quitter un garçon adorable comme toi ! je considère.
A mon tour, je lui parle de Jérém. Ça me fait bizarre de parler de Jérém à un autre garçon, de parler de lui comme étant mon « ex ». Je réalise qu’en dix ans, je n’ai jamais vraiment parlé de Jérém à aucun des garçons que j’ai croisés.
Mais avec Anthony, je me sens en confiance. Je lui raconte notre rencontre le premier jour du lycée, nos révisions avant de bac, sa difficulté à s’assumer, la difficile conciliation de sa carrière dans le rugby professionnel avec notre histoire. Mais aussi de nos années heureuses, de notre agression à Paris, de son départ en Angleterre, de Rodney, le garçon qui avait pris ma place dans son cœur, et de son départ en Australie après un outing forcé dans la presse à scandale. Je survole cinq ans d’histoire et dix de séparation, je raconte tout ça avec un certain détachement. D’une part, je veux éviter de lui montrer que je n’ai toujours pas vraiment fait le deuil de cette histoire. Mais aussi, parce qu’avec Anthony, j’ai l’impression que quelque chose vient de commencer. J’ai l’impression que ce garçon va me redonner goût à la vie. Et quand on reprend goût à la vie, le passé devient enfin le passé, et nous pouvons le regarder enfin avec détachement.
Avant de nous quitter, nous échangeons nos numéros de portable et nous convenons de nous revoir le samedi suivant, chez lui, pour qu’il me montre ses dessins.
En nous quittant, je me retiens de justesse de l’embrasser, et j’ai l’impression qu’il en est de même de son côté. Je sens que l’attraction est là, elle est presque palpable. En lui serrant la main, en croisant une dernière fois son regard, j’ai l’impression que notre proximité génère des étincelles. Qu’est-ce que c’est beau quand les désirs se croisent et se reconnaissent.
Je sors de ce rendez-vous comme d’un marathon. Je suis émotionnellement HS. Ce petit mec m’a vraiment retourné comme une crêpe. Il est mercredi 18 heures. Je réalise que 72 heures me séparent de notre prochain rendez-vous. Et ça me paraît long, terriblement long. Un autre compte à rebours commence.
Heureusement, les téléphones portables nous permettent de maintenir le lien jusque-là.
« Il me tarde de te revoir, Nicolas » je lis sur mon portable quelques minutes plus tard, en arrivant chez mes parents. Je réalise que ce soir je me sens heureux et vivant comme je ne m’étais pas senti depuis si longtemps. Je ressens en moi des frissons, des désirs, des sentiments que j’avais désespéré retrouver un jour.
« Tu me manques déjà. Vivement samedi ! » je lui renvoie aussitôt.
Oui, il me manque déjà. Il me manque parce que…
'Cause morning rolls around/Parce que le matin arrive
And it's another day of sun/Et c'est un autre jour de soleil
Toulouse, le samedi 09 décembre 2017.
Cette année, l’approche des fêtes de Noël n’est plus synonyme de nostalgie et de mélancolie. Cette année, les fêtes de Noël ont une saveur toute nouvelle. Une saveur de petit mec au blouson bleu.
Samedi après-midi je me rends comme prévu à l’appartement d’Anthony situé du côté de Saint Orens. Mais la première chose que nous faisons, ce n’est pas regarder ses dessins, et encore moins faire le tour du propriétaire. Ce n’est même pas nous dire « bonjour ».
Non, la première chose que nous faisons, une fois la porte d’entrée refermée, est de tomber dans les bras l’un de l’autre, en silence, et de nous serrer très fort. Et de nous embrasser, longuement, tendrement. Nos corps parlent mieux que tous les mots que nous pourrions mettre sur ce que nous ressentons l’un pour l’autre.
— Tu m’as manqué ! il finit quand-même par me glisser.
— Je vois ça ! je plaisante. Avant d’ajouter : Toi aussi, tu m’as manqué, beaucoup !
Une minute plus tard, nous sommes dans sa chambre. Nous sommes tous les deux torse nu. Je découvre enfin ce physique de petit format aux pecs honnêtement dessinés, délicieusement parsemés d’une douce pilosité de jeune mâle, au ventre plat marqué par une sublime, épaisse ligne de poils bruns disparaissant derrière l’élastique de son boxer.
Qu’est-ce que c’est beau quand les désirs se rencontrent enfin, quand l’attraction est là, si forte, si visible, si évidente, aussi affichée d’un côté que de l’autre. Nous sommes des aimants, impatients de laisser l’attraction nous coller l’un à l’autre.
Qu’est-ce que c’est beau, le frisson de la toute première fois, le frisson de découvrir pour la toute première fois la nudité d’un garçon. Ce sont des instants magiques, qui sont trop souvent expédiés par la fougue de l’action. Mais cette fois-ci, je prends le temps de faire les choses bien. Et d’apprécier. Et de m’imprégner de cet instant intense, éphémère et unique.
Je prends le temps de découvrir le parfum et la texture de sa peau mate.
Je prends le temps de découvrir ses points érogènes, ses tétons, mais aussi toute la région des pecs, son cou, ses oreilles, sa nuque, ses épaules.
Je prends le temps de le caresser d’abord avec le regard, puis avec mes mains, et encore avec mes lèvres.
Anthony se laisse faire et semble beaucoup apprécier. Lorsque mon « tour du propriétaire » est fait, il s’engage dans la même exploration vis-à-vis de moi.
Il prend le temps de me regarder, de me caresser, de découvrir l’une après l’autre mes zones érogènes, tel un musicien en train d’accorder son instrument.
Et ce n’est qu’après ce long moment de sensualité que je laisse enfin mon envie de lui donner du plaisir prendre le pas sur la tendresse.
Mes baisers, pendant de longues minutes réservées à ses lèvres et à son cou, descendent enfin le long de la ligne médiane de son torse, dépassent son nombril, suivent la ligne de petits poils qui part vers sa queue.
Et là, j’ouvre sa braguette, je découvre son érection emprisonnée dans le boxer. Je titille son gland à travers le coton fin, avant de faire enfin jaillir sa queue, de la découvrir enfin, de la prendre en bouche, et de commencer à la sucer avec la plus ferme intention de la rendre dingue de plaisir. Et, pourquoi pas, l’amener jusqu’au bout.
Le fait de nous savoir réciproquement « clean », vu les circonstances de notre rencontre, contribue à rendre tous ces gestes et cette première fois totalement détendus, et nous permet de nous abandonner au plaisir le cœur léger, sans interdits, sans stress, sans tabous, sans injonctions.
Et de laisser libre cours à nos envies. Alors, autant dire, que mes envies sont multiples.
Certes, au départ j’avais vraiment envie de le pomper jusqu’à faire jouir dans ma bouche, et de découvrir le goût de son jus de p’tit mâle. Mais plus ça va, plus je le sens prendre son pied, plus je le vois se comporter en p’tit mec qui kiffe se faire sucer, plus je sens une autre envie monter en moi. Celle de l’avoir en moi. En fait, les deux envies cohabitent en moi, bien que je les sache impossibles à assouvir toutes les deux en même temps.
— J’ai envie de toi ! je finis par décréter au bout d’un combat intérieur particulièrement difficile à trancher.
— Moi aussi, j’en ai envie, il me glisse, la voix chuchotante d’un mec bien excité. Avant de me prévenir : Mais je pense que je ne vais pas durer longtemps…
— Ça fait rien, j’ai envie de faire l’amour avec toi.
Un instant plus tard, Anthony est en moi, en train de me faire l’amour. Il est doux, tendre, attentionné. Il a l’air un peu perdu, un peu stressé. Il est juste adorable. C’est furieusement bon, et j’ai envie de croire qu’il ne va pas terminer aussi tôt qu’il vient de l’annoncer.
Et en même temps, je guette l’instant auquel aucun garçon, même pas le plus doux, ne peut échapper, cet instant où la violence de la montée de l’orgasme fait obligatoirement ressortir cette animalité qui est quelque part tapie en lui, dans l’ombre. Ces quelques instants où, happé par la fulguration du plaisir, tout garçon n’est plus qu’instincts, désir de jouir, de répandre son jus.
Et j’ai envie de voir sa belle petite gueule traversée et secouée par l’orgasme.
En fin de compte je n’ai pas longtemps à attendre. Vraiment pas longtemps. Anthony m’avait prévenu, mais c’est vraiment rapide.
— Oh non ! je l’entends pester, pas déjà ! il peste contre son propre corps, alors qu’il se sent déjà perdre pied.
— Oh si, vas-y ! je tente de l’encourager.
— C’est trop tôt ! il se lamente.
— Fais toi plaisir, profites en ! je tente de le rassurer, tout en portant ma main sur son cou, un geste que je peux m’empêcher de faire tellement la tendresse qu’il m’inspire à cet instant est immense.
— Je viens… il assène, alors que l’apothéose du plaisir vient d’exploser dans son corps.
Ses paupières retombent lourdement, alors qu’un petit bout de langue se glisse entre ses lèvres entrouvertes. Le voilà tout tendu vers son plaisir, balançant des petits coups de reins au rythme des giclées qu’il est en train de lâcher en moi.
Quelque chose de lui vient en moi. Et c’est tellement bon de le faire en toute confiance. C’est le summum du plaisir. Je n’ai pas connu cette sensation ultime depuis si longtemps. Anthony jouit en moi, et je réalise que c’est le premier garçon qui jouit en moi depuis dix ans. Depuis Jérém.
Son orgasme passé, le p’tit mec s’abandonne sur moi de tout son poids. Je le serre dans mes bras, je caresse doucement son dos et sa nuque, je tente d’accompagner au mieux sa descente depuis le Paradis.
— Je suis désolé, je l’entends me glisser.
— Il ne faut pas, c’était génial !
— C’était une cata, oui ! Je suis pire qu’un briquet, je démarre au quart de tour !
— Est-ce que ça t’a plu ? je coupe court.
— A moi, oui… c’est pour toi que…
— Si tu as pris ton pied, j’ai pris mon pied. Te voir jouir est le plus intense des plaisirs.
— Et toi, tu ne veux pas jouir ?
— Je jouirai plus tard, peut-être que nous pourrons recommencer… je considère.
— J’ai essayé de me retenir, mais je n’ai rien pu faire… il revient à la charge.
— Je t’ai sucé trop longtemps…
— Ah, ça oui, et c’était bon ! J’ai cru que tu voulais me faire venir direct comme ça…
— Et tu aurais aimé ?
— Oh, oui !
— Alors, il fallait le dire !
— Mais tu voulais que je te prenne !
— J’aurais aimé tout autant te faire jouir dans ma bouche.
— Pour une première fois avec toi, on peut dire que c’est raté !
— Arrête de dire ça, c’était génial ! Et puis, tu es tellement beau, tellement mignon, et pouvoir te voir à poil, te toucher, te voir jouir, rien que ça c’est un cadeau du ciel !
Dans l’abandon après l’amour, ce garçon m’inspire à nouveau une immense tendresse. Je le serre un peu plus fort dans mes bras, et nous nous assoupissons.
Lorsque je me réveille, Anthony est déjà debout. Enfin, il est assis, assis derrière un grand bureau recouvert de feuilles et de crayons. On dirait qu’il est en train de dessiner.
— Salut, toi, je cherche son attention.
— Attends une seconde, ne bouge pas !
— Quoi ?
— Ne bouge pas, je suis en train de te croquer et j’ai encore quelques lignes à ébaucher.
— Tu me croques ?
— Oui, je te croque !
— Moi aussi j’ai envie de te croquer !
— Arrête, ne me fais pas rire, j’ai besoin de concentration !
— Ok, ok !
— Juste une petite minute…
Je le regarde tracer de grands coups de crayons, tout concentré à sa tâche. Il a l’air vraiment passionné, totalement happé par son ouvrage. Et qu’est-ce qu’il est beau ! Je crève d’envie d’aller le rejoindre et de le couvrir de bisous. Ce garçon est vraiment, vraiment, vraiment un puits à câlins.
— C’est bon, j’ai fini !
— Je peux bouger ?
— Tu peux.
Et là, je bondis du lit, je m’approche du bureau, je le contourne, j’arrive dans son dos, je passe mes bras sous ses aisselles et je l’enlace. Et je laisse mes lèvres embrasser son cou, sa nuque, ses joues. Très vite, je rencontre ses lèvres.
Mon regard finit par tomber sur le croquis qui est juste devant lui. Et là, je me vois, endormi, la tête sur l’oreiller, un bras et le haut de mon torse qui dépassent du drap. Je reconnais ma tête, mes cheveux, mes traits. Je me reconnais.
Le dessin est approximatif, brut, mais toutes les lignes principales sont là. Et la ressemblance est plutôt bluffante. Le trait est doux, chargé de tendresse. Mais à bien regarder, il ne s’agit pas d’un simple portrait du « Nico au bois dormant ». On dirait qu’il s’agit bel et bien d’une histoire, ou plutôt de l’une de ces « rencontres » dont il m’a parlé la dernière fois, ces instants fugaces qu’il aime bien dessiner.
Plusieurs détails du dessin me font pencher pour cette hypothèse. La partie gauche du drap est défaite, tandis que l’oreiller de gauche porte encore la trace fraîche de la présence d’une autre « tête ». On devine qu’il y a eu quelqu’un d’autre dans ce lit, il y a peu. Et une certaine sensualité se dégage du dessin. Le garçon croqué a l’air heureux dans son sommeil, tout laisse penser qu’il fait des beaux rêver ou bien qu’il s’est passé quelques chose de bien agréable avec l’autre personne qui vient de partir.
D’autres détails précisent le propos.
Non, ce dessin n’est pas un simple portrait, c’est une petite histoire qui est racontée, avec beaucoup d’astuce et de sensibilité.
— C’est beau ! je ne peux me retenir de m’exclamer.
— C’est juste une ébauche, il faut que je le termine, il y a du taf encore.
— C’est déjà magnifique. Tu as un talent fou pour faire parler le dessin…
— Alors, dis-moi, qu’est-ce qu’il raconte, mon dessin ?
— On voit le drap défait, la marque sur l’oreiller, on voit un garçon qui a l’air heureux. Et on voit un boxer abandonné sur le bord du lit. On comprend que c’est un instant qui suit une rencontre d’amour… entre deux garçons !
— C’est facile pour toi, tu connais l’histoire !
— Certes, mais tous les éléments sont là. Tu peux montrer ça à n’importe qui, il comprendrait.
— Si tu le dis.
— Je l’affirme !
— Merci à toi, mais j’ai vraiment besoin de me perfectionner. Cette année à New York va me faire vraiment du bien.
Cette année à New York qui se profile me rend déjà infiniment triste.
— Et tu pars quand ?
— Le 20…
— Le 20… décembre ?!?!!! je tombe de haut.
— Oui, je vais passer les fêtes de Noël chez mon frère qui est installé là-bas. Et je vais enchaîner avec le taf en janvier.
— Mais c’est dans 10 jours ! Tu vas me manquer !
— Toi aussi tu vas me manquer ! Si j’avais su, je serais resté pour Noël. Mais je ne peux pas changer mon billet si tard…Je n’avais pas prévu de rencontrer un mec comme toi, pas maintenant, pas au centre de dépistage ! il enchaîne.
J’ai envie de pleurer. Et lui, aussi, je le sens ému.
— Alors, tu me montres tes autres dessins ? je tente de faire diversion pour ne pas éclater en sanglots.
— Oui, oui…
Et là, le petit mec me montre des dessins d’univers fantastiques, oniriques, avec des chevaliers post-modernes, des armures, des vaisseaux, d’immenses planètes à l’horizon, des paysages irréels aux couleurs vives.
Mais il y a un « détail » qui me saute immédiatement aux yeux dans cette débauche de traits et de couleurs. Il me semble que le visage et la plastique du personnage principal de chaque dessin sont toujours les mêmes.
— C’est beau ce que tu fais, vraiment beau.
— Merci.
— Tu dessines très bien tes personnages. Ce sont de très beaux petits mecs. D’ailleurs, on dirait que c’est toujours le même « héros » dans chaque dessin…
— Ce « héros » est inspiré d’un garçon réel, Adam…
J’ai envie de savoir qui est Adam, mais je ne veux pas trop le questionner, il me le dira s’il en a envie. Visiblement, il en a envie.
— Adam était un camarade de lycée et…
Il prend un grand soupir.
— Tu n’es pas obligé de m’en parler si tu n’as pas envie.
— Adam a été le premier garçon dont je suis tombé amoureux quand j’avais 16 ans, il lâche d’un coup, comme s’il avait besoin de se libérer d’un grand poids.
Je le sens ému et je ressens chez lui une blessure toujours pas cicatrisée.
— Ça a dû être très fort pour que tu le dessines autant de fois.
— C’est la façon dont ça s’est terminé qui m’a longtemps hanté. Je ne veux pas que tu croies que j’espère qu’il pourra revenir dans ma vie. Il m’a fallu longtemps, mais j’ai fait le deuil de cette histoire. Je veux juste ne rien te cacher.
J’étais fou de lui, il m’explique. Pendant un an, ça a été génial. Jusqu’à ce que ses parents comprennent ce qui se passait entre nous. Son père était militaire, il a demandé une mutation. Et il a été affecté en Guadeloupe. Pendant des années, j’ai essayé de retrouver Adam sur les réseaux sociaux, mais il n’y avait pas de trace de lui nulle part. J’imagine que ses parents devaient le lui interdire.
J’ai fini par le retrouver il y a quelques années sur un réseau. Mon cœur a failli exploser. Il était devenu militaire lui aussi. J’ai essayé de reprendre contact avec lui. J’ai envoyé des messages. Mais au lieu de recevoir une réponse, j’ai reçu un blacklist direct. Son compte a disparu de mon radar, fin de l’histoire. Il ne voulait plus avoir affaire à moi.
— Il a dû être traumatisé par la réaction de son père, et s’il est devenu militaire, ça ne doit pas être pas simple pour lui, je considère.
— Et puis, un jour, un an après, je reçois un coup de fil. C’était lui.
— Adam ?
— Oui, Adam. Il était revenu en France et il avait appelé chez mes parents. C’est comme ça qu’il avait eu mon portable. Il est venu me voir, un dimanche. Il était en permission, il était encore en uniforme, il était beau comme un Dieu. J’ai cru renaître.
Il m’a raconté qu’il était marié, et que sa femme était enceinte. J’ai cru mourir.
Et il m’a raconté aussi combien il avait souffert de notre séparation, des brimades de son père, de ce déménagement violent et punitif. Il m’a avoué avoir pensé à moi pendant tout ce temps. Et de n’avoir rencontré aucun autre garçon après moi. Il m’a dit qu’il était satisfait de sa vie de militaire, de son couple, de ce gosse qui allait arriver. Et du regard de son père.
Je lui ai demandé s’il était heureux. Il m’a dit que ce qu’il avait, lui suffisait.
J’ai eu besoin de lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis des années… tu crois que ça aurait marché entre nous si on n’avait pas été séparés ? Il s’est contenté de sourire. C’était un sourire triste, plein de regrets.
En partant, il a ajouté qu’il avait été très heureux pendant l’année où nous nous étions aimés. Mais que pour lui tout ça appartenait au passé. Et qu’il fallait que le passé reste au passé.
Sur le coup, j’ai cru mourir mille fois. J’ai pensé que finalement j’aurais préféré ne rien savoir. Mais avec le temps, j’ai compris que cette rencontre, cette explication, même si elle avait été douloureuse, m’avait aidé à me réconcilier avec le passé. En fait, c’est à partir de ce moment, de ses explications, que j’ai pu faire le deuil de cette histoire.
Et le dessin m’a aidé à canaliser ma souffrance, et à ne pas oublier son visage. Je n’ai aucune photo de lui, aucune.
Touché par son récit, j’ai envie d’être tout aussi sincère avec lui qu’il l’a été avec moi. Je lui raconte mon histoire avec Jérém, et ma façon d’écrire pour les mêmes raisons, pour ne pas oublier le bonheur passé.
— Tu me comprends alors !
— Très bien, même !
Le petit mec ne me demande rien de plus à ce sujet, et il ne me demande pas de le lui faire lire mes écrits. J’apprécie son tact. Car je ne me sens pas prêt pour ça. Déjà, parce que j’estime que mes écrits sont loin d’être aussi aboutis que ses dessins. Mais aussi, et surtout, car ils sont « bruts », dans le sens où ils ne font que retracer mon histoire avec Jérém, telle quelle. Dans mes écrits, il n’y a pas de filtre, aucune transposition, ce qui est le cas justement dans ses dessins. Mes écrits demeurent au stade de journal intime, un journal intime très détaillé, et ils sont à ce titre très intimes. Les faire lire à qui que ce soit, ce serait trop me mettre à nu. Et ce serait l’entraîner dans une comparaison avec Jérém que je veux éviter à tout prix.
Anthony et moi passons tout le week-end ensemble et c’est un week-end d’amour. Et de sexe.
Anthony est vraiment un bon petit mâle, bien actif. Il me suce parfois, mais la plupart du temps c’est moi qui le suce et qui m’offre à lui. Anthony est un petit champion au pieu. D’ailleurs, il ne rechigne pas à recommencer plusieurs fois par jour.
Un mec si beau et si jeune qui s’intéresse à moi, c’était tellement inattendu ! Son regard me redonne confiance en ma capacité de séduction. Sa fougue me rappelle celle que j’avais à son âge, et me la fait redécouvrir.
De mon côté, je m’évertue à lui montrer à quel point je suis touché par sa mâlitude, enchanté par ses performances sexuelles. Je m’évertue à lui faire découvrir de nouvelles nuances de plaisir, et à lui montrer à quel point il peut m’offrir du plaisir tout simplement en recherchant le sien. Et à lui faire prendre confiance en lui, car il semble en manquer. C’est ça aussi qui le rend si touchant.
Peu à peu je le vois prendre confiance en lui, et se comporter de plus en plus comme un petit mâle qui sait ce qu’il veut au pieu. Mais toujours dans le respect mutuel.
Et après le sexe, le petit mâle qui me fait craquer laisse la place au puits à câlins qui m’émeut aux larmes. J’avais oublié que faire l’amour avec un garçon pouvait être aussi bon.
Dimanche après-midi, après une bonne séance de galipettes et une sieste, le p’tit brun me propose de faire une sortie cinéma.
— Ça fait un moment que ce film est sorti mais je n’ai pas eu le temps d’aller le voir. Et maintenant, l’Utopia vient de le reprogrammer pour une seule séance. Ça te dit ?
— Vraiment, je ne sais pas comment tu fais… je lui lance, une fois de plus ému par notre entente presque télépathique.
— Comment je fais… quoi ? il s’étonne.
— Pour lire dans mes pensées…
— C’est à dire ?!
— Moi aussi j’ai toujours voulu aller voir ce film, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment !
— Bah, on y va, alors !
— On y va !
Dès les premières images, dès les premières notes de la scène d’ouverture, je sais que ce film va me prendre aux tripes et me bouleverser. Et ça ne rate pas. L’histoire de Mia et Sebastian est portée par une bande originale fabuleuse, par une esthétique riche et soignée, par des acteurs attachants (et beaux, surtout Ryan Gosling qui, porte fabuleusement bien sa belle petite gueule et ses chemises blanches), par une histoire romantique, et par un final qu’on n’a pas vu venir et qui nous étreint le cœur.
Ce film me prend aux tripes, car il me fait à la fois penser à mon présent et à mon passé.
Anthony est mon « Another day of sun ».
Someone in the crowd could be the one you need to know
Quelqu'un dans la foule pourrait être celui que vous devez connaître
The one to finally lift you off the ground
Celui qui te fera enfin décoller du sol
Définitivement, Anthony est le garçon que je devais connaître, celui qu’il me fera enfin décoller. Je l’ai trouvé, il m’a trouvé. Car j’étais peut-être enfin prêt à être trouvé.
Someone in the crowd could take you where you wanna go
Quelqu'un dans la foule pourrait t'emmener là où tu veux aller
If you're the someone ready to be found
Si tu es quelqu'un prêt à être trouvé
L’« Epilogue » du film me déchire les tripes car il fait impitoyablement écho à mon bonheur perdu.
Mais Anthony est là, et même si je me prends un gigantesque retour de nostalgie, elle glisse sur moi.
Je ne suis plus seul, et je crois que je suis à nouveau amoureux. Oui, je crois qu’un nouveau jour de soleil est enfin arrivé pour moi.
Après la projection, je passe une merveilleuse soirée en compagnie de mon adorable Anthony.
Nous montons à l’Observatoire de Pech David pour observer la ville et ses lumières de Noël.
Nous restons un long moment assis sur un banc à contempler Toulouse, enlacés, à nous faire des câlins et des bisous. Je passe une véritable « Lovely Night ».
Et j’ai l’impression de danser avec les étoiles.
Martres Tolosane, le lundi 11 décembre 2017, jour du départ d’Anthony – 9 (JDA – 9 jours).
Anthony, c’est vraiment la belle surprise, la belle rencontre, le bonheur auxquels je ne croyais plus depuis longtemps. Je remercie la vie de m’avoir fait ce cadeau inespéré et inestimable !
Je commence vraiment à m’attacher à lui. Je crois même que je suis en train de tomber amoureux de ce petit mec. Amoureux comme je l’ai été une seule autre fois dans ma vie.
Avec Anthony, j’ai retrouvé les frissons que je désespérais retrouver un jour, que je désespérais retrouver après Jérém.
Par moments, je culpabilise. Je me dis que mon bonheur avec Anthony va me faire oublier le bonheur que j’ai connu avec Jérém. Mais je suis tellement heureux que j’arrive enfin à faire taire cette petite voix au fond de moi. Je suis tellement heureux que je me laisse porter par ce qui m’arrive, en oubliant de plus en plus facilement les liens qui me relient encore au passé.
En fait je crois que j’ai été fou de ce petit mec dès le premier instant où je l’ai vu emmitouflé dans son blouson bleu dans la salle d’attente du centre de dépistage. D’emblée, ce garçon m’a paru différent de tous les autres que j’ai croisés auparavant. En fait, il m’a paru familier. C’est comme si on s’était connus dans une vie antérieure et qu’en se croisant par le hasard du Destin, on s’était instantanément reconnus. Notre complicité immédiate, notre entente parfaite semblent être là pour appuyer cette hypothèse.
Ce petit mec me fait un bien fou. Car il y a dans son regard une douceur qui me fait fondre. Car son sourire est à la fois touchant, timide, solaire, tout en recelant toujours une pointe de tristesse. Une tristesse dont je connais désormais l’origine, une blessure violente de celles qui marquent à vie. Une blessure cicatrisée, certes, mais qui redevient parfois douloureuse, quand la vie joue des tours.
Ce garçon me plaît terriblement, et à tout point de vue.
J’aime son « petit format » pas trop musclé mais bien ramassé, bien proportionné, sa peau mate, ses sourcils qui se mettent en chapeau lorsqu’il manifeste de la surprise, son regard pétillant, ses longs cils qui ajoutent encore de l'éclat à l’intense brunitude de son regard.
J’aime le regard qu’il porte sur moi, et qui me fait sentir attirant, désirable.
J’aime sentir que je lui ai manqué tout autant qu’il m’a manqué.
J’aime son regard amoureux. Et j’aime sentir que je suis amoureux de lui.
Je commence vraiment à croire au bonheur avec CE garçon. Et le temps nous est si cruellement compté ! Une poignée de jours avant son départ ! Mais quel dommage !
Le temps d’un regard, ce garçon a rempli ma solitude, a redonné de si belles couleurs à ma vie, et il m’a fait redécouvrir le bonheur. Et je sais que lorsqu’il sera parti, il va me manquer à en crever.
Maintenant que je sais que le temps nous est impitoyablement compté, j’essaie de faire en sorte de voir Anthony le plus souvent possible.
Ce qui n’est pas toujours facile puisque, en attendant de partir à New York, il travaille dans un fastfood de son quartier.
Ce n’est que le mercredi suivant que nous arrivons à nous revoir.
Martres Tolosane, le mercredi 13 décembre 2017 (JDA – 7 jours).
Ce soir, il est convenu qu’Anthony fasse la connaissance de Galaak. Anthony n’a pas de permis, il vient donc en train, et je vais le chercher à la gare de Martres.
La rencontre avec le beau brun à quatre pattes et le petit brun au blouson bleu se passe comme prévu. Coup de foudre au premier regard. Nous disputons un match de rugby-pouic-pouic à trois dans le jardin, et c’est vraiment un super moment. A la fin de la « rencontre », les joueurs à deux pattes se font des bisous. Galaak demande sa part de câlins. Et Anthony les lui offre avec une spontanéité et une générosité qui m’inspirent une profonde tendresse. Il n’en a rien à faire qu’avec sa fougue et ses grosses pattes humides il lui salisse son jeans ou son pull ou son blouson bleu. Pendant cette séance de câlins, Anthony semble avoir la même attitude que Galaak, tout absorbé par le bonheur de l’instant, comme si le passé et l’avenir n’existaient pas. Il a l’air d’un gosse qui s’amuse avec toute l’insouciance de son enfance. C’est beau et terriblement émouvant. Je craque !
Galaak est fou d’Anthony et Anthony est fou de Galaak. Les deux Êtres qui insufflent chacun à leur façon de la lumière dans ma vie s’entendent à merveille. Et ça me rend tellement heureux.
A la fin de la séance câlins, le petit brun sort quelque chose de la poche de sa veste. Il s’agit d’un « os » en couenne séchée pour nettoyer les dents des chiens.
— Est-ce que je peux le lui donner maintenant ? il me questionne, tout mignon.
Cette petite attention pour mon chien d’amour me fait littéralement fondre. Comme je l’aime, ce garçon !
Toulouse, le mardi 19 décembre 2017, 20 heures (JDA – 10 heures)
Après deux semaines de pur bonheur, le dernier soir est arrivé. Il est arrivé si vite que je me le prends en pleine figure. Depuis ce matin, je suis envahi par une tristesse qui leste mon esprit.
Au resto, je tente de faire bonne figure. Mais le cœur n’y est pas. Anthony non plus n’a pas l’air bien dans ses baskets. Notre conversation est moins fluide que d’habitude. C’est peut-être à cause du fait que lui comme moi évitons de parler du seul sujet qui nous préoccupe.
Pendant le repas, Anthony boit plusieurs verres. Au dessert, il a les yeux qui brillent, le regard caressant et la voix qui flanche. Il est si mignon, si touchant.
En allant vers la voiture, il plane un peu.
— J’ai trop bu ! il me lance, avec une voix légèrement « désaccordée ».
Puis, lorsque nous sommes dans la voiture :
— J’ai plus envie de partir à New York ! Je veux rester avec toi !
Le petit brun fond en larmes, et je le serre très fort dans mes bras.
— Ne pleure pas, sinon tu vas me faire pleurer aussi.
— Ça fait depuis qu’on est arrivé au resto que j’ai envie de chialer. J’ai bu pour ne pas chialer, il m’avoue.
— Tu es vraiment trop mignon ! Moi non plus je n’ai pas envie que tu partes. Mais ce que tu as à faire là-bas est très important pour ton avenir professionnel. Tu ne peux pas tout foutre en l’air sur un coup de tête…
— Ce n’est pas un coup de tête ! Je t’aime, Nico !
Je t’aime.
Trois petits mots qui dessinent un monde entier.
Trois petits mots que je n’ai pas entendus depuis tellement longtemps.
Trois petits mots qui me font un bien fou, mais qui me déchirent le cœur en ce soir d’« au revoir ».
— Moi aussi je t’aime, Anthony. Tu me fais tellement de bien ! Tu m’as redonné de la joie, tu sais, je n’y croyais plus. Mais tu ne peux pas renoncer à tes rêves. Et puis, un an ça passe vite, et je viendrai te voir dès que je pourrai.
Nous rentrons à son appart. Il est prévu que je reste dormir chez lui et que je l’amène à l’aéroport de Blagnac demain matin.
— Il faut que je te montre quelque chose, il m’annonce.
Et là, il sort une grande chemise à la couverture verte, il l’ouvre et il en extrait une quantité de dessins qu’il étale lentement sur le bureau. Des dessins d’un tout autre genre que ceux qu’il m’a montrés la première fois.
— Je n’ai encore jamais montré ça à personne… j’espère que tu ne vas pas mal me juger…
Sur ces nouveaux dessins, il y a des garçons, et rien que des garçons. Seuls, à deux, potes, ou amoureux, habillés ou torse nu, ou complètement nus, en ville ou à la plage, des garçons lambda ou portant un drapeau arc en ciel. Le juger ? Le juger, de quoi ?
Moi, ce que je vois sur ces nouveaux dessins, ce sont des petits mecs avenants, souriants, qui ont l’air de s’amuser, de s’assumer, d’être heureux.
Avec des traits assez simples, Anthony arrive à rendre les garçons vivants. Les visages, les corps, les abdos, les pecs, les tétons, les brushings, les t-shirts, tout est à la fois réaliste et idéalisé, mais jamais surfait. Il se dégage de ces dessins une sensualité certaine. Mais même quand la nudité est totale, même quand deux garçons s’embrassent ou se caressent, rien n’est jamais obscène, car il y a toujours de la tendresse dans le regard de l’artiste.
J’adore le regard qu’il porte sur ses personnages, mais aussi son trait à la fois précis et un peu enfantin.
Parfois, une seule image semble raconter une histoire, comme ce garçon torse nu assis au bord du lit qui regarde par la fenêtre et qui a l’air si triste. On jurerait qu’il regarde partir le garçon avec qui il vient tout juste de faire l’amour. Et que dans son for intérieur, il se dit qu’il ne le reverra jamais.
— C’est juste… magnifique ! je ne peux contenir plus longtemps mon émotion.
— Tu le penses vraiment ?
— Et comment !
— Tu trouves où toutes ces inspirations ?
— Ça vient d'un peu partout, ça peut venir d’une scène vue dans la rue ou dans le bus, d’une image trouvée sur le net, d’un pote, d’une rencontre.
— En tout cas, ces dessins sont superbes. On capte ta passion, et le regard que tu portes sur ces garçons est vraiment touchant. Tu devrais essayer de publier ces images !
— Je ne suis pas à l’aise avec ces images… enfin, elles sont trop… intimes… j’aurais l’impression de me mettre à nu, si je les montrais. C’est pour ça que je n’ai jamais osé les montrer…
— Alors, je te remercie de la confiance que tu me fais en me les montrant.
— Je savais que tu comprendrais. Et que tu ne me jugerais pas.
— Je te juge en tant qu’artiste très prometteur. Tu ne dois pas avoir honte de ces dessins, bien au contraire, tu dois en être fier !
— Merci, Nico !
— Et j’irai même plus loin. Je pense que ces dessins ne sont qu’un tout petit avant-goût des très belles choses que tu pourrais réaliser si tu laissais ton inspiration libre de s’exprimer.
— J’aimerais bien, mais l’art homo est mal perçu en général, surtout quand il y a de l’érotisme. Je ne pense pas qu’il y aurait des éditeurs prêts à prendre le risque.
— Publie-le sur Internet !
— J’y ai pensé. Mais je ne sais pas si je suis prêt à ouvrir mon « jardin secret » à tous les regards…
— Je comprends parfaitement. C'est un peu comme une "mise à nu"...
— C'est ça, et c'est pour ça que je ne suis pas prêt.
— Peut-être que tu le seras un jour. En attendant, saches que tu as gagné ton premier admirateur !
— Tu es super, Nico ! me glisse le petit brun, tout en appuyant sa tête contre mon épaule.
— Et sinon, ça fait longtemps que tu dessines des garçons ?
— Je l’ai toujours fait, plus ou moins. Mais j’ai vraiment commencé à faire des dessins avec des sujets gays il y a deux ou trois ans. En surfant sur Internet, je suis tombé sur le site d’un gars qui dessinait des mecs, et ses dessins ont été comme une révélation. Quand j’ai vu ses dessins, je me suis dit : « Mais c’est ça que je veux faire ! Malheureusement, ce gars n’est plus de ce monde, il a été emporté il y a deux ans par une crise cardiaque, au milieu de sa quarantaine.
— C’est jeune !
— Attends, je vais te montrer le site mémoriel que son entourage a mis en ligne…
Anthony ouvre son ordinateur et tape « sven » dans la barre de recherche. L’adresse du site s’affiche instantanément.
https://svenderennes.wixsite.com/sven-de-rennes
— Regarde comment c’est beau ! Regarde comment ses « petits mecs » étaient mignons et heureux !
Ses dessins sont autant de célébrations de la jeunesse, des belles plastiques, des beaux sourires, du bonheur entre garçons, de la sensualité, du désir, du désir assumé. Mais aussi de la douceur de vivre, de la tendresse. Ses dessins sont des hymnes à la tolérance, à la beauté et à la légitimité de l’amour entre garçons.
J’aimerais tellement arriver à faire quelque chose d’aussi beau !
— Mais tu y es déjà parvenu. Ton style est très proche du sien, tout en restant très personnel. Tes « petits mecs » à toi, sont tout aussi beaux et craquants que les siens !
— Tu es gentil, mais je suis loin d’avoir son niveau !
— Tu es encore jeune, tu as juste besoin de pratique et d’expérience.
— J’aime beaucoup cette petite BD qu’il avait réalisée…
https://svenderennes.wixsite.com/sven-de-rennes/illustration-gays-adulte-part-02
— Il y a beaucoup d’érotisme dans cette petite BD. Mais quand on regarde ces deux « petits mecs », on se sent bien, on est heureux parce qu’on les sent heureux, et ça donne la pêche.
— Il a vraiment l’air de t’inspirer beaucoup, ce Sven…
— Oui, beaucoup. Et j’aime beaucoup aussi les dessins de « Tom of Finland », un dessinateur qui a marqué la culture gay par ses représentations à la patte ultra-reconnaissable.
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&sca_esv=589425481&sxsrf=AM9HkKltfZpb_BS13xE_os0QkX1iSrwcjA:1702147584620&q=tom+of+finland&tbm=isch&source=lnms&sa=X&ved=2ahUKEwjduovxgYODAxVfRaQEHYMXCgUQ0pQJegQIDRAB&biw=1600&bih=775&dpr=1#imgrc=MumAgIToVg5hjM
— Certains sont des purs fantasmes, certains font même un peu cliché, mais tous dégagent un érotisme brut presque palpable. Regarde ces deux chats mâles au blouson en cuir et à la casquette de policier qui se tournent autour, qui se jaugeant du regard, cette transposition animalière du désir homosexuel déborde d’érotisme ! On les imagine déjà en train de baiser !
— C’est vrai ! j’admets.
— Sven l’aimait beaucoup aussi. D’ailleurs son nom d’artiste, « Sven de Rennes », faisait écho à celui de « Tom of Finland ».
Mais l’érotisme brut de Tom est absent des dessins de Sven. Il y a de la sensualité et du désir, mais aussi beaucoup de tendresse. Et ça, ça me parle davantage.
— Un peu comme le croquis que tu as fait après notre premier rendez-vous ?
— Oui. D’ailleurs, je l’ai terminé, il me lance, en sortant le dessin d’une autre chemise.
Il est pour toi.
Le croquis de départ est désormais un magnifique dessin où chaque détail est soigné, ou tout regorge de vie.
— C’est sublime !
— Comme ça, tu te souviendras de moi !
— Il est magnifique, mais je n’ai pas besoin de ce dessin pour me souvenir de toi ! Tu es un cadeau du ciel !
Ce soir, ce dernier soir avant son départ pour New York, nous faisons l’amour une dernière fois. Le petit mec vient en moi, me pilonne pendant un bon petit moment, et il finit par gicler en moi. Qu’est-ce qu’il est beau pendant l’amour ! Qu’est-ce que j’aime faire l’amour avec lui !
Et qu’est-ce que j’adore, au moment de sa jouissance, voir son esprit s’évaporer, voir tout son Être comme foudroyé par l’intensité, par la violence même, de son orgasme ! Son corps et son visage sont comme secoués par une décharge puissante, tellement puissante que ça pourrait même sembler douloureuse. De chacune de ses jouissances, et en particulier lorsqu’il me fait l’amour, le p’tit brun en sort comme assommé. Et dans son abandon total, il cherche volontiers la chaleur de mes bras, le visage enfoncé dans le creux de mon épaule, ou bien en cuillère.
Ce soir, après l’amour, il se blottit contre moi. Je l’entends s’endormir, et je m’endors les yeux embués de larmes. Comment il va me manquer, ce petit ange brun !
Je me réveille dans la nuit, avec une trique d’enfer. J’essaie de me repositionner dans le lit pour ne pas le réveiller. Ce qui a justement pour effet de le réveiller.
— Tu bandes ? il me lance, la voix pâteuse.
— Je suis désolé…
— J’ai envie…
— Tu as envie ?
— Je n’ai jamais fait ça, mais j’ai bien envie d’essayer… avec toi.
Quelques instants plus tard, le petit mec est allongé sur le ventre, et je glisse mon visage et ma langue entre ses fesses pour lui donner un avant-goût, pour le préparer pour sa première fois.
Lorsque j’essaie de le pénétrer, il a mal. Je dois m’y reprendre plusieurs fois, alors que j’ai une envie terrible de jouir. Mais ça ne fait rien, je prends sur moi. Le petit gars m’offre sa première fois, et je veux que ça se passe bien.
Lorsque j’arrive enfin à me glisser en lui, je commence à le pilonner en douceur. Qu’est-ce que c’est bon ! Et qu’est-ce que c’est bon le sentir se détendre peu à peu, et commencer à prendre du plaisir !
Lorsque je sens que je vais venir, je me retire.
— Quelque chose ne va pas ? il m’interroge.
— Si je continue, je vais jouir…
— Bah, alors continue !
— T’es sûr ?
— Oui !
Alors je reviens en lui, et je jouis entre ses fesses. J’en retire un plaisir fou, tout en mesurant à sa juste valeur la chance d’avoir été le premier garçon.
Aéroport de Blagnac, le mercredi 20 décembre 2017 à 4h15.
Lorsque nous sortons de l’immeuble, il fait encore nuit, et il fait froid. Nous sommes tous les deux fatigués, et tristes. La nuit a été courte, le réveil violent et implacable.
Le voyage vers l’aéroport se passe dans le silence. Il est lui aussi lourd de fatigue et de tristesse. Je ressens la désolation des adieux qui se profilent, la morsure des angoisses.
Ce que nous partageons est si fort, il l’est à cet instant. Mais un an de séparation c’est long, contrairement à ce que je lui ai dit hier soir pour tenter de le calmer. En un an, il peut se passer tellement de choses, il pourrait faire tellement de rencontres, dans une ville comme New York, lui si mignon !
Alors, une question me hante. Est-ce que ceci n’est qu’un au revoir, ou bien un adieu ?
Je redoute tellement les jours qui viennent, et même l’instant où il aura passé le portique de l’embarquement. Il disparaîtra de ma vue, et le manque sera atroce. Je ne pourrai plus, comme je l’ai fait depuis notre première rencontre au centre de dépistage, projeter chacune de mes pensées, chacun des instants dans ma journée, vers la joie de retrouvailles proches, le soir même, le lendemain. Sa présence ne sera plus à une distance géographique et temporelle facilement annulable. Ces deux distances seront vertigineusement augmentées. La projection vers le bonheur des retrouvailles sera impossible, et la joie qu’accompagnait ces pensées sera annulée.
La peur de la solitude, la peur de revivre un nouvel abandon, étreignent mon cœur et serrent ma gorge, empêchant tout mot d’en sortir. Et derrière ces peurs, une autre se cache, tapie dans l’ombre. Celle d’être rattrapé par mes anciens démons. Ces mêmes démons que la présence d’Anthony a bien réussi à dompter depuis deux semaines, sans avoir pour autant eu le temps de les terrasser pour de bon.
Je sais que ce silence est tout aussi violent pour moi que pour lui, et je m’en veux de lui imposer ça. Mais j’ai le cœur tellement lourd que je ne sais vraiment pas de quoi parler pour détendre l’ambiance. Il me semble que tout mot serait vain. Et puis, surtout, je sais que dès le premier mot prononcé, je n’arriverais pas à retenir mes larmes.
C’est Anthony qui se charge de briser la glace. Vraiment, ce garçon est un rayon de soleil.
— Merci de m’accompagner à l’aéroport, me lance le petit mec, avec une voix basse.
— Mais c’est avec plaisir…Façon de dire, je me corrige. Tu vas trop me manquer !
— Toi aussi tu vas me manquer !
Après avoir garé la voiture à proximité des « Départs », nous nous faisons nos « au revoir » à l’abri des regards. Une longue séance de bisous, d’accolades, de caresses, de larmes.
Devant le portique de l’embarquement, je suis pris comme d’un vertige. Je n’ai tellement pas envie de le voir disparaître de ma vue !
— Ça y est, c’est ici qu’on se dit au revoir pour de bon, il me lance, l’air aussi triste que Galaak quand il me regarde manger et que rien ne tombe de la table.
Ah, putain, comment il est mignon ce garçon, comment il est touchant, et comment il est amoureux ! Le voir si triste me fend le cœur.
— Je vais venir te voir dès que possible, dès que j’aurai des congés.
Et là, pour toute réponse, il me lance :
— Ne m’oublie pas, Nico !
— Mais comment veux-tu que je t’oublie ? je lui lance à mon tour, les larmes aux yeux. Tu es ce qui m’est arrivé de mieux depuis tellement longtemps ! Tu es un rayon de soleil, je suis tellement bien avec toi ! Je t’aime, Anthony !
— Moi aussi je t’aime !
Une dernière accolade, nos bras qui enserrent l’autre très fort, nos lèvres qui se posent sur nos cous pour quelques derniers baises dérobés, des larmes qui se mélangent. Voilà le récit de nos derniers instants.
Le petit brun au blouson bleu passe le portique et disparaît dans les méandres de l’espace canalisé qui donne accès aux contrôles de sécurité.
Je quitte l’aéroport les larmes aux yeux, le cœur en miettes.
Pourquoi pas un petit commentaire pour bien terminer l'année?
Vas-y, cher/e lecteur/trice, ne sois pas timide !