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Jérém&Nico et d'autres histoires

53.6 Julien. Ewan et Philippe. Jérém.

Julien

Oui, c’est beau, Toulouse, l’été… et le vent d’Autan y met également sa touche, faisant bouger les t-shirts et les shorts des « petits cons » dans la rue, ainsi que les pans de la magnifique chemise blanche de mon Jérém, pendant qu’il jongle entre les tables de la terrasse de la brasserie ; et le brushing du charmant et hyper sexy Julien qui, assis sur le capot de sa voiture garée devant l’autoécole, m’attend pour une nouvelle leçon de conduite.
Vraiment bogoss, toujours impeccable, lunettes noires, tout comme noir est son t-shirt du jour, comme d’hab parfaitement ajusté à son torse, à ses épaules, à ses biceps, à ses pecs, à son cou, à ses tatouages, à sa bogossitude.
Ce n’est plus un secret, je kiffe à mort les t-shirts blancs… mais alors, le t-shirt noir, bonheur visuel totalement opposé, mais tout aussi intense : c’est juste l’autre face de la perfection au masculin.
Ah, ce Julien ! Beau, charmant et charmeur, il dégage vraiment un truc de dingue. Rien qu’avec sa simple présence, il chauffe l'air, les esprits, les désirs. C’est mon Jérém, mais en presque blond. Redoutable.
A nouveau, je me retrouve à faire le cours en binôme avec une fille, une autre. Marion est une fille de mon lycée, mais d’une autre classe, elle a passé le bac en même temps que moi ; je ne la connais que vaguement de vue, d’ailleurs c’est elle qui m’a reconnu en premier (je zappe facilement les gonzesses, ma mémoire étant beaucoup plus disponible pour les souvenirs de bogoss).
Marion s’installe au volant, le bogoss à son poste de bogoss ; et moi derrière, à la place du mateur de bogoss, place dangereuse, là où les effluves de parfum de bogoss sont si intenses, là où la proximité de ce cou, de cette nuque, de cette mâchoire de bogoss, de cette barbe claire de bogoss d’une petite semaine, donnent tour à tour de sévères envies de bisous et des idées très peu catholiques.
Aussitôt la voiture démarrée, le bogoss démarre son numéro, le même que celui servi à Sandrine, presque à la lettre près ; de la dragouille en mode « je te balance des conneries en rafale pour te faire rigoler, je ne te lâche pas d’une semelle tant que tu n’es pas prise dans le filet redoutable de mon charme ». Un numéro qui a vraiment l’air bien rodé. Et très efficace.
Les filles changent mais le bogoss est toujours aussi souriant, aussi vif, aussi taquin, aussi joueur, aussi dragueur, aussi tête à claques, aussi craquant… et il sent toujours aussi bon… je vais faire un malaise…
Une chose est sûre, le mec est un charmeur maladif : je sens chez lui un besoin viscéral de plaire et de séduire. Il pourrait avoir dix filles sous son charme, il faudrait en plus qu’il aille draguer les mouettes sur la plage. Vraiment, ce Julien, c’est le genre de mec qui tire (sur) tout ce qui bouge.
Bien installé dans mon poste d’observation privilégié de la banquette arrière, je regarde beaucoup moins la route que la plastique du boblond, je me concentre beaucoup moins sur le cours de Marion que sur le sketch de Julien. Je suis toujours aussi émoustillé par cette chaînette qui m’en rappelle furieusement une autre, par ses oreilles bien dégagées grâce à ses cheveux presque ras autour de la nuque.
Je me délecte de sa vivacité, de sa jeunesse bouillonnante, de son côté « beau parleur » ; le mec a l’air tellement convaincu de ses bêtises, qu’il en devient convainquant ; son numéro de charme, savamment mélangé à une délicieuse dose d’autodérision, marche à merveille ; son sourire ravageur, son sens du second, voire troisième degré, cette manière de ne pas se prendre au sérieux tout en l’étant quand on s’y attend le moins ; tout cet ensemble d’émotions qu’il sait dégager, et qui constitue sa personnalité de petit con, fait que, même quand ses boutades sont parfois sacrement culotées ou même ratées, ça passe comme une lettre à la poste.
Et même quand Marion, à l’instar de Sandrine, lui met des vents pour le refroidir, le bogoss est toujours souriant, il ne se démonte jamais, il retombe toujours sur ses pattes, et il revient toujours à la charge.
J’adore cette attitude de voyou sexy ; et, malgré ses répliques parfois assassines, Marion non plus n’est pas insensible au charme du beau moniteur.
Comment ne pas l’être, face à ce charmeur maladif, chargé d’une sensualité bouillonnante : j'ai l'impression qu'on peut comme sentir autour de lui sa sexytude, comme une sorte de fluide à la fois poisseux, dense et immatériel. Un seul autre gars me fait cet effet avec une telle violence : et ce gars est mon Jérém.
Non seulement il est grave grave grave sexy le Julien ; mais lorsqu’on l’observe, lorsqu’on l’écoute, on sent le mec très porté sur la chose, le mec qui aime ça, vraiment : il y a un truc dans ce sourire malicieux qu’il affiche presque en permanence, un je-ne-sais-quoi qui laisse imaginer que le gars doit être très, très coquin au pieu, chaud comme la braise, prêt à s’enflammer dès qu’on lui en donne l’occasion.
Une occasion que, d’ailleurs, il s’emploie à créer de toutes ses forces.
Le cours avance, et petit à petit, je me familiarise avec le jeu d’équilibriste qui consiste à me servir du rétroviseur pour capter la jolie petite gueule de Julien, tout en évitant d’accrocher son regard : petit jeu aux mille frissons.
J’essaie d’être prudent ; hélas, jamais repu de l’image de sa tête à claques sexy, je finis par me faire gauler ; son regard finit par se planter droit dans le mien par rétroviseur interposé : immédiatement, je baisse les yeux.
Dans les minutes qui suivent, je me fais violence pour éviter ce doux poison qu’est le reflet de son regard, ce reflet qui m’aimante ; j’essaie de regarder la route et de suivre le cours ; mais, ce faisant, je ne peux quitter des yeux son profil, en plein dans mon angle de vision.
Au bout du cours Dillon, la voiture est obligée de s’arrêter au feu rouge du Pont Neuf…
Lorsque le feu passe au vert, trop occupée à jouer au jeu du chat et de la souris avec le bogoss, Marion passe la mauvaise vitesse, et elle cale la voiture. Presque immédiatement, un concert de klaxon se met à hurler derrière nous. Le toulousain est pressé.
Le bogoss appuie sur le bouton des warnings et commence à donner des instructions à Marion pour l’aider à repartir. Sa voix a pris soudainement un ton rassurant et viril, très pro, mais bienveillant, qui tranche vivement avec ses boutades de petit canaillou charmeur ; de nouvelles vibrations dans sa voix qui ajoutent du charme au charme.
Marion redémarre la voiture, passe une vitesse à l’arrache, n’importe comment ; une nouvelle fois, mauvais match… la voiture s’arrête un mètre plus loin.
Sans m’en rendre compte, mon regard plonge à nouveau dans le rétro ; et là, comme si le bogoss était à l’affut de ce contact, je vois presque immédiatement ses yeux se planter dans les miens ; je suis tellement surpris que je n’ai même pas le réflexe de baisser le regard ; surpris, oui, et charmé ; un regard pareil, on a franchement envie de se laisser faire et de voir où ça peut nous amener… au pire on aura rêvé pendant une seconde.
Et alors que la nénette tente de redémarrer la voiture, Julien me fixe dans le rétro pendant 1 ou 2 interminables, intenses, brûlantes secondes ; je le vois ensuite faire une sorte de grimace, il ferme les yeux, il fronce les sourcils et le front ; et, pendant qu’il donne des instructions à Marion, il finit par me balancer un petit sourire amusé et magnifique, ponctué d’un clin d’œil parmi les plus sexy et bouillants que je n’ai jamais vus. Le mec ne se rend pas compte qu’avec un clin d’œil pareil on peut achever quelqu’un.
Je reçois tout cela comme une sorte de geste complice, une sorte d’entente « entre mecs », pour commenter discrètement la gaffe de la nénette ; je trouve ça un peu macho sur les bords, mais tellement sexy.
Finalement, Julien aide Marion à redémarrer avec ses pédales et nous repartons vers St Cyprien. Nous continuons vers la patte d’Oie, puis avenue de Grand Bretagne, jusqu’à Purpan.
C’est la fin du cours pour Marion, elle descend au rond-point de l’hôpital.
Le changement d’attitude de Julien lorsque nous nous retrouvons seuls est toujours aussi saisissant. Le Julien charmeur se transforme en Julien très pro, trop pro… mais ce qui ne change pas, c’est sa sexytude bouillante même lorsqu’il ne fait rien pour la mettre en évidence, cette beauté de mec canon qui est là, tout simplement, comme le soleil d’été. Sans parler de son déo qui sent si bon.
Nous revenons par l’avenue de Grande-Bretagne, direction le Pont Neuf. Des papillons commencent à s’agiter violemment dans mon ventre lorsque Julien me fait continuer dans la rue de Metz.
Je sens ma respiration s’accélérer à la simple idée de m’approcher de mon Jérém, j’ai le cœur qui bat la chamade à l’idée de le voir en terrasse. Car c’est ce qui va arriver, à coup sûr. Pour peu que le feu devant la brasserie soit au rouge, je vais le voir, et il va me voir lui aussi.
Nous arrivons à Esquirol, et PAF !, le voilà mon bobrun, en terrasse, habillé de sa jolie chemise blanche, comme une heure plus tôt, chemise de bogoss que le vent fait un peu bouger autour de sa plastique ; c’est beau à me vriller les tripes.
Je suis tellement en surchauffe que je ne vois même pas que le feu est en train de passer à l’orange ; je suis brusquement rappelé à la réalité lorsque je sens la pédale d’embrayage se dérober sous mon pied, la voiture ralentir brusquement, puis s’arrêter sans que j’aie appuyé sur la pédale de frein ; c’est là que je réalise que Julien a dû intervenir pour m’empêcher de griller le feu désormais rouge.
« Eh, fais gaffe… » il me lance sur un ton entre réprobateur et moqueur, avec un sourire à faire tomber des montagnes « t’as pas vu que le feu allait passer au rouge ? ».
« Désolé… » je tente de m’excuser, mal à l’aise, tout en commençant à transpirer à grosse gouttes.
Mais déjà mon regard cherche à nouveau mon Jérém en terrasse. Ce mec est comme une drogue. Lorsqu’il apparaît, plus personne ni rien d’autre n’existe à mes yeux.
« Il va falloir faire gaffe, si tu veux passer l’examen un jour… ».
« Je suis désolé, je ferai davantage attention à l’avenir… ».
Mon bobrun disparaît à l’intérieur de la brasserie.
« Quand le feu passe au vert, tu me fais pas le même coup que Marion, ok ? » fait-il en me donnant une petite tape sur l’épaule, comme pour attirer mon attention.
Je me retourne et je capte son regard de braise, son sourire fripon.
Il est beau…
« Je vais essayer… » je lui balance, juste avant de laisser à nouveau glisser mon regard vers la terrasse. Jérém ressort avec un plateau chargé.
Oui, Julien est très beau… mais mon bobrun, c’est le plus beau.
« Si tu cales, je te jure, tu sors de la voiture et tu rentres à pieds… » me balance le boblond, taquin, tout en tirant un petit coup sec sur ma ceinture pour attirer une nouvelle fois mon attention.
C’est sa façon de balancer ça, plus que les mots eux-mêmes, c’est son sourire communicatif et charmant avant tout : toujours est-il, que je ne peux m’empêcher de rigoler avec lui.
Ça fait du bien de rigoler, en plus ça m’aide à évacuer la tension d’être si près de mon bobrun, sans pouvoir l’approcher.
Le feu s’éternise au rouge. Jérém vient de servir le client, il revient avec son plateau vide et s’installe dans l’encadrement de l’entrée de la brasserie, l’épaule appuyée au montant, le regard balayant la terrasse, ou peut-être la route.
Je prends peut-être mes rêves pour des réalités mais j’ai soudainement l’impression qu’il regarde dans ma direction ; enfin, difficile de dire s’il me regarde vraiment, ou s’il regarde autre chose… pourtant, même s’il ne donne aucun signe dans ce sens, je suis prêt à parier qu’il m’a vu.
Je ne peux m’empêcher de sortir le bras par la vitre ouverte et de lui faire un petit signe de la main. Signe qui restera sans réponse. Car, pile au moment où je lève mon bras, Jérém s’avance vers une table et sort son calepin pour prendre une commande.
A-t-il seulement vu mon geste ?
« C’est un pote à toi ? » j’entends Julien me demander à brûle pourpoint.
« Oui, c'est… enfin… c'était un camarade de lycée ».
« Il s'est levé de mauvais poil ou quoi ? » il rigole.
« Pourquoi ? ».
« Il t’a mis un vent ».
« Il ne m’a peut-être pas vu… je ne sais pas s’il me regardait… ».
« Moi je te dis qu’il regardait… et qu’il t’a mis un vent… ».
« Il est un peu con parfois… ».
« C’est ton mec ? ».
« Quoi ? ».
« C’est pas ton mec mais tu le kiffes, non ? ».
« Non… enfin, pourquoi tu dis ça ? ».
« Parce que c’est vrai… ça se voit que tu le kiffes… tu ne peux pas décoller les yeux de lui… je me trompe pas ? ».
Le feu passe au vert ; je redémarre sans caler.
« T’as vu, j’ai pas calé… » je tente de faire diversion.
« Change pas de sujet… tu kiffes ce mec, non ? ».
« Pourquoi je le kifferais ? ».
« Tu vas pas me dire que tu es un mec à filles ? ».
« De toute façon ça ne sert à rien… dans un mois je serai sur Bordeaux, alors, c’est mort… ».
« Il ne s’est jamais rien passé avec lui ? ».
« Non » je mens, j’ai juste envie qu’il me lâche « et il ne se passera jamais rien… c’est comme ça… ».
En tout cas, il ne se passera PLUS jamais rien, c’est presque sûr. Julien a raison, Jérém m’a vu ; et il me faisait la gueule. Je n’aurai jamais le courage d’aller le voir.
Nous continuons vers la Halle aux Grains, puis la Gare Matabiau, ensuite retour vers l’autoécole ; le reste du cours n’est pas une promenade de plaisir, je suis tout perturbé par ce qui vient de se passer, j’enchaîne les conneries.
Au fond, je ne sais pas si c’est davantage le fait de m’être fait griller par Julien ou l’attitude de Jérém qui me perturbe le plus ; qu’est-ce qu’il il avait dans son regard ? De l’hostilité, de la rancœur ou, pire que tout, de l’indifférence ?
« Je n’ai pas été bon aujourd’hui » j’admets en me garant devant l’autoécole.
« Relax, mec… » me répond Julien avec un grand sourire incendiaire « la prochaine fois en évitera de passer par Esquirol… ».
Petit con, va, je me retiens de justesse de lui lancer.
Je passe le reste de la journée dans un état morose. Il faut que je me fasse à l’idée, je ne le reverrai plus, je ne coucherai plus jamais avec lui, je ne le sentirai plus jamais sur moi, contre moi, en moi, je ne me régalerai plus jamais de ce goût de mec que je vais finir par oublier, je ne verrai plus jamais sa jolie petite gueule déformée par l’orgasme. Ça aussi je vais l’oublier.
Je suis tellement dégouté que je n’ai même pas le courage, le soir, dans mon lit, de prendre avec moi sa chemise pour m’endormir avec son odeur.

Ewan et Philippe.

Le lendemain, samedi 28 juillet, je me réveille tout aussi morose que la veille. Dans quelques heures, ça fera une semaine déjà, une semaine après cette nuit avec les deux potes. Une erreur, cette nuit, une profonde erreur.
Je ne sais toujours pourquoi Jérém a voulu entraîner Thibault dans nos galipettes. Ça fait toute une semaine que je me pose la question ; j’ai fini par me dire que le fait que Thibault sonne à son interphone pendant nos ébats, a donné à Jérém l’occasion rêvée de me montrer, de montrer à son pote et de se le confirmer à lui-même par la même occasion, que je ne représente rien de plus à ses yeux qu’un cul à baiser.
Certes, le fait que l’attitude de Thibault n’ait pas du tout été celle qu’il avait envisagée et prévue, ça a dû sérieusement le mettre en pétard.
Quoi qu’il en soit, la présence de Thibault lui a offert l’occasion, le prétexte et la façon de mettre un terme à notre relation. Une façon toute à lui de tout casser, de faire la terre brulée entre nous deux, de semer un malaise insurmontable, de mettre le mot FIN à nos « révisions », sans avoir à donner d’explications.
Car du malaise, oui, cette nuit, elle en a créé. Pas avec Thibault, car Thibault est un type formidable. Mais entre moi et Jérém, ça c’est certain, elle en a bien crée.
Va l’approcher maintenant…
Quel con j’ai été de me faire piéger de cette façon.
Heureusement, quand ça ne va pas fort, je peux toujours compter sur la présence de la meilleure des cousines. C’est comme si elle le sentait. Elle vient à moi quand j’en ai besoin.
C’est en début d’après-midi que je reçois un coup de fil d’Elodie. Elle me propose un ciné pour le soir même.
« Je n’ai pas trop envie de bouger… ».
« Toi t’as encore des soucis de bobrun… ».
« Laisse tomber… ».
« Tu viens, un point c’est tout… ».
« Si tu veux… ».
« Cache ta joie mon poulet… »
« Si, si, je viendrai… je ne sais pas dire non à une soirée avec ma cousine » je tente de rigoler.
« En revanche, je ne serai pas seule, mon Nico ».
« T’amène une de tes copines ? ».
« Naaaan… ».
« Ne me dis pas que tu viens avec un mec… ».
« Si… ».
« Dis-donc, soirée ciné, présentation du cousin, c’est du sérieux… ».
« C’est justement parce que je ne veux pas que ça fasse trop sérieux que je te demande de venir… ».
« Tu le vois depuis quand ? ».
« Quelques jours… ».
« Il est bien ? ».
« Il a l’air… ».
« Vraiment bien ? ».
« Je te dirai ça après… ».
« Vraiment très très bien ? ».
« On n’a pas encore couché… ».
« Ah, ok… tu veux aller voir quoi ? ».
« Moulin Rouge… ça te dit ? ».
« C’est quoi comme film ? ».
« Tu vas aimer, il y a du Madonna dedans… ».
« Comment ça ? ».
« Si tu viens, tu verras… ».
« A Blagnac ? ».
« Non, c’est en avant-première uniquement à l’UGC Wilson, la séance de 21 heures… ».
« Ok, ok, j’y serai… ».
« T’as intérêt… ».
Alors, ça… Elodie avec un mec… je suis très heureux pour elle. Elle mérite sa part de bonheur, ma cousine.
Dans l’après-midi, le vent d’Autan se fait de plus en plus violent. En début de soirée, ça souffle toujours aussi fort.
Lorsque j’arrive devant le cinéma, Elodie et son mec sont déjà là.
Philippe est un petit brun, 1m70 max, il n’a pas la carrure rugbyman, mais son corps est néanmoins très agréable à regarder. C’est un garçon très séduisant, avec de très beaux cheveux ondulés, un peu en bataille, et qui ont l’air très doux ; sa mâchoire et son menton comportent un joli duvet de barbe de plusieurs jours ; ses yeux, cachés derrière des lunettes carrées qui lui donnent un petit air d’intello sexy, projettent un regard parfois rêveur, toujours charmant.
Philippe est aussi un garçon qui s’habille avec goût et originalité : il porte un t-shirt noir avec la mention « Chiant, fatiguant, râleur mais génial » en lettre capitales : certes, il faut oser la touche, mais, une fois osé, l’effet est plutôt sympa. Un short clair et des baskets noires, elles aussi, complètent sa tenue. Bref, le mec est class, tout en restant simple et naturel.
La première impression en l’entendant parler est celle d’un garçon excessivement bien élevé, d’une grande gentillesse, viril mais doux, sensible, loin d’être con, et plutôt drôle. Philippe est un garçon d’humeur joyeuse, très souriant.
J’ai envie de dire à Elodie… « Tu t’appliques, ma cousine toi, le mec a l’air génial… ne fais pas ta chieuse… mets-y du tien… ne le laisse pas partir… sale l’eau des pâtes avant de mettre les pâtes à cuire, si tu lui en cuisines (je l’ai souvent vue se rendre coupable de l’impardonnable : ne pas saler l’eau des pâtes, mais saler les pâtes une fois égouttées) ». J’ai envie de lui crier tout cela pour qu’elle l’imprime, mais je choisis de lui envoyer un texto ; texto qui la fera marrer lorsque nous sommes déjà installés dans la salle.
Le film démarre et, dès les premières images, ça décoiffe grave. Le propos de départ est triste mais intriguant. Et on est vite entrainé dans le tourbillon de cette pure folie visuelle, de ce déluge de décors et de couleurs, doublée d’un incessant délire musical.
Moulin Rouge est une incroyable féerie cinématographique. Nicole Kidman, dans le rôle du « Diamant étincelant », est juste somptueuse ; quant à Ewan McGregor, assis devant sa machine à écrire, dans son petit débardeur blanc, il est juste craquant.
La bande son est un enchaînement de reprises de tubes planétaires sciemment anachroniques par rapport à l’époque où est censée se dérouler l’histoire, fin XIX ; des tubes savamment choisis pour illustrer les différents passages du scenario et souvent interprétés par les acteurs principaux.
Un film qui reprend deux tubes de Madonna dans sa bande son, moi, j’achète ; mais elle va également taper du côté d’Elton John, avec une version symphonique de la toujours incroyable « Your song » ; du côté des grand classiques avec la féérique « Complainte de la butte » chantée avec un délicieux accent anglais ; ou bien du côté de Freddy Mercury avec une vibrante version de « The show must go on ».
Oui, cette bande son est un pur bonheur. Et elle démarre avec la voix de David Bowie, avec sa déchirante « Nature boy ».

There was a boy/Il y avait un garçon
A very strange enchanted boy/Un garçon charmant très étrange
(…) And then one day/Et puis un jour
One magic day he passed my way/Un jour magique il a croisé ma route
(…) The greatest thing you'll ever learn/La plus grande chose que vous apprendrez jamais
Is just to love and be loved in return/Est juste d'aimer et d'être aimé en retour

Les tableaux s’enchaînent, sans répit ; puis, vient cette fabuleuse scène chez Satine, dans l’Eléphant-alcôve ; et là, au milieu de ce délicieux pot-pourri d’extraits d’autres immenses monuments de la chanson, la voix d’Ewan s’élève pour entonner un air et des mots qui me font vibrer :

Love lift us up where we belong/L'amour nous soulève jusque-là où nous sommes destinés
Where the eagles cry, on a mountain high/Là où les aigles pleurent, sur le haut d'une montagne

Je sais que j’ai déjà entendu ces couplets, cet air ; c’est une chanson très connue, j’essaie de me la passer et repasser dans la tête pour retrouver le souvenir qui m’échappe, en vain… mais où est-ce que j’ai déjà entendu cette chanson ? Qui la chante donc ? Aaaaah, ça m’énerve !
Les scènes se succèdent à un rythme infernal. Vient ensuite la seule chanson originale du film, celle qui finira par me toucher le plus profondément de toutes. Certes, la voix d’Ewan McGregor est une pure caresse pour les oreilles et pour l’esprit ; et l’interprétation de Nicole est également magnifique. Mais c’est le texte qui me frappe le plus intensément. Car il colle si bien à ce que je ressens…

(…) aucune montagne n'est trop haute, aucun fleuve n'est trop large
(…) Les nuages de l'orage peuvent s'amonceler, les étoiles s'entrechoquer
Je t'aimerai jusqu'à la fin des temps
(…) Quoi qu'il advienne/Je t'aimerai jusqu'à mon dernier jour

Lorsque la chanson se termine, j’ai les yeux embués de larmes ; je ressens une puissante envie de courir à la brasserie, et dire tout haut à mon Jérém ce que je ressens pour lui.
Non, ça ne peut pas se finir comme ça entre nous deux… ça ne peut pas se finir tout court, d’ailleurs… ça ne peut pas se finir chez moi, dans mon lit, blotti dans le noir, mon visage plongé dans sa chemise, dans son t-shirt, cherchant à retenir son odeur, et les souvenir de notre trop courte histoire.
Je dois me battre car, comme le dit la même chanson :

Soudain le monde semble être un endroit parfait
(…) Et tout tourne autour de toi

Le final étant annoncé depuis le départ, ça devrait éviter les larmes sur le générique de fin. Pas pour moi. Je sors bouleversé du visionnage de ce film si hors du commun, si à part, secoué par la puissance de cette histoire d’amour insensé.
Lorsque nous quittons le cinéma, il n’est que 23h15. Je suis encore tout secoué, mais j’ai juste envie de courir à la brasserie pour crier à Jérém à quel point il me manque, à quel point il est tout pour moi.
Pourtant, je me laisse entraîner à la terrasse d’un café pour prendre un verre avec Elodie et Philippe. De toute façon, je sais que je n’aurai pas le courage de le faire ; et même si je trouvais le courage, Jérém le prendrait super mal.
Pourtant, assis devant mon mojito, je ne tiens pas en place. Je suis ailleurs.
« T’as l’air tout secoué mon cousin … ».
« C’était top ce film, je ne regrette pas d’être venu… ».
Les verres s’éternisent, les deux tourtereaux sont trop occupés à filer le parfait love pour penser à la boisson.
Lorsque Elodie repart enfin avec son Phil, elle casse un de ses talons en descendant du trottoir ; il est minuit trente, Cendrillon est en retard ; mais bon, elle a l’air d’avoir trouvé son prince. Je suis vraiment heureux pour elle.
On se dit au revoir ; je leur dis que je vais rentrer aussi ; pourtant, je sais que je n’en ai pas envie tout de suite, j’ai besoin de marcher pour évacuer l’émotion que ce putain de film a provoqué en moi.
J’arrive place du Capitole, avec ses terrasses bondées ; et toujours ces couplets qui hantent mon esprit :

Love lift us up where we belong/L'amour nous soulève jusque-là où nous sommes destinés
Where the eagles cry, on a mountain high/Là où les aigles pleurent, sur le haut d'une montagne

Mais bon sang, où est-ce que j’ai déjà entendu cette chanson ? Je connais cette mélodie… je la joue sans cesse dans ma tête, à chaque fois j’ai l’impression que je vais retrouver la source, puis non, ça retombe, écran noir…
Je quitte la place de l’Hôtel de Ville et, poussé par une force irrépressible, je laisse mes jambes me porter vers la rue Gabriel Péri ; voilà la Bodega ; je ne suis pas souvent rentré dans ce pub mais je connais bien ses chiottes pour y avoir offert une pipe mémorable à mon bobrun lors du repas de fin de lycée.
Je remonte la rue jusqu’au bout, en côtoyant les terrasses grouillantes de jeunesse, de musique et de joyeux brouhaha, je continue jusqu’au canal ; et là, un putain de bogoss torse en V-torse nu court sur le trottoir le long des platanes, il fait son jogging à la fraîcheur de la nuit, son t-shirt à la main, une plastique sculptée à couper le souffle.
Je passe devant l’enseigne lumineuse du On Off, cette boîte à garçons dans laquelle mon Jérém m’a entraîné une nuit, où je l’ai vu s’éclipser avec deux mecs. Je n’ai jamais su ce qui s’était passé pendant les longues minutes où il avait disparu dans le couloir de la back room, avant qu’il ne me retrouve dehors, en train de me faire draguer par le beau Romain.
Je me demande toujours ce qui lui a pris de proposer à ce sexy Romain de se joindre à nous pour un plan cul… qu’est-ce qu’il voulait me démontrer ? Se démontrer ? Qu’il pouvait lever et baiser n’importe quel mec ? Que personne ne lui résiste ? Avait-il vraiment été jaloux de me voir coucher avec Romain ? Pourquoi m’avoir demandé de rester dormir après ? Décidemment, ce mec demeurera à tout jamais un mystère insoluble…
Une fois sur le canal, impossible de résister à la tentation de redescendre par la célèbre parallèle de Péri, la Colombette ; impossible également de ne pas ressentir une profonde nostalgie, un déchirement intérieur, un sentiment de gâchis, d’inaccompli, en passant devant la façade aux volets bleus entourés de brique toulousaine, devant cette porte bleue que j’ai franchi tant de fois le cœur battant la chamade ; et de ressentir une grande tristesse à l’idée que plus jamais je ne pénètrerai dans ce théâtre bientôt désaffecté ou il s’est joué tant de scènes importantes de ma vie.
Je descends la rue, le cœur lourd, au bord des larmes, les paroles de « Your Song » en boucle dans ma tête.

It's a little bit funny, this feeling inside/C'est assez drôle, cette sensation intérieure
I'm not one of those, who can easily hide/Je ne suis pas de ceux qui peuvent facilement la cacher
(…)
How wonderful life is while you're in the world/Comme la vie est belle quand tu es dans le monde.

Je passe devant la Ciguë, ce bar à mecs en bas de la rue de la Colombette, avec sa façade discrète et sombre.
Je traverse Carnot, je retourne vers le Capitole, je prends Alsace-Lorraine : alors que c’est une des rues les plus animées de la ville en pleine journée, à cette heure-ci, avec ses boutiques fermées, la plupart les vitrines carrément éteintes, c’est plutôt une rue fantôme.
Une force d’attraction irrépressible, une autre, ou bien la même, m’attire vers Esquirol ; en même temps qu’une autre, d’intensité égale mais contraire, m’empêche de m’y rendre par le chemin le plus court. La tête dit « tiens-toi au loin, ce n’est pas une bonne idée », alors que le cœur crie « vas-y, putain, Nico, cours, tu en meurs d’envie… ».
Mes jambes n’en font qu’à leur tête. Me voilà à Esquirol… le voilà Jérém, beau comme un dieu dans son t-shirt noir avec des inscriptions blanches, à l’aise avec son plateau comme s’il avait fait ça toute sa vie, à l’aise avec son sourire charmeur, si loin du mec froid et tourmenté qui me baise sans arriver à l’assumer… si seulement je savais ce qui se passe dans sa jolie tête, ce qu’il pense de ce qui s’est passé samedi dernier avec Thibault… est-ce qu’il y pense seulement ? Il a l’air si bien dans ses baskets que je me dis qu’il a déjà tourné la page de tout ça.
Il est beau, il est charmeur, et sa présence attire tous les regards ; et il le sait, le petit con…
Oh oui, qu’il le sait qu’il est beau comme un ptit Dieu ; pourtant, quand on le regarde, on a l'impression qu'il ne fait même pas d'effort pour en jouer : tout chez lui est juste naturellement, insupportablement sexy ; le moindre de ses gestes, regards, sourires, calculés ou non, sont comme des flèches, et on ne peut même pas lui en vouloir pour cette apparente arrogance.
C’est si dur d’être à la fois si près et si loin de lui. Je dois à tout prix trouver le courage de l’approcher, il me manque trop. Aller le voir à la brasserie, ce ne serait vraiment pas une bonne idée ; en revanche, je vais peut-être trouver le courage de le capter à la sortie du taf.
Si je me fie à son sms de samedi dernier, il doit finir aux alentours de 2 heures… encore une heure à attendre, donc ; la terrasse est encore bondée : j’ai quand même le temps d’aller faire un petit tour. L’idée de tenter de l’intercepter pendant qu’il rentre chez lui me plaît bien. Mais vais-je oser ?
Je marche en quête de courage. Je continue dans la rue des Changes, puis rue sainte Rome ; en arrivant à nouveau au Capitole, une étoile filante traverse le ciel vers St Sernin ; vite, un vœu, Nico !
Ne pas le perdre de vue à la rentrée, continuer cette histoire, lui faire un câlin, recevoir un câlin, lui offrir mon amour, lui donner envie d’accepter mon amour… ça fait beaucoup de vœux, je sais…
Je reviens vers le quartier de la Daurade, ce quartier que je connais si bien pour l’avoir fréquenté tous les jours pendant trois ans ; petit frisson déjà nostalgique en repensant à cette vieille et magnifique bâtisse, à ce lieu qui a vu ma vie d’adulte commencer sur les ailes d’un amour dévorant, ce site qu’il faudra m’habituer à appeler « mon ancien lycée ».
Me voilà à nouveau place St Pierre, en face du pont. Je suis fatigué et assoiffé. Je m’assois à une table de café, seul, à côté d’une autre bande de potes, pour mes sentir comme au milieu d’eux, pour sentir le frisson de cette camaraderie, pour écouter leurs blagues, pour observer leur façon de faire les beaux pour plaire aux filles.
Mon attention est de suite aimantée par un petit mec avec sa chemisette à carreaux bleus et blancs, avec deux boutons ouverts laissant dépasser quelques poils délicats ; il est vraiment très charmant et son sourire un peu enfantin le rend craquant.
Se sentir seul dans la ville même entouré de tout ce monde, de ce joyeux brouhaha des jeunes qui font la fête dans la douceur de la nuit toulousaine, de mecs pour qui la vie semble si facile, si heureuse. Je tends l’oreille pour capter leurs conversations, des bribes de leur vie, de leur existence rêvée. Ils semblent tous si détendus, si insouciants, personne d’entre eux semble angoissé comme je le suis par une histoire compliquée, comme que celle que je vis avec mon Jérém.
Un autre beau serveur avec un autre t-shirt noir bien coupé vient prendre ma commande.
« Un panaché pêche » je lui annonce.
Il a l’air surpris.
Ma commande arrive rapidement, j’avale rapidement ma boisson. J’hésite à en commander une autre, mais il est déjà presque deux heures… il est désormais temps de me lever pour…
Pour…
Pour…
Pour…
Pour…
Pour…
Pour rentrer chez moi.
Oui, chez moi.
Je n’aurai pas le courage d’aller à la rencontre de Jérém. Ni cette nuit, ni aucune autre. Il faut que je me fasse à l’idée que c’est fini. Toute rencontre que je pourrais provoquer, ce serait une énième rencontre de trop. Il faut savoir arrêter les dégâts à un moment.
Et tant pis si ça se finit ainsi, dans mon lit, blotti dans le noir, mon visage plongé dans sa chemise, dans son t-shirt, cherchant à retenir son odeur, et les souvenirs de notre trop courte histoire. Tant pis si pour moi les montagnes sont trop hautes, les fleuves trop larges, et l’amour ne me soulève pas jusque-là où je suis destiné. Peut-être tout simplement que je n’y suis pas destiné.
Tant pis. Les films, les chansons, c’est une chose. La vie, ça en est toute autre.
Je me lève, je traverse le pont St Pierre, direction la maison.
Place St Cyprien, j’assiste à une scène inattendue.
Deux p’tits mecs, 20 maxi, sont assis dans un abribus. Ce ne sont pas les plus canons que j'ai vus ce soir, mais ils sont loin d'être moches : deux mecs normaux, un brun, l’autre châtain, normalement attirants.
Tous les deux font très mecs et a priori hétéros ; pourtant, il y a un je-ne-sais-quoi dans leur attitude, un truc que je perçois quasi instantanément, et qui me fait dire que ces deux-là pourraient bien être du bon côté de la Force.
Intrigué, je m’arrête à une certaine distance, je dégaine mon portable et je fais semblant de textoter, tout en les matant discrètement.
Mon impression semble se confirmer, car la façon que le brun a de regarder l'autre, ainsi que le sourire de ce dernier, semblent en dire long dans ce sens.
Vient alors le premier geste qui en dit encore plus long. Le brun pose son front sur l'épaule de l'autre. Premier frisson.
Mais bon, je me dis que je me fais des films, que j’ai trop d’imagination. Peut-être qu’ils sont juste potes et que l’un, fatigué, cherche à se reposer sur l’épaule de l’autre.
Pourtant, j'ai plutôt furieusement envie de croire à une autre hypothèse, bien plus mignonne. Car il y a ces regards entre eux, des regards qui ne trompent pas ; et les leurs, ressemblent à s’y méprendre à des regards d'amoureux.
Et puis, quelques instants plus tard, enfin, la confirmation définitive, le frisson ultime de découvrir d’avoir eu raison depuis le début.
Le brun fait un bisou très tendre dans le cou de l'autre, ce dernier sourit et penche la tête d'un air vraiment amoureux… il a ce regard rempli de ce bonheur intense, ce bonheur qu’on ressent et qu’on dégage lorsqu’on contemple la personne qui est tout à nos yeux ; il a l’air submergé par la grisante impression qu'il n'existe rien d’autre autour de lui, qu’ils sont seuls au monde, avec la certitude, ou du moins l’envie de le croire, que ce sera ainsi à tout jamais.
Je ne peux être qu’heureux pour eux, et jaloux de leur jeune passion, de cet amour naissant.
Je me dis que l’amour entre ces deux garçons, intense, palpable, réciproque, est la preuve qu'il y a un sens dans ce monde parfois si incompréhensible. Je me dis que c’est possible, donc, même en étant de ce côté de la Force, de vivre la plus grande chose qui existe dans ce monde… aimer et être aimé en retour…
Je pense qu'ils ont capté que je les ai vus ; je redouble de discrétion, je ne veux pas leur donner l'impression que je les juge, que j'ai été choque, et encore moins que je suis un voyeur, que je veux les draguer.
Je voudrais trouver la façon de les regarder pour leur faire comprendre que je suis "de leur côté", que je les trouve mignons et touchants. J’ai juste envie de leur dire, de leur crier de profiter de cet instant, de cet amour si beau.
Un simple sourire aurait peut-être fait l'affaire, mais je n’ai pas trouvé sur le moment, trop touché, trop ému.
C’est beau à en pleurer… ils ont l’air tellement « ensemble », tellement « ailleurs »… c’est donc bien cela…

Love lifts us up where we belong/ L'amour nous soulève jusque-là où nous sommes destinés
Where the eagles cry, on a mountain high/Là où les aigles pleurent, sur le haut d'une montagne


Jérém

Ça n’a plus d’importance de savoir où est-ce que j’ai déjà entendu cette chanson.
Ce qui est important à mes yeux, désormais, c’est de foncer. Courage Nico. Tu dois aller le voir. Tu dois le prendre entre quatre yeux et lui parler, lui dire tout ce que tu ressens, lui ouvrir ton cœur.
S’il y a un minimum de sensibilité derrière sa plastique de fou et sa jolie petite gueule, il ne pourra pas te jeter.
Et si toutefois il devait rester insensible face à tes mots, à tes sentiments, tu les lui auras au moins exprimés clairement, il les aura au moins entendus. Tu dois lui dire, il doit savoir, à quel point il compte pour toi.
Je l’aime trop, et aucune montagne n'est trop haute, aucun fleuve n'est trop large pour m’empêcher de le lui dire.
Je dois à tout prix l’intercepter à la sortie de son taf… il faut absolument que je le vois une dernière fois avant qu’il ne quitte l’appart de la rue de la Colombette. Après, ce sera bien plus difficile de se retrouver seuls.
Je marche au pas de course, j’ai l’impression de léviter au-dessus du pont Neuf.
Mais lorsque j’arrive à Esquirol, la brasserie est déjà fermée.
Un sentiment de désespoir m’envahit. Ça ne peut pas se terminer comme ça. Il faut que je le rattrape. Il est 2h30, je suis plutôt fatigué, mais je trouve la force de traverser une bonne partie de la ville pour aller retrouver mon bobrun.
Rue de la Colombette, je sonne à son interphone. Je suis fou, il est presque trois heures. Mais Thibault l’a bien fait une semaine plus tôt, alors, pourquoi pas moi. J’ai le cœur qui tape à tout rompre.
J’attends pendant de longues interminables secondes, mais aucune réponse ne vient. Je sonne une nouvelle fois. Rien non plus.
Je suis très déçu de moi : j’aurais dû pister la fin de son service, avoir plus de volonté, l’avoir dès le départ ; j’aurais dû oser ; je l’ai laissé filer entre les doigts, j’ai laissé filer la dernière occasion pour rentrer dans cet appartement à jamais perdu, j’ai gâché la dernière occasion pour en retrouver les couleurs, les senteurs, les émotions.
Qui sait où est maintenant mon bobrun. Il est peut-être en train de boire un verre avec Thibault quelque part dans la ville encore éveillée… ou entre les cuisses d’une nana, d’une cliente de la brasserie, il y en a tant qui le dévorent des yeux…
Va le dénicher maintenant…
Je remonte vers le canal. J’ai envie de chialer. Pourtant, au moment de tourner à gauche direction la maison, une idée s’illumine à jour dans ma tête. Je sais peut-être où le trouver.
Je reviens vers Jean Jaurès. L’enseigne lumineuse du On Off me fait de l’œil, je l’ignore et je m’engage dans la rue Gabriel Péri, je la descends jusqu’à Carnot. Les terrasses de certains bistrots commencent à se faire clairsemées mais la Bodega n’est pas prête de fermer ses portes.
Je rentre dans cette jolie bâtisse bien connue pour son ambiance festive. Et bingo, en plein dans le mille.
Le voilà mon bobrun, assis autour d’une table avec ses potes ; je reconnais Thierry, ainsi que quelques-uns de ses co-équipiers de rugby. Un grand absent, apparemment : j’ai beau chercher, je ne trouve pas Thibault. Le bomécano doit dormir à l’heure qu’il est, je sais qu’il travaille le samedi.
Je regarde mon bobrun en train de picoler, de fumer, de discuter, de rigoler avec ses potes.
C'est toujours un spectacle plein de sensations que de regarder un beau mec partager une bière avec ses potes, tout absorbé dans une discussion qui a l’air plutôt animée, plaisante et drôle, une discussion qui, même sans la bande son, sent la complicité, la camaraderie, le bonheur d’être entre potes.
Et qu’est-ce qu’il est beau, mon Jérém, dans son t-shirt noir, le même qu’il portait pendant le service à la brasserie : le bord de la manchette gauche nonchalamment retroussé, dégageant son tatouage sexy, moulant son biceps puissant qui gonfle sous le simple effet des mouvements de son bras.
Entre deux rigolades, le bobrun porte la bouteille de bière à ses lèvres pour en avaler une bonne rasade. C’est beau et viril un beau mec qui penche sa tête en arrière pour boire sa bière a la bouteille, avec la pomme d’Adam agitée par la déglutition.
Je prends une boisson, et je me planque dans un coin de l’autre côté de l’îlot du comptoir, à un endroit qui me permet d’observer discrètement mon bobrun, bien décidé à attendre qu’il quitte les lieux, bien décidé à le rattraper lorsqu’il rentrera chez lui.
J’espère juste qu’il ne va pas avoir la mauvaise idée de continuer la soirée au KL. Ce qui me rassure, c’est qu’il est déjà 3h30. Ils n’ont pas l’air d’être pressés de partir, ce qui me fait imaginer que je suis tout juste à une ou deux bières près de le voir prendre la direction de son appart.
Cette nuit, mon flair semble dans une bonne conjoncture : je n’ai à attendre qu’une petite demi-heure pour voir la bande de potes se lever et prendre la direction de la sortie. J’attends quelques secondes et je sors moi aussi, en mode discret, profitant de la présence de nombreuses personnes en terrasse pour passer incognito.
Je les regarde se claquer la bise, se bousculer en rigolant, se séparer ; la plupart des mecs prennent la direction des allées Jean Jaurès ; Jérém et un autre mec remontent la rue Gabriel Péri.
Ah, non, pas ça… ils ne vont pas aller à l’appart pour une dernière bière entre mecs…
Je les suis à une distance de prudence… je les regarde se passer l’un l’autre un petit bout fumant qui laisse cette odeur si typique sur son passage.
Nous arrivons au canal… les deux potes tournent à droite… putain, ils ne vont pas se lâcher…
Mais, au lieu de continuer vers la rue de la Colombette, ils traversent la route, s’approchent d’une voiture garée côté platanes. Ah, non… ils ne vont pas partir en boîte !
Et là, les deux potes ses serrent la main, se claquent la bise. Le mec disparaît dans sa voiture et mon bobrun continue direction l’appart. J’aime mieux ça… Enfin seul. Je vais pouvoir passer à l’attaque.
A l’attaque, Nico ! Non, aucune montagne n'est trop haute, aucun fleuve n'est trop large…
Je m’attends à que Jérém traverse la route pour revenir vers la Colombette ; mais le bobrun continue de longer le canal sur quelques mètres et se faufile dans un passage entre deux bouts de haie ; il avance dans la pénombre, il écarte un peu les jambes, le bassin bien vers l’avant ; même si je suis assez loin et si je ne le vois que de derrière, il n’y a pas de doute, il est en train de défaire sa braguette.
Je le regarde planté là, en train de se soulager la vessie : ça devait être une envie vraiment pressante s’il n’a pas pu attendre cinq minutes d’être chez lui. Certes, la caresse du vent d’Autan, plus fraîche à cette heure tardive, stimule l’envie de pisser ; je comprends aussi que se soulager dans la « nature » est chose plutôt agréable.
En regardant ses coudes légèrement pliés, j’imagine ses mains tenant l’une l’élastique du boxer, l’autre sa queue ; je le vois porter le cou en arrière, lever le visage vers le ciel ; image qui m’en rappelle une autre, une de ses attitudes pendant qu’il prend son pied ; rien d’étonnant à cela, force est d’admettre que le fait de se soulager la vessie lorsque déjà les yeux commencent à virer au jaune, est en effet comparable à une petite jouissance…
Quoi qu’il en soit, regarder un mec en train de pisser, et notamment CE mec, les jambes bien écartées, voir ses coudes s’agiter pour produire le mouvement typique permettant de se délester de la dernière goutte, c’est un spectacle plutôt sympathique.
Et la façon si naturelle avec laquelle mon bobrun exécute tout ça, ça rend la scène furieusement excitante. Jérém qui pisse sur le canal, plus « mec », on meurt.
Je le regarde toujours de dos, je devine ses mouvements pour ranger le matos, refermer le pantalon.
Il traverse enfin la route et il s’engage dans la rue de la Colombette. Je le regarde avancer, et sa démarche me confirme une impression que j’avais eue dès sa sortie de la Bodega : je crois que mon bobrun est bien torché ; je ne l’ai vu boire que des bières, mais ce ne sont peut-être pas les premières de la soirée ; si on ajoute le tarpé et la fatigue ; on va dire que mon bobrun n’a pas vraiment l’air très frais…
Mais aucune montagne n'est trop haute, aucun fleuve n'est trop large… alors je vais le choper quand même…
« Jérém ! » je l’interpelle.
Il s’arrête, il se retourne, il me regarde, sans un mot, sans expression. J’ai l’impression qu’il regarde un inconnu.
C’est la première fois que je vois Jérém de près après cette nuit avec Thibault ; et ça me fait bizarre, son regard, son attitude semblent annoncer d’entrée comme si quelque chose avait changé entre nous, comme si une nouvelle distance s’était installée.
« Tu fais quoi là ? » il finit par lâcher.
« Moi aussi je suis content de te revoir… » je tente de rigoler.
« Tu arrives d’où ? ».
« J’étais en ville avec ma cousine et je t’ai vu sortir de la Bodega… ».
Il reprend à marcher vers l’appart, sans un mot de plus.
« Tu vas bien ? » je tente de le questionner.
« Qu’est-ce que ça peut te faire ? Qu’est-ce que tu veux ? ».
Sa froideur me fait mal, mais je tente de ne pas le montrer.
« J’avais envie de te dire bonjour… ».
Je ne peux pas me contenter de ça, je dois lui dire qu’il m’a manqué, alors je continue :
« Et j’avais envie de te revoir aussi… ».
Nous arrivons devant son immeuble. Il ouvre la porte et il s’arrête sur le seuil, me barrant le passage, et il me balance :
« Si tu rentres, c’est pour me sucer et tu te tires après… mais si tu es venu pour me prendre la tête, tu peux partir tout de suite… ».
Ses mots sont violents, le ton de sa voix est dur. Je le regarde en silence, désemparé. Quoi rétorquer à de telles conditions ? C’est non négociable, à prendre ou à laisser.
Il est juste indiciblement beau, c’est à pleurer, sa beauté transperce les rétines, elle s'insinue dans les entrailles pour les perforer, c'est comme sentir glisser sur la peau le fil tranchant d'un rasoir, la lame acérée d'une épée, une brûlure comme la morsure d'un soleil d'été, comme la piqûre d'un acide, insoutenable, insupportable ; pourtant, je ne peux m’en détacher, je ne peux y échapper.
Rencontrer son regard, sentir son regard, entendre sa voix, ça me secoue de fond en comble… ce mec a un pouvoir sur moi qu’aucun autre mec ne possède…
Dès que je suis en sa présence je ressens un emballement incontrôlable de mon rythme cardiaque, comme un compteur Geiger qui s'affole en présence de trop de radioactivité.
L’idée de goûter à sa queue et à son jus me rend dingue ; je crève d’envie de le voir jouir, de voir sa jolie petite gueule au moment de son puissant orgasme, terrassé par son violent plaisir, sentir son corps se crisper, voir ses yeux se fermer sous l'intensité de sa jouissance, entendre ses soupirs, ses gémissements, son râle sauvage au moment où il lâchera les jets de jus de mec ardent comme de la lave en fusion.
« Laisse-moi rentrer » je finis par lui lâcher, en posant une main sur un de ses pecs durs comme du béton, pour l’inviter à reculer et à me laisser franchir la porte.
Le bogoss me toise, oppose une résistance à mon mouvement.
« S’il te plaît… » j’insiste, tout autant avec les mots qu’avec l’intensité croissante de mon geste sur son pecs. Le bogoss recule enfin, et je rentre dans la petite entrée de l’immeuble.
Jérém n’a pas allumé la lumière. Le petit espace est faiblement illuminé par la réverbération de l’éclairage public filtrant à travers les vitres opaques d’une petite lucarne au-dessus de la porte d’entrée.
Jérém s’est arrêté en bas de l’escalier, le dos appuyé contre le mur. Il me regarde fixement. SA respiration est rapide, le mec a vraiment l’air fatigué. Je sens les relents de son haleine chargée d’alcool.
Le silence s’étire pendant de longues secondes. Jusqu’à ce que le bogoss ne se charge d’annoncer clairement la couleur.
« Suce-moi ! » fait-il en dégrafant la ceinture et en ouvrant sa braguette, laissant apparaître son boxer blanc moulant le relief de sa queue, insoutenable invitation au plaisir.
« Ici ? » je m’étonne.
« T’es venu pour ça, non ? Ici ou ailleurs, une pipe c’est une pipe ».
« T’es sûr de ton coup… ? »
« Ecoutes, soit tu me suces là et maintenant, soit tu te casses… ».
Envie furieuse d'être à ses pieds, à ses genoux, d'avaler sa virilité conquérante, jusqu'à la garde, jusqu'à m'en étouffer, de le laisser me dominer avec ses coups de reins puissants et sauvages, le laisser se défouler sans limite et sans retenue, jusqu’à avaler son jus brûlant. Envie de lui comme c’est pas possible.
   

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Y
 <br /> Pour se convaincre lui-même et son pote Thibault, Jerem  feint  d'admettre son attirance pour Nico. Son argument, qu'il couche avec  Nico par charité mais que personnellement il n'en  a rien à foutre, tient de moins en moins d'où son malaise grandissant qui pourrait le pousser bêtement à tout gâcher de cette relation. Se découvrir homo est un traumatisme que Jerem n'arrive pas à  surmonter. La nature ne lui laisse pas le choix de ses envies. C'est probablement la raison qui fait qu'entre Jerem et Nico il n'y a jamais eu de vraie communication comme entre Thibault et Nico : juste la baise ce qui rend si triste Nico.<br />  Yann
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