1 Novembre 2024
21 Souvenir d’un soir au KL. Le beau reubeu
(Mars 2001, le même soir, toujours deux mois avant « première révision »).
C’est avec le moral dans les chaussettes que je m’apprête à aller retrouver ma cousine.
Mais « quelque chose » retient mon attention.
Pile à l’opposé de la piste de danse, appuyé avec son épaule à l’un des piliers de la salle, un verre à la main. Un beau reubeu, bien foutu, avec un t-shirt blanc bien ajusté à son torse musclé, un bout de coton fin immaculé jouant un joli contraste avec sa peau basanée, redessinant avec un précision diabolique ses épaules charpentées, ses pecs saillants, et retombant sur un joli jeans.
Une tenue toute simple mais carrément craquante, la plus « mâlement » efficace qui soit.
Bien sûr, la petite gueule qui surmonte tout ça est carrément raccord avec le reste. Les cheveux bruns très courts autour de la nuque, beaucoup plus longs au-dessus de la tête, plaqués vers l’arrière par une bonne dose de gel, une petite barbe de trois jours, un regard ténébreux, une bonne petite gueule de mec des cités, sexy à mort !
Le mec doit avoir dans les 25 ans, et il dégage clairement cette prestance, ce charme et ce regard si particuliers, indiciblement virils, propres à ce genre de mec.
Son apparition est une claque puissante, le genre de claque qui, pour un peu, me ferait tomber à la renverse. C’est le genre de mec qui, à défaut de pouvoir le faire jouir, t’inspire illico une envie brûlante de te branler.
Le mec dégage une sensualité intense, vibrante, comme un fluide invisible qui irradie de lui en permanence et flotte dans l’air, qui se propage, c’est comme de la radioactivité.
Je le regarde et je me demande quand il a baisé la dernière fois, la nuit d’avant, celle encore avant ? Quand va-t-il rebaiser ? Ce soir, demain ? Avec quelle nana ? La même qu’hier ou une autre ? Qu’est-ce que kiffe un mec pareil au lit? Est-ce qu’il est doux ou plutôt du genre macho ? Comment jouit-il ?
Je me demande dans combien de bouches et de chattes sa queue a trempé, je hurle intérieurement en pensant aux nanas qui ont eu et qui vont avoir la chance de se retrouver dans le lit de ce beau mâle et de connaître la puissance de sa virilité, qui peuvent toucher son corps, qui peuvent sucer sa queue, avaler son jus.
Ce mec accapare désormais mon attention toute entière, et mon désir. J’oublie Jérémie, que je ne pourrai jamais avoir (c’est ce que j’imagine à cet instant précis, quelques mois avant la première « révision »), j’oublie Thibault, j’oublie leurs pouffes, leur plan à quatre, ma colère, ma déception.
Je regarde ce beau reubeu et je ressens en moi une seule, dévorante, urgente, irrépressible envie, celle de l’avoir en bouche, de connaître le bonheur de découvrir sa sexualité, d’avoir la chance de le faire jouir. Ce serait ma première fois avec un gars, et j’ai hâte de savoir enfin ce que ça fait de tenir un manche bien raide et bien chaud entre mes lèvres.
Face à ce mec, je ressens un désir dévorant et une frustration insoutenable. Ébloui par tant de sexytude, je le mate tout en sachant que, tout comme Jérémie, lui aussi m’est inaccessible, qu’il va disparaître de ma vie aussi vite qu’il est apparu, sans y laisser la moindre trace. Et j’en ai mal à m’en taper la tête contre les murs !
La seule façon de faire cesser au plus vite cette frustration déchirante, ce serait de partir au plus vite, de couper le contact visuel, d’aller rejoindre ma cousine dans la salle disco.
Je ne peux pas. Je ne me lasse pas de le regarder, pour tenter de capter la moindre nuance de sa sexytude aveuglante, pour essayer de deviner son tempérament, sa nature.
Dès le premier regard, je me suis fait l’idée d’un mec au « sang chaud », pouvant facilement s’énerver et devenir agressif si on le cherche, et à fortiori si on le chatouille au sujet de sa virilité.
Oui, consciemment ou inconsciemment, j’ai flairé presque instantanément le danger de mater ce mec. Mais ce n’est pas pour autant que j’ai su l’éviter.
Et comment j’aurais pu ?
Il est difficile d’exprimer, à quelqu’un qui ne l’aurait jamais vécu, ce nœud instantané qui se forme dans les tripes quand une telle aveuglante bogossitude vient brûler les rétines, quand un mec t’attire comme un aimant et que, malgré les tentatives deta raison pour te mettre en garde du danger, tu ne peux détacher ton regard de lui.
C’est ce qui m’est arrivé cette nuit-là. Malgré le fait d’avoir flairé le danger, je n’arrive pas à détacher mes yeux de sa petite gueule virile et de ce t-shirt moulant un corps de fou. J’ai envie de m’enivrer de sa virilité, de sa sexytude, de sa mâlitude, de cette présence chargée de testostérone qui fait vibrer tant des cordes sensibles en moi.
Le bogoss ultime émet une radiation de mâlitude d’une puissance inouïe, une radiation à la fois insoutenable et accaparante. J’ai rarement ressenti un truc aussi violent, mis à part en regardant mon petit con de Jérém.
Ainsi, je n’arrive pas à détourner mon regard de cet inconnu qui remplit mon horizon.
Quant au beau reubeu, même s’il tourne deux trois fois la tête vers moi, son regard balaie l’horizon, il croise le mien sur son passage, et repart aussitôt.
Pourtant à un moment, nos regards se croisent et le sien s’enfonce dans le mien. Le mec vient de capter que je le regarde. Intimidé, je détourne immédiatement mon regard. Lui aussi détourne le regard. Mais une seconde plus tard, il regarde à nouveau dans ma direction, comme s’il voulait vérifier si je le mate toujours.
Nos regards se croisent à nouveau. A cet instant, il n’y a plus de doute, le mec est en train de se dire : « ce mec me mate ».
Paniqué, je tente de faire diversion en tournant un peu la tête, tout en continuant de le mater du coin de l’œil. Je fais semblant de ne pas le regarder, mais lui me regarde toujours.
J’aimerais tellement savoir ce que ça lui inspire, si mon regard le met en pétard, s’il a compris que j’ai envie de lui, et si ça le met en pétard.
Puis, une idée complètement folle émerge dans mon esprit : au fond, son regard pourrait aussi être « intéressé ».Au fond, cela est dans le champ des possibles.
Deux bières, l’heure tardive, l’ambiance survoltée de la boîte, l’émoustillement des sens de mes 18 ans, la magie de la nuit, une déception (Jérém et ses pouffes) à oublier, plus un mégabogoss qui me fait tourner la tête : il n’en faut pas plus pour me faire rêver les yeux ouverts.
A cet instant précis, mon esprit est envahi par l’urgence du désir que ce mec suscite en moi. Mais comment l’approcher ? Comment lui exprimer ce dont j’ai envie ? Comment savoir s’il va y être sensible ? Pourquoi il y serait sensible ?
Mais, au fond, pourquoi pas ?
Je sens son regard sur moi, interrogateur, un regard qui se prolonge de façon démesurée. Le mec fait bien plus que me regarder, il me surveille carrément. Est-ce que ça l’amuse de se savoir maté et qu’il en joue, ou bien au contraire son attitude est de l’intimidation ?
Je ne sais pas trop ce qui m’a pris, mais à un moment je lève mon regard à la recherche du sien, comme dans une tentative désespérée de tenter de le déchiffrer. Et là, comme un fauve à l’affût de sa proie, son regard harponne le mien et il ne le lâche plus. Pris au piège, je tente le tout pour tout, je me fais violence pour soutenir son regard. J’ai même l’impression d’esquisser un petit sourire en coin. Jusqu’au bout, j’aurai joué avec le feu.
Et là, ce que je vois n’est guère encourageant. Son visage se fige dans une expression dure, hostile.
Je me rends brusquement compte qu’une fois de plus, j’ai pris mes rêves pour des réalités. J’ai le visage en feu, la panique s’empare de moi. Avec une manœuvre d’urgence je balance mon regard ailleurs, j’évite soigneusement de le regarder.
Mais le regard du beau reubeu est toujours braqué sur moi. Ce regard est tellement lourd que je le ressens sur moi comme s’il posait sa main sur mon épaule.
J’ai beau chercher à maintenir mon regard ailleurs : la puissance magnétique du sien finit par attirer mon attention, sans que je puisse m’y opposer. Une fois de plus, nos regards se croisent, une fois de plus mon désir est attisé par cette plastique virile, par cette gueule de mâle qui me font craquer.
Sous l’effet combiné de la fatigue, de l’alcool, de la poussée d’adrénaline, j’ai soudain l’impression de flotter, d’être enfermé dans une bulle, comme si je plongeais au fond d’un bassin d’eau.
Les basses impitoyables de la musique Techno semblent s’éloigner, s’estomper, arriver de plus en plus atténuées à mes tympans, et ce sont désormais mes pieds seuls qui captent la vibration de la musique par le sol.
Au fur et à mesure que la musique s’éloigne de moi, j’entends de plus en plus nettement les battements de mon cœur qui cognent à tout rompre dans ma poitrine. Dans ma bulle de plus en plus enveloppante, j’entends ma déglutition nerveuse, ma respiration qui se hâte sous l’effet de l’adrénaline.
Puis, à un moment, mon cœur, ma respiration, ma déglutition, tout semble s’arrêter d’un coup. C’est l’effet de la panique.
Alors que le mec continue de me braquer avec son regard, voilà que sa main, rendue à hauteur de ses pectoraux saillants, me fait signe d’approcher.
Aaahhhhh, putaaaain ! M’approcher de lui, c’est tout ce que je désire à cet instant précis !
Hélas, il y a comme un problème : son geste et son regard ne sont pas du tout raccord. Dans ses yeux, un regard qui me fait peur, dans ses gestes, une attitude agressive, sévère, intimidante, qui sent le danger. Une attitude qui est pourtant tellement, mais tellement sexy !
Un regard, une attitude, qui semblent être tout autant des interrogations que des accusations, du genre : « Qu’est-ce que t’as ? T’as un problème ? Tu me mates ? Pourquoi tu me mates ? ».
Désarçonné, je prends l’air étonné, en hochant la tête, en haussant les épaules, comme si je tombais des nues, comme si je ne voyais pas de quoi il parle.
Je tente de regarder ailleurs, mais ses yeux ne me quittent pas pour autant, de plus en plus agressifs, son regard attire le mien comme un aimant puissant.
Et lorsque je finis par le regarder à nouveau, je vois alors le mec faire un geste sans équivoque pour me faire comprendre que si, il a bien vu que je le regardais. Son index et son medium en V pointent vers ses yeux, puis vers moi, alors qu’avec un petit hochement de la tête, il semble me demander : « alors c’est quoi ton problème, pourquoi tu m’as maté mec, hein, pourquoi ? ».
Ça va de soi que cette attitude de petit macho qui ne supporte pas de se faire mater par un mec, est à la fois impressionnante et méga méga sexy. J’ai le cœur dans la gorge, mais en même temps mon corps vibre d’excitation.
J’essaie de prendre une nouvelle fois l’air étonné, genre « vraiment, je ne comprends pas ce que tu veux dire » et je lance mon regard ailleurs.
C’est la que les choses se corsent. Du coin de l’œil, je vois le beau reubeu commencer de contourner la piste, sans me lâcher du regard.
L’état de panique maximale se déclenche alors en moi. Un instant plus tard, je détale comme un lapin. Je hâte le pas pour rejoindre ma cousine dans la salle disco, tout en regardant derrière moi presque à chaque seconde si le beau reubeu énervé ne me rattrape pas.
J’avance tellement dans la précipitation, que je ne regarde pas où je vais, je finis par percuter un mec qui marche en direction opposée, je manque de peu de le faire tomber. Par chance le mec se rattrape, par chance le mec est un gentil, il sourit de mon étourderie.
« Pardon » je lui lance, tout en continuant ma marche forcée.
Dans la salle disco, je fonce vers ma cousine, je prétexte une fatigue soudaine pour lui demander de partir.
« Je suis fatiguée aussi, on y va maintenant », voilà sa réponse. J’adore ma cousine.
La présence d’Elodie à mes côtés me rassure, mais je ne me sentirai complètement en sécurité que lorsqu’on sera dans la voiture et que celle-ci sera sortie du parking du KL.
Un peu plus tard cette nuit-là, une fois en sécurité dans mon lit, je me demande comment j’ai pu prendre autant de risques avec ce mec, comment j’ai pu le mater au point de me faire remarquer, le chauffer au point de le mettre en rogne, persister dans ma provoc jusqu’à le pousser à venir me chercher des noises.
Certainement, parce que renoncer à mater une telle perfection faite mâle est un effort inhumain. Cette nuit-là, après le départ de mon inaccessible Jérém, ce mec était tout simplement la plus belle « chose » dans l’horizon proche. Si je l’ai autant maté, c’est tout simplement parce qu’il m’était impossible de regarder ailleurs.
Depuis toujours, à chaque fois que je croise un beau mec, un mec qui fait vibrer mes cordes sensibles, la séquence est toujours la même : désir violent, peur paralysante de me faire remarquer, frustration insupportable lorsque le bomâle a disparu de mon champ de vision à tout jamais.
C’est une frustration qui s’accumule en moi, séquence après séquence, et qui me rend chaque jour un peu plus malheureux, triste, solitaire, isolé.
Ce n’était pas la première fois que je me faisais repérer par un mec en train de le mater, mais jamais je m’étais fait gauler aussi clairement, et aussi vite. Et, surtout, jamais il n’y avait eu ce genre de réaction. Est-ce que, cette fois-ci, mon regard a été plus insistant et moins discret que toutes les fois précédentes?
C’est possible.
Et même si au fond de moi je ne me faisais aucune espèce d’illusion de pouvoir « intéresser » ce gars, j’avais envie d’essayer de briser le mur invisible qui me séparait de ma véritable nature, de ma sexualité, de ma vie.
Peut-être qu’inconsciemment, je me suis dit que je ne pouvais pas toujours laisser la peur diriger ma vie. Car si je laissais la peur gagner, il ne se passerait jamais rien dans ma vie, et je serais toujours seul et puceau. Je n’aurais pas Jérémie, le gars que j’aime. Et je n’aurais non plus aucun autre mec non plus.
Peut-être qu’inconsciemment je voulais voir s’il pouvait y avoir un petit jeu de séduction entre nous, et jusqu’où il pourrait aller.
Certes, une boîte de nuit hétéro bondée de monde, ce n’était pas vraiment la situation idéale pour ça. D’autant plus que, très vite, les voyants avaient tourné au rouge vif.
Pourtant, cette nuit-là, j’avais vraiment envie qu’il se passe un truc comme dans certains films ou histoires gays, où des mecs racontent au détour d’une réplique avec quelle facilité ils ont dragué un hétéro.
Qu’est ce qu’il y a de mal dans le fait de mater un bogoss ?
Rien à priori, pas plus que si j’étais une nana. Le fait est que moi, en tant que mec gay, je n’ai pas l’« habilitation » pour poser mon regard et mon désir sur des mecs hétéro.
C’est déchirant le décalage entre la bienveillance qui m’attire vers ce genre de mecs et l’hostilité, pouvant aller jusqu’à la violence, de leur réaction vis-à-vis de cette attirance.
Au fond, je ne fais que les admirer, m’extasier devant leur sexytude. Ce n’est quand même pas une marque d’irrespect, bien au contraire.
Pourquoi ce genre de mec – les hétéros un brin macho – vit si mal le fait qu’un mec s’intéresse à eux ? Est-ce que le fait de sentir le désir d’un autre gars est vécu comme une insulte à leur virilité ? Est-ce qu’ils estiment qu’un mec n’est tout simplement pas « digne » de le mater ?
Quel terrible gâchis qu’ils n’arrivent pas à réaliser à quel point, lorsqu’un gars les mate, les désire, ce gars ne demande pas mieux que de les laisser exprimer leur sexualité, leurs fantasmes, de se soumettre à la puissance de leur virilité.
Pourquoi un mec devrait s’énerver quand un autre mec le mate ? Ça devrait le flatter. Pourquoi ils ne comprennent pas qu’on leur veut juste du bien ? En quoi le fait d’aimer, ou d’avoir juste envie d’offrir du plaisir, mériterait le rejet, le dégoût, le mépris, la violence, bref, l’homophobie ?
Et, plus largement, en quoi le fait que deux hommes s’aiment serait répréhensible ? En quoi aimer est-ce répréhensible ? Quel est donc le délit que représente l’homosexualité vis-à-vis de la société ? En quoi le fait de disposer de son cul et de sa queue différemment de la majorité serait répréhensible, tant qu’il n’y a pas violence ou d’abus ?
Ne serait-il pas plus pertinent de s’occuper de ceux qui commettent de vrais délits ? De ceux qui violent ou violentent ou tuent des femmes, des hommes, des enfants, des « plus faibles qu’eux » ? De ceux qui vendent du poison, des voleurs en costard cravate, des politiques qui mènent des politiques sans perspective, des tradeurs qui spéculent sur ceux qui travaillent vraiment et qui mettent en danger la stabilité de notre civilisation toute entière ?Des multinationales qui exploitent leurs employés et qui se soucient moins de la planète et de notre santé que des dividendes à distribuer à leurs richissimes actionnaires ? Ne vaudrait-t-il mieux harceler ceux qui font vraiment du mal à notre société, plutôt que deux gars qui s’aiment, ou d’un gars dont le regard n’est pas celui qu’on attendrait ?
L’homophobie, tout comme le racisme, est enfant d’ignorance. Les deux fleurissent souvent ensemble, sur les murs des chiottes publiques remplis de haine, et ils ne sentent pas meilleur que le lieu où ils s’expriment.
Les deux naissent d’une peur qui ne s’avoue pas, et la peur de l’autre est avant tout le signe d’un manque d’assurance vis-à-vis de soi-même. L’ignorance engendre le manque d’assurance, le manque d’assurance engendre la peur, et la peur engendre la violence.
Quand on ne sait pas se construire « avec », il est toujours possible, et c’est la facilité, de se construire « contre » : contre ce ou celui qui est différent, différent parce qu’inconnu, sans même savoir en quoi cet inconnu est vraiment dérangeant ou nuisible.
La peur est un moteur puissant. Elle dirige une grande partie de nos actes sans même qu’on s’en rende compte. Pourquoi la peur des gays, l’homophobie ?
Homophobie, du grec homo, semblable, identique et phobos, effroi, peur. Mais peur de quoi ? Peur de nous, vous, les fringants hétéros ? Nos regards sont juste des regards et nos envie juste des envies. Et s’il vous arrive d’être sollicités et que vous n’êtes pas intéressés, il suffit de dire « non merci… ». Personne ne vous harcèlera, personne ne vous violera, vous, les gaillards hétéros.
Ce serait tellement bon de pouvoir dire ça à un mec : « tu es canon, je te trouve sexy ». Ce serait bon de pouvoir lui dire ce qu’on ressent, flatter son ego de mâle. Et, même s’il n’est pas intéressé, il pourrait nous offrir un sourire flatté, plutôt qu’une réaction violente.
Comment aurait réagi le beau reubeu du KL si j’avais osé lui dire : « tu es canon, je te trouve sexy » ? Certainement, ça l’aurait fait encore plus sortir de ses gonds.
Et après tout, comment être certain qu’il voulait me chercher des noises ? Tout pris dans ma panique, je n’ai pas su vraiment analyser dans quel état d’esprit était le gars. Est-ce qu’il était vraiment énervé, ou est-ce qu’il voulait juste savoir pourquoi je matais ?
Si ça se trouve, il voulait juste que j’arrête de le mater, ou bien il attendait seulement que j’assume. Peut-être que ça ne lui aurait pas plu non plus, mais ça aurait désamorcé sa colère.
Ce qui n’a vraiment pas dû lui plaire, c’est le fait que je cherche à l’ignorer et faire comme si je n’avais rien fait, car il a pu penser que je le prenais pour un con. C’était clair que je matais et j’avais compris qu’il avait compris, alors pourquoi le nier ?
Dans mon lit, en sécurité, je me dis que, dans une réalité 2.0, ça aurait aussi pu se passer autrement.
Pendant que le beau reubeu au t-shirt blanc contournait la piste, j’aurais pu prendre une bonne inspiration, chasser mes peurs et avoir le cran de l’« affronter ».
« Salut… » j’aurais pu lui balancer sur un ton neutre.
Dans cette réalité 2.0, je ne me laisse pas impressionner ni par mon attirance, ni par son regard, cette présence, cette brûlante mâlitude.
Probablement, le bogoss aurait été droit au but, sans passer par la case politesse :
« Pourquoi tu me mates ? Tu veux ma photo ? ».
Le ton, la cadence des mots, l’attitude auraient certainement été ceux un brin agressif propres aux mecs des cités, avec ce rythme mitraillette bien caractéristique. Le mec aurait été sur un mode un peu batailleur, mais il aurait été plutôt curieux et intrigué qu’énervé.
« Parce que tu es très sexy… » j’aurais eu le cran de lui répondre.
Le mec aurait été un brin désarçonné face à la simple clarté de mes mots. Mais toujours pas réellement agressif ou menaçant.
« Tu me mates parce que je ressemble à un pd ? » il aurait peut-être voulu savoir.
« Je te mate parce que tu es viril et sexy à tomber ! »
« Je kiffe pas les mecs… ».
« Mais les mecs te kiffent… tu le sais, ça, non ? ».
« Je m’en bats les couilles… ».
« Tu as tort… peut être que si t’essayais, tu pourrais aimer… ».
« Sans façon… ».
Peut-être qu’après sa réplique « Sans façon… », il serait reparti, me mettant une veste en bonne et due forme. Et pourtant, le mec ne se serait pas montré agressif, juste surpris, curieux. Et, hélas, pas intéressé.
Ce petit « accident » avec le beau reubeu m’a fait réaliser que, s’il le faut, il y a peut-être bien plus de mecs qui captent mon attirance que je ne le crois. Alors, pourquoi je ne tombe pas sur ceux qui sont « réceptifs » ?
Si je veux rencontrer des mecs, il ne me reste qu’à aller dans le milieu gay, dans les boîtes gay, dans les lieux de drague.
Mais franchement, ça ne me fait pas envie, ça me fait même peur. L’idée de devoir aller dans des lieux dédiés, comme des « réserves » pour se rencontrer, pour baiser, ne m’enchante pas du tout. C’est tellement dur de me dire que je ne pourrai jamais faire une rencontre au hasard du quotidien, comme les hétéros. C’est dur de me dire que, contrairement aux hétéros, je ne pourrai pas aller vers quelqu’un qui m’attire et le lui faire comprendre.
L’épisode avec le reubeu du KL m’a fait repenser à un autre qui s’est déroulé vers la fin de la classe de première. Ce jour-là, après la fin des cours, j’avais été boire un coup avec quelques camarades. Nous étions quatre ou cinq garçons et deux nanas, et nous nous étions installés en terrasse d’un café, en plein centre-ville.
Et LUI était là, à une autre table, pas loin de la nôtre, en train de boire un coup avec ses potes. LUI, c’était un bogoss inconnu, il devait avoir 20 ans, ce qui faisait de lui, à mes yeux d’ado de première, un « grand ». Il avait les cheveux châtain clair, un peu en bataille, une bonne gueule de mec, il était habillé d’une chemisette bleue, les deux boutons du haut ouverts, les deux pans de tissu écartés permettant d’admirer un torse légèrement poilu. Les manchettes enveloppaient des jolis biceps et ses yeux étaient très clairs, il avait un regard intense dans lequel on avait envie de se perdre.
Il était incroyablement charmant et sexy. Je le regardais discuter avec ses potes, avec aisance, parler fort, rigoler fort, c’était une grande gueule.
Dès que le bogoss était rentré dans mon champ de vision, je n’avais pu m’empêcher de le mater discrètement, tout en essayant de prendre part à la conversation à ma table, conversation qui n’avait évidemment plus aucun intérêt pour moi face au désir violent que ce jeune mâle avait suscité en moi.
Parfois, nos regards s’étaient croisés. Plusieurs fois. Mais toujours très furtivement. Jusqu’à cette fois, celle de trop peut-être, où le gars avait ferré mon regard.
Timide comme je l’étais, j’avais illico débrayé, j’avais essayé de me réfugier dans la conversation de mes camarades. Mais je n’avais pas pu m’y résoudre bien longtemps. Au bout d’une minute à peine, j’avais eu besoin de regarder à nouveau le gars inconnu. Au plus profond de moi, je cherchais son regard, je voulais le retrouver.
Et lorsque cela était arrivé, il ne m’avait pas semblé déceler de l’hostilité, mais pas de sourire non plus, rien de rien.
Une nouvelle fois j’avais détourné mon regard, une nouvelle fois j’y étais revenu. Je voulais essayer de comprendre ce qu’il y avait dans son regard. Et là, ses yeux avaient capté les miens en plein vol, comme un rapace plongeant sur une proie facile.
Le gars me fixait : j’avais l’impression que lui aussi essayait de lire dans mon regard. Est-ce qu’il était intéressé ? Par moi ? Est-ce que les miracles existent, donc ?
Je trouvais ce petit échange de regards extrêmement grisant. C’était comme si une sorte de lien s’était établi entre ce mec et moi, et rien qu’entre nous deux, sans que les personnes qui nous entouraient, de son côté comme du mien, en soient conscientes.
L’un de mes camarades avait alors commencé à me parler, ce qui m’avait détourné de ce délicieux petit jeu de regards avec le bel inconnu. Et alors que l’échange s’éternisait, j’avais capté du coin de l’œil que le bel inconnu et sa petite bande étaient en train de se lever pour partir. Et voilà, le bel inconnu allait disparaître de ma vie comme il y était « entré », je n’aurais jamais su ce qu’il y avait dans son regard. Une énième occasion manquée…
Pour atteindre la sortie, la petite bande était obligée de passer à côté de notre table. J’avais continué à discuter avec mon camarade, tout en regardant du coin de l’œil les potes du bogoss passer à côté de nous les uns après les autres.
Puis, à un moment, poussé par l’envie de voler une dernière image de ce petit mâle avant qu’il ne disparaisse à tout jamais de mon existence, j’avais levé mon regard.
Le gars était le dernier du petit cortège, il avançait vers la sortie, le visage légèrement tourné vers notre table. Et là, comme si mon dernier regard l’avait attrapé par l’épaule et retenu, il s’était brusquement arrêté. Il s’était retourné, il avait planté ses yeux dans les miens, des yeux affichant un regard clairement agacé, il avait allongé le bras et il avait dégainé un magistral doigt d’honneur. Puis, il avait rejoint ses potes qui étaient déjà de l’autre côté de la rue et qui n’avaient rien vu.
Son geste avait clairement été dégainé à mon intention, mais il avait également dégainé devant mes camarades, mes camarades qui ne savaient pas que j’étais gay, du moins « officiellement ». Mes camarades qui n’avaient visiblement rien capté des échanges de regards entre le bel inconnu et moi, puisqu’ils avaient l’air très étonnés, mes camarades qui étaient même sur le point de se lever pour rattraper le mec et lui demander des explications. J’avais heureusement réussi à les dissuader de le faire.
C’est dur de vivre dans un monde à moi, seul avec mon « secret », frissonnant à la vue d’un bogoss, mourant d’envie de l’approcher, mourant d’envie de lui tout court, mais l’angoisse au ventre de me découvrir, de lui parler, et que mon secret se dévoile au grand jour.
Combien de désirs silencieux échappent à notre regard, dans la rue, le bus, le tram, les terrasses des cafés ? Combien de mecs matent d’autres gars, ces gars inaccessibles qui ne captent pas ou qui n’acceptent pas le regard rempli de désir qu’un autre mec pose sur eux ? Combien de ces histoires muettes et silencieuses se déroulent sous nos yeux, sans qu’on s’en rende compte ?
22 Comment j’ai osé approcher Jérém
(Le jour J de la « première révision », le mercredi 2 mai 2001).
Longtemps, pendant la première partie de mon adolescence, et jusqu’au dernier jour des vacances séparant le collège du lycée, une question a souvent tourné en rond dans ma tête sans que j’arrive à y répondre. C’était certainement mon manque d’expérience qui m’empêchait de trouver la réponse la question suivante : comment sait-on qu’on est amoureux alors qu’on ne l’a jamais été auparavant ?
Bien évidemment, j’ai lu des livres, j’ai vu des films où il était question d’amour, j’ai vu des camarades, surtout filles, dans un état d’enchantement qui ressemble à la définition d’« être amoureux ».
Puis, en ce jour de début septembre 1998, la réponse m’a sauté aux yeux comme une évidence
Ce jour-là, le tout premier jour du lycée, en une fraction de seconde Jérém est rentré à la fois dans mon espace visuel, dans ma tête, dans mon cœur, dans ma vie. Et il a bouleversé le cours de mon existence.
A partir de cet instant, ce mec a occupé la plupart de mes pensées, aussi bien en cours que dans le reste de mes journées.
A partir de cet instant, j’ai tout voulu savoir de lui. Jour après jour, j’ai fait tout mon possible pour capter la moindre info, le moindre bruit de couloir le concernant. Je le matais pendant les interros, lorsqu’il était appelé au tableau, je m’abreuvais de ses numéros de clown qu’il livrait pour cacher son manque d’application, j’étais triste pour ses mauvaises notes. Jérém était un parfait branleur, mais je le trouvais à la fois tellement marrant, tellement sexy, tellement touchant.
J’ai passé trois années de lycée à me dire qu’il ne se passera jamais rien avec ce bobrun au sourire incendiaire : triste constat, brûlante frustration, alors que je ne pouvais tout simplement pas décoller les yeux de lui, alors que j’avais envie de lui à en avoir mal au ventre, à en crever.
C’était une torture de le regarder grandir, de le voir débarquer chaque jour un peu plus beau et sexy que la veille. C’était un supplice de sentir la traînée de son déo de mec sur son passage, un calvaire de voir défiler ses t-shirts moulants, ses jeans comme coupés sur mesure.
Les jours où il manquait les cours, il me manquait au point que je n’arrivais même pas à m’intéresser aux cours. Mais pire que ses absences en cours d’années, il y avait les week-ends. Et, surtout, les vacances.
Quand les vacances arrivaient, j’étais le seul mec triste de la classe, car je trouvais insupportable l’idée de ne pas le voir pendant des semaines. Bien évidemment, le pire du pire c’était les vacances d’été, deux mois sans le voir. Car je savais d’avance qu’il allait horriblement me manquer.
J’étais jaloux de ses potes, ceux avec qui il sortait le week-end, de ses potes de rugby, de tous ces gens qui avaient la chance de le côtoyer en dehors du lycée, de ces potes qui partageaient avec lui des moments de sa vie qui m’étaient inaccessibles.
Puis, à chaque rentrée, il ne me restait qu’à découvrir à quel point il avait évolué, à quel point il était encore plus canon que la dernière fois où je l’avais vu. Rater Jérém pendant une longue période était aussi frustrant pour moi que rater des épisodes de mes séries préférées de l’époque, Une nounou d’enfer et Sauvé par le gong, à une époque où le replay n’existait pas.
Mes sentiments pour Jérém avaient évolué au fil du temps. Le premier jour de lycée, j’ai eu envie de le serrer contre moi, de le couvrir de bisous. Puis, très vite, cette envie de tendresse s’était mélangée à des envies d’un tout autre genre, plus sensuelles, plus sexuelles.
Deux obstacles insurmontables, cependant, sur le chemin de ce besoin profond : son goût prononcé et affiché pour les nanas, et ma timidité, doublée d’une profonde maladresse.
Ainsi, je n’aurais jamais cru que j’aurais un jour le cran d’oser lui proposer de réviser, et encore moins que nos révisions deviendraient ce genre de « révisions ».
Un grand esprit a écrit : « Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde ».
Pendant trois années de lycée, il ne s’est rien passé. Puis, un jour, j’ai osé. En balbutiant, j’ai osé. Alors qu’à la récré je venais d’entendre deux camarades parler de se retrouver après les cours pour réviser, sur un coup de tête je me suis adressé à mon bobrun, en train de fumer juste à côté :
« On p… p… peut réviser les maths ensemble… enfin, si ça te dit… ».
Quelques secondes à peine…
Le bobrun m’avait regardé de haut en bas, il avait longuement expiré la fumée de sa cigarette, et j’avais même eu l’impression qu’un petit rire moqueur était en train de monter à ses lèvres. Je m’attendais à ce qu’il m’envoie bouler, je me préparais à l’entendre se moquer de moi.
Puis, contre toute attente, il avait lâché, froidement :
« Si tu veux… ».
Oui, quelques secondes à peine, et ma vie toute entière avait basculé.
« Ce soir après les cours ? » j’avais assuré ma proposition, pour ne pas qu’elle parte en l’air.
« Si tu veux… ».
Bien sûr que je le voulais, comme un fou je le voulais, à en crever je le voulais.
Même si cela n’explique toujours pas comment j’avais trouvé le cran de lui proposer cette première révision.
Peut-être que j’ai puisé ce cran dans la peur panique que ces années de lycée se terminent et que Jérém disparaisse de ma vie sans que j’aie tenté quoi que ce soit, alors que j’étais raide dingue de lui depuis le premier jour.
Oui, comment sait-on qu’on est amoureux alors que l’on ne l’a jamais été auparavant ?
Est-on amoureux lorsqu’on se rend compte qu’on n’est pas attirés que par un corps de fou, et par une belle petite gueule de mec ? Quand on a envie de tout savoir de lui ? Quand on a envie de le couvrir de bisous et de caresses, avant et après de le faire jouir comme un fou ? Quand il nous manque à l’instant même où il n’est pas dans notre champ de vision ? Quand on a envie de le rassurer et de l’aider le jour où on le voit inquiet à cause d’une mauvaise note ?
Si tout cela c’est être amoureux, alors oui, je suis amoureux de Jérém.
23 Nouvelle nuit au KL : mater le beau mâle toulousain
Samedi 26 mai 2001.
Comme d’habitude, le week-end s’annonce bien pénible. Mais c’est sans compter avec Élodie, ma cousine adorée. Il est samedi 13h lorsqu’elle m’appelle pour me proposer une sortie au KL, la grande boîte de nuit de la Sesquière, le soir même, avec des potes à elle.
« Allez, viens avec nous… » elle insiste, face à ma première réticence « ça va te changer les idées, ça va te faire du bien… ».
Je finis par accepter son invitation.
Le soir venu, nous nous retrouvons tous chez Elodie, pour un long apéritif dinatoire. Nous sommes cinq au total, Elodie elle-même, deux copines à elle, un certain Benjamin, maqué à une desdites copines, et moi. Benjamin est un mec plutôt sympathique, mais il n’y a pas grand-chose à signaler côté charme.
Nous allons prendre un verre dans un bar et vers une heure du mat nous débarquons au KL.
Nous sommes encore sur le parking, Elodie n’a même pas encore verrouillé sa voiture, que j’ai déjà enclenché mon « détecteur de Jérém ».
Si j’ai accepté l’invitation de ma cousine d’aller au KL, ce n’est pas seulement (ou pas du tout) « pour me changer les idées ». Au contraire, j’ai accepté parce que je sais pertinemment que cette boîte de nuit est le « QG » de mon Jérém, et que j’espère y croiser mon bobrun. Qui sait, peut-être que je trouverai le moyen d’aller lui dire bonjour. Peut-être que je pourrais même trouver le cran de lui proposer une pipe dans les chiottes. Il m’en a bien proposé une dans celles du lycée.
Nous nous laissons embarquer par Elodie dans un premier tour à travers les différentes salles du KL.
Nous passons trop vite à mon goût dans la salle Techno, là où, à mon sens, les chances de croiser mon bobrun sont les plus fortes. Dans la salle disco, je me fais violence pour résister à la tentation brûlante de plonger direct dans la piste de danse, mes jambes entraînées par la rythmique irrésistible de « Gimme ! Gimme ! Gimme ! ».
Une force violente m’attire vers la piste de danse, le même genre d’envie qui m’appelle irrésistiblement à faire « plouff » dans la mer dès que mes orteils se posent sur le sable.
La discothèque est bondée, au point que nous avons du mal à nous frayer un chemin pour avancer.
Le tour des lieux prend ainsi un bon petit moment. C’est un long périple au terme duquel nous finissons par nous poser dans la salle latino. Elodie a envie de latino ce soir-là, Elodie propose, Elodie dispose.
Evidemment, une seule et unique pensée accapare mon esprit, vérifier la présence de mon bobrun dans la boîte.
Le problème est que le KL est immense, et surtout composé de plusieurs salles. Pour peu que le bobrun ne bouge pas de la salle Techno, et que moi je ne bouge pas de la salle latino, il pourrait bien être là et nous pourrions ne jamais nous croiser.
Déjà, je n’aime pas des masses la musique latino. Mais alors, l’idée de passer une grande partie de la soirée dans cette salle, en sachant à fortiori que cela risque fort de me faire rater mon bobrun, voilà qui m’est carrément insupportable.
Même si je sais que mon bobrun ne viendra certainement pas dans cette salle, je ne peux pour autant m’empêcher de le chercher du regard. Je mate tous les beaux mecs, tous les t-shirts bien remplis, tous les physiques avantageux que j’arrive à capter, en espérant retrouver sa plastique, sa bonne petite gueule de mec, son t-shirt à lui.
Pendant une infime fraction de seconde, chaque bobrun est mon Jérém à moi ; avant que je ne me rende compte, de plus en plus déçu et frustré, que ce n’est pas le cas.
Non, Jérém n’est pas ici. Je dois absolument aller faire un tour dans la salle Techno : c’est là que se terre le beau mâle toulousain de moins de 20 ans, le samedi soir.
L’occasion rêvée se présente lorsque que ma cousine tombe sur l’une de ses innombrables connaissances. J’en profite alors pour lui annoncer que je vais faire un détour par la salle Techno pour aller dire bonjour à des camarades « aperçus » lors de notre KL Tour un peu plus tôt.
Me voilà donc dans la salle Techno, charmé par ses lumières colorées et aveuglantes, conquis par ses basses répétitives et entêtantes, captivé par les odeurs d’alcool, de cigarette, de nuage fumigène lancé par le DJ, émoustillé par la présence de tant de jeunesse masculine.
Mon regard balaie fébrilement la salle, analyse tous les visages, toutes les morphologies, toutes les bogossitudes. Je capte, je scanne, je recense, je « fiche » un bon paquet de bogosses, mais toujours pas de trace de mon Jérém.
Jusqu’à ce que quelque chose finisse par attirer brusquement mon attention, de l’autre côté de la piste de danse. Cheveux brun ras, barbe de trois jours, la peau basanée et les traits typés, une plastique de fou mise en valeur par un t-shirt noir bien ajusté, et un regard ténébreux qui semble me fixer et surtout me suivre sans me lâcher.
L’espace d’une seconde, les battements de mon cœur ont des ratés. J’ai l’impression qu’il s’agit du beau reubeu de la dernière fois, celui que j’ai trop maté, qui m’a fait peur et qui m’a poussé à prendre mes jambes à mon cou.
L’espace d’un instant, je crois que c’est bien lui et je crois qu’il m’a reconnu. Je le vois déjà faire le tour de la piste, me rattraper – je suis tétanisé, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, incapable de bouger – pour obtenir ce qu’il voulait l’autre fois, des excuses ou des explications au fait que je le matais, ou bien me casser la gueule.
Mais mon esprit reprend très vite le contrôle, pour me faire prendre conscience que ce n’est pas lui. Oui, c’est un reubeu, mais c’est un autre très beau et sexy reubeu.
Une fois calmé, je ne me prive pas de m’enivrer de sa bogossitude basanée, tout en prenant bien garde à ne pas me faire repérer.
Mais très vite le beau reubeu disparaît de ma vue, avalé par la salle, par la foule, par la nuit. Après une première petite déception, je recommence à passer en revue les bogoss dans mon horizon proche. L’observation du « jeune mâle » est en effet l’un de mes occupations favorites.
Grâce à ma petite expérience, j’ai retenu que les moments privilégiés pour cette observation se présentent lors de soirées, notamment pendant le week-end. A condition, bien évidemment d’aller pister l’« animal » dans son milieu naturel, à savoir les boîtes de nuit ou les fêtes de village. Un milieu qui n’est pas forcément celui que je fréquente habituellement.
Autre chose que j’ai retenue, dans l’écosystème « boîte de nuit », ce sont les points d’abreuvage qui abritent la faune la plus intéressante, celle des petits mâles virils.
Très demandeurs de boissons alcoolisées, les jeunes mecs s’agglutinent le plus souvent aux abords des comptoirs. Parfois, ils se réunissent dans un coin de la boîte, autour d’une table basse pour s’hydrater et déconner. Il est également possible de les apercevoir autour de la piste de danse, un verre à la main, une cigarette entre les lèvres, le dos ou l’épaule appuyé à un mur, à un pilier. Parfois, leurs bassins ondulent de façon imperceptible sous l’effet de la musique, leur corps trahissant l’envie que leur instinct de mâle leur empêche d’exprimer, celle de se laisser transporter par les basses puissantes et entraînantes et se défouler sur la piste de danse.
Car le mâle viril ne danse pas. Il préfère boire. Boire et déconner avec ses potes. Boire et mater les nanas. Draguer les nanas. Le jeune mâle ne « danse » que lorsqu’il est vraiment torché. Ou lorsqu’il veut à tout prix emballer une gonzesse.
Au fil de mes observations, j’ai également pu constater que c’est dans la « meute », et dans l’interaction entre les membres à l’intérieur de celle-ci, qu’on retrouve la plus grande richesse de renseignements à leur sujet.
Je guette un sourire, un geste, une attitude, une expression, je cherche à capter un peu de cette intimité, de cette complicité, de cette proximité virile entre garçons qui me sont inconnues et qui me fascinent au plus haut point. Je guette une bise, un bras autour du cou d’un pote, un regard longuement fixé sur un camarade pendant qu’il parle, des gestes que jamais je n’oserais avec un mec, de peur de me faire traiter de pd.
Oui, cette complicité insolente et parfois ambiguë entre jeunes mâles me fascine. Je me dis que ces deux potes qui viennent de se faire la bise se sont certainement déjà vus à poil, dans un vestiaire par exemple.
Qu’ont-ils pensé l’un de l’autre ? Est-ce qu’il leur est déjà arrivé d’avoir des pensées sexuelles l’un à l’égard de l’autre ? Est-ce que ça leur est déjà arrivé de se branler en pensant à l’autre ? Peut-être que l’un des deux en pince pour l’autre et qu’il n’ose pas lui dire…
Des potes hétéros qui s’offrent du plaisir l’un l’autre, ça doit quand même arriver, parfois…
Si les soirées sont des moments privilégiés pour tenter de percer le mystère du charme masculin, ce sont les « fins de soirée » qui constituent le créneau idéal pour aller encore plus loin dans l’étude de cette faune merveilleuse.
Les « fins de soirée », ces instants hors du temps et du cours normal des choses, lorsque l’heure tardive et l’alcool délient les langues et font baisser les barrières de la pudeur. Ces instants bénis où l’on arrive parfois à capter des mots, des réflexions plus intimes que les conversations habituelles, des instants où les mecs se dévoilent un peu, ils évoquent des angoisses, des faiblesses, les partagent avec leurs semblables.
Parfois, mon oreille a eu la chance de traîner au bon endroit et au bon moment. Et il m’est arrivé d’entendre certains petits cons d’habitude très sûrs d’eux, et même un brin arrogants, se confier à un pote, comme à son grand frère.
C’est extrêmement touchant de découvrir, dans ces instants-là, derrière les muscles saillants, la virilité débordante, l’assurance affichée au quotidien, des êtres sensibles qui ont besoin d’être rassurés et réconfortés.
Certes, ce n’est qu’un état passager, provisoire, et qui ne survivra pas à quelques heures de sommeil. Le lendemain, lorsque l’ivresse et la fatigue seront disparues, les jeunes loups retrouveront leur assurance, leur place dans la meute, leur air « bien dans leurs baskets » qu’on leur connaît si bien. Mais lorsque ces instants magiques se présentent, c’est touchant à en tirer les larmes.
Une « meute » de jeunes mâles, ça me fascine, m’intrigue, me captive, me fait rêver, moi, si différent d’eux, si loin de leurs centres d’intérêts, sportifs ou sexuels, si étranger à cette complicité amicale, à cette camaraderie entre mecs.
Je n’ai jamais fait ni de sport co, ni aucune de ces activités « entre mecs » qui auraient pu me faire appartenir, moi aussi à une « meute ». J’ai toujours été nul en sport, et j’ai toujours redouté de me confronter aux autres garçons, j’ai toujours eu peur qu’on se moque de moi.
En revanche, j’ai toujours rêvé de me frotter, plutôt que me confronter, aux beaux garçons. Je les ai d’abord admirés, idéalisés, avant de les désirer furieusement.
Lorsque j’avais 18 ans, les mecs de 20-22 ans étaient à mes yeux des « grands garçons », ils m’attiraient en raison de ce que je croyais être leur expérience, infiniment supérieure à la mienne. Aussi, leur assurance de jeunes mâles m’impressionnait énormément.
Aujourd’hui, à 35 ans, les petits mecs du même âge, de 10-15 ans mes cadets donc, m’attirent au contraire en raison de leur manque d’expérience, de la vie, en particulier. Ce qui m’avait apparu auparavant comme leur assurance, ne me semble désormais qu’une « façade », une illusion qui ne tient qu’au fait d’une jeunesse qui a tant encore, pour ne pas dire presque tout, à découvrir. Une assurance qui est parfois tout simplement une façon de jouer au « petit mâle », en attendant d’en être vraiment un.
Avec le recul de l’âge, ces petits mecs me touchent tout autant qu’ils m’attirent. Ainsi, le désir violent qu’ils m’inspirent s’accompagne d’un regard bienveillant, d’une profonde envie de leur faire du bien, des câlins, de les laisser exprimer leurs envies, de leur faire découvrir leurs envies, et de les faire jouir comme personne ne l’a encore fait auparavant.
Aujourd’hui, comme hier, je ressens toujours la même intense envie de faire plaisir à un bogoss, toujours la même quête de ce qui est pour moi le plus exquis des plaisirs, celui de donner du plaisir à un bogoss.
Enfin, presque le plus exquis. Il existe un autre plaisir, un seul, plus grand que celui de donner du plaisir à un bogoss : c’est celui de donner du plaisir au garçon que l’on aime. Car quand l’amour, le vrai, se mêle au plaisir, il lui fait prendre une nouvelle dimension. Et là, c’est le bonheur ultime et absolu.
Je suis toujours absorbé par l’observation du « jeune mâle en meute en boîte de nuit », lorsqu’à un moment une image traverse ma rétine comme un éclair, et me retourne comme une crêpe.
Et voilà mon Jérém, avec un t-shirt vert pâle, style militaire, épousant sa plastique de fou comme une deuxième peau, le coton tendu ne dissimulant rien de sa musculature impressionnante.
Juste à côté de lui, habillé d’un t-shirt noir un brin moins moulant mais quand même plutôt ajusté sur sa morphologie carrée, se tient le très charmant Thibault.
Les deux potes avancent vers le bar, avec leur allure bien « mec ». Derrière eux, d’autres éléments de « leur meute » suivent le mouvement. Les jeunes mâles commandent à boire. Et alors que je m’attends à les voir s’installer à une table dans un coin de la salle, la meute semble de disperser. Certains partent dire bonjour et discuter avec d’autres gars qui viennent d’arriver, d’autres semblent carrément disparaître, peut-être partis faire un tour dans d’autres salles.
Quant à Jérém et Thibault, ils s’installent en lisière de la piste de danse, un verre à la main, les yeux rivés sur les nanas que le mouvement de la danse doit rendre encore plus séduisantes à leurs yeux. Enfin, j’imagine.
J’essaie de me mettre dans leur peau, j’essaie de lire dans leur regard, j’essaie de rentrer dans leur tête, j’essaie de comprendre ce qui fait courir ces adorables, insaisissables mecs à nanas, j’essaie de deviner ce qu’ils ressentent en voyant ces corps féminins onduler au rythme de cette musique entêtante, cette musique qui, au dire de certains, contribuerait à adoucir les mœurs.
La vie est si mal faite, les jeunes hommes comme moi sont condamnés à mater les mecs comme Jérém et Thibault, matant à leur tour des nanas. Des nanas qui font semblant de les ignorer, préférant parfois danser avec des mecs… comme moi !
Ce qui n’enlève rien au bonheur de mater les deux potes, et qui plus est de les voir côte à côte, ce qui m’offre la chance de faire un parallèle entre deux gars, deux potes si proches, qui n’ont pourtant pas du tout le même style.
D’un côté, Jérém, avec son physique élancé et tout en muscles, une belle gueule à faire jouir d’urgence.
De l’autre, Thibault, à peine un peu moins grand que son pote, mais avec des épaules larges, un cou puissant, un visage aux traits bien virils et rassurants.
Jérém a parfaitement conscience du pouvoir quasi illimité de son charme, et il ne se prive pas d’en jouer.
Thibault, tout aussi incroyablement beau et sexy, donne en revanche l’impression de ne pas se rendre compte du tout de son pouvoir de séduction, pourtant tout aussi incroyable que celui de son pote.
Jérém s’emploie à mettre en valeur son physique de malade, avec des t-shirts moulants, des jeans bien coupés, un brushing de bogoss, une barbe bien taillée, une pilosité maîtrisée, le tatouage.
Thibault est, au contraire, le garçon le plus naturel du monde. Son brushing ? Les cheveux courts, sans gel, parfois brossés vers l’avant, parfois en bataille. La barbe ? Pas de poil de trois jours soigneusement entretenu, visage rasé de près, le plus souvent. Côté pilosité ? Quelques poils scandaleusement sexy qu’aucun rasoir n’a, à priori, jamais tenté de faire disparaître, et qui dépassent du col du t-shirt lorsque celui-ci est suffisamment échancré.
Jérémie incarne à mes yeux le feu, l’imprévisibilité.
Thibault représente la force paisible, le mec posé, sa présence dégage une force et un équilibre auxquels on a envie de s’abandonner.
Jérém semble avoir en lui le besoin constant et jamais assouvi de s’assurer de la toute-puissance de son pouvoir de séduction.
Thibault ne semble pas avoir besoin de cela. Thibault est un mec qui a l’air réellement bien dans sa tête et dans ses baskets. Ne serait-ce donc pas cela, la véritable assurance de soi ?
Je kiffe à fond l’insolence et l’arrogance d’un petit con comme Jérémet cela est d’autant plus vrai depuis que je couche avec lui.
D’un autre côté, je trouve terriblement attirant le côté rassurant de Thibault, j’ai l’impression que c’est un gars vraiment adorable.
Jérém, Thibault, deux mecs incarnant un idéal de charme masculin.
Je regarde les deux potes tenter de discuter, l’un portant sa bouche près de l’oreille de l’autre. Je les regarde échanger des sourires de camaraderie, des sourires tellement charmants. Je trouve leur amitié belle et précieuse.
D’autant plus que, lorsque je regarde Jérém en présence de Thibault, je le trouve souriant, déconneur, joueur, une attitude qui contraste farouchement avec celle dure et dominatrice qui est la sienne pendant nos séances de baise. A l’évidence, Thibault sait comment mettre son pote à l’aise, comment le faire rire. Comment le rendre plus « humain ».
Oui, j’ai l’impression qu’au contact de Thibault, Jérém est dans son élément, à l’aise, détendu. Et lorsqu’il est détendu, mon bobrun est, si possible, encore plus beau.
Comme j’envie la chance de Thibault de connaître si bien son pote, d’avoir tant de vécu en commun, d’avoir cet ascendant positif sur lui. Et comment je voudrais être capable d’obtenir ce sourire, moi aussi!
24 Deux potes
Jérémie et Thibault, Jéjé pour l’un, Thib pour l’autre. Deux garçons aux caractères bien différents et pourtant si proches, les meilleurs potes du monde.
Leur première rencontre remontait au CP.
A six ans, Jéjé était un petit garçon timide, frêle et maigrichon et depuis les premiers jours d’école, il s’était fait bousculer par les « grands » de CM2.
Très vite, Thib avait pris sa défense, n’hésitant pas à taper sur les grands et à se faire taper par les grands. Une amitié était née.
A sept ans, Thibault avait été impliqué dans un grave accident de la route. Son père, qui était au volant, s’en était tiré avec quelques éraflures. Thibault avait eu une épaule cassée.
Lorsqu’il avait appris pour l’accident, Jéjé avait eu très peur de perdre son pote. Il n’avait été rassuré que lorsqu’il avait pu aller le voir à Rangueil où il était resté en observation pendant quelques jours.
Ils avaient huit ans, lorsque Thib avait perdu son Filou adoré, un petit chien croisé Beagle. C’était un jour de pluie et Jéjé l’avait aidé à faire le trou au fond du jardin, il avait déposé la dépouille dedans, avant d’expliquer au petit Thib en larmes, avec la sagesse que seuls possèdent les enfants, qu’il avait entendu dire qu’il existait un Paradis pour les gentils toutous et que Filou y était, c’était sûr.
Cette même année-là, le rugby était rentré dans leur vie, et il n’en était jamais sorti depuis.
Ils avaient dix ans lorsque les parents de Jéjé avaient divorcé, en zappant la phase « bagarre pour la garde des gosses » (Jéjé a un frère cadet, Maxime), puisque la mère s’était barrée à l’autre bout de la France avec un autre mec. Depuis, elle avait presque totalement disparu de leurs vies.
Quant à son père, il avait rapidement ramené une nouvelle nana à la maison. Et très vite, entre cette nana et Jéjé, ça avait mal tourné.
Jéjé ne supportait pas sa belle-mère, et la première raison à cela c’était qu’il n’acceptait pas qu’elle puisse prendre si rapidement la place de sa véritable mère.
Très remonté contre cette dernière, incapable de comprendre son attitude qu’il considérait comme un abandon pur et simple, en conflit ouvert et permanent avec sa belle-mère qui ne tolérait pas son hostilité, à dix ans, Jéjé était un garçonnet profondément en colère.
Heureusement, il y avait le rugby. Heureusement, il y avait son pote Thib, pour le soutenir et le faire rire. Thib était le seul qui y arrivait en cette période difficile de sa vie.
Ils avaient douze ans lorsque Thib avait perdu sa grand-mère qu’il adorait par-dessus tout.
Jéjé ne l’avait pas lâché d’une semelle pendant des mois, passant avec lui d’innombrables après-midis collés à la console de jeux ou à se balader à vélo.
C’est bon d’avoir un copain dans les moments durs, c’est bon à tout âge de la vie, mais à fortiori quand on est enfant, lorsqu’on se construit.
Jour après jour, leur amitié avait grandi jusqu’à devenir irremplaçable.
Puis, l’adolescence était arrivée. Sans crier gare elle était arrivée.
A quatorze ans, Jéjé était toujours très en colère contre sa famille, de plus en plus en colère. Il attendait avec impatience ses seize ans, avec la ferme intention de se faire émanciper et pouvoir quitter le domicile familial au plus vite.
Et même si le rugby avait commencé à muscler son corps, même s’ilne se faisait plus bousculer, il se voyait toujours comme le garçon maigrelet qui se faisait moquer et bousculer dans la cour de récré.
C’est pour cela qu’il avait voulu faire de la muscu « parce que je veux devenir fort », comme il l’avait annoncé à son pote Thib.
Le rugby était devenu à la fois le fil conducteur et le pilier central de sa vie et de celle de son pote. Les entraînements deux fois par semaine leur permettaient de connaître les coéquipiers et à s’en faire des potes et ça leur apprenait également à s’intégrer dans une équipe.
Dès les premiers matches, ils avaient connu l’excitation et le stress dans les vestiaires avant le début de la compétition, ils avaient été confrontés à l’effort collectif pendant deux fois quarante minutes, ils avaient appris à mouiller le maillot pour gagner, pour gagner tous ensemble.
Au rugby, encore plus qu’avant, les deux potes avaient connu la magique sensation de pouvoir compter l’un sur l’autre, de se comprendre au quart de tour pour faire avancer le jeu, de se comprendre sans un mot en chaque circonstance, juste « parce que ».
Ils avaient connu la joie et l’excitation de marquer un essai, le désarroi d’en rater un ou d’en encaisser un. Ils avaient connu l’euphorie de la victoire et le blues de la défaite. Ils avaient pris des coups, mais ils s’étaient fait des potes.
Et ils avaient connu la troisième mi-temps, ce temps partagé avec les copains qui savent ce que chacun a vécu, puisqu’ils l’ont vécu ensemble. La troisième mi-temps, c’est le temps du réconfort après l’effort, le moment de refaire le match, le moment des blagues, de la camaraderie, de la bonne humeur, c’est une fête de famille sans la famille.
Et au fur et à mesure qu’il devenait bon sur le terrain, le rugby devenait pour Jéjé une façon de prendre sa revanche sur la vie.
A quinze ans, les nanas avaient commencé à s’intéresser à Jéjé et à l’intéresser. Le lycée était devenu alors la dernière de ses priorités, loin derrière les potes, le rugby et les meufs.
Malgré cela, au fond de lui, Jéjé était toujours un garçon profondément en colère, en pleine phase de rébellion, une phase qui avait failli même avoir raison de son amitié avec Thib.
Et si cela n’avait pas été le cas, ça avait été grâce à la patience, à la fermeté et au tact légendaires de ce dernier.
Les 16 ans avaient marqué un tournant dans la vie de Jéjé. Il l’avait voulu, et il avait réussi : en l’espace de deux ans, son corps avait été métamorphosé, sa musculature s’était développée, tout comme sa technique au rugby, notamment dans le rôle d’ailier.
A présent, il était assez baraqué et bon joueur pour imposer le respect. Personne ne se moquait plus de lui depuis un bon moment déjà et, de plus en plus, il suscitait l’admiration et la jalousie. Quant aux nanas, elles se battaient pour se taper le beau rugbyman brun.
Les deux potes avaient fait leur scolarité ensemble, jusqu’à ce que Jéjé ne se fasse exclure du lycée au dernier trimestre de la première année.
C’était à cause de ses absences répétées, injustifiées, stratégiques ; mais aussi de son je-m’en-foutisme élevé à son plus haut grade, de son tempérament allergique à toute forme d’autorité, de son attitude irrespectueuse vis-à-vis des profs, et de son comportement trop facilement bagarreur vis-à-vis des camarades.
Qu’à cela ne tienne, l’amitié entre les deux potes avait survécu au changement de lycée de Jéjé. Les deux potes avaient fait les 400 coups ensemble : premières sorties en boîte de nuit, l’alcool, le pétard, la bagarre entre mecs, les premières copines, les premières fois, le sexe, le permis, la bagnole.
Toujours présent, Thibault avait évité à Jérém de faire pas mal de bêtises : il l’avait empêché de prendre la voiture ou de se battre lorsqu’il était saoul.
Oui, c’est tellement bon d’avoir un pote, un vrai, dans la vie.