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Jérém&Nico et d'autres histoires

55.3 La dernière fois que Jérém est venu chez moi.

 Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue sur le site Jérém&Nico   55.2 Des grains de sable et des pas de crabe.


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55.3 La dernière fois que Jérém est venu chez moi.


Vendredi 10 août 2001

Le vendredi matin de cette triste semaine sans Jérém, je me réveille avec le moral dans les chaussettes, sous les semelles même. Je n’ai pas bien dormi, je suis claqué.
Le beau temps persistant, ce soleil qui semble vouloir défoncer les volets pour annoncer une autre belle journée d’été, ne fait qu’alimenter ma tristesse.
Oui, je n’ai pas du tout envie de me lever ce matin. Je ne me sens pas capable d’affronter une nouvelle, interminable attente de la venue de la seule personne qui pourrait me rendre heureux, qui m’a si intensément rendu heureux pendant une semaine merveilleuse, mais qui ne semble plus du tout motivé à le faire.
Mais en même temps, je me sens tellement mal dans ma peau, dans mes draps, que je ne tiens pas en place ; j’ai envie de sortir, partir loin de cette chambre où tout me rappelle la présence du Grand Absent ; j’ai envie de prendre l’air, même si je sais d’avance que tout ce que j’entreprendrai me sera insupportable.
Il n’est que 6h45 mais il fait déjà chaud dans ma chambre. J’étouffe, j’ai besoin d’air.
J’ouvre les volets, je laisse rentrer le soleil matinal. Je respire profondément, je remplis mes poumons, comme si l’air frais du matin pouvait me nettoyer de l’intérieur, chasser cette fatigue, ce mal-être, cette tristesse qui m’assomment.
Hélas, ce n’est pas du tout le cas. Car, en plus de ce soleil qui parle de vacances, de cette insouciance et de ce bonheur qui me sont interdits, le vent d’Autan vient mettre son grain de sel dans l’épais faisceau de mes inquiétudes, sur la brûlante blessure de mon chagrin.
Le vent s’emmêle dans mes cheveux, joue avec les poils fins de mes bras, me donne des frissons ; il fait couler mes yeux, qui n’ont pas vraiment besoin de cela pour être humides.
Le vent d’Autan, cet élément puissant, omniprésent, indissociable des façades en briques de la Ville Rose, ce vent qui balaie tout sur son passage ; sa caresse incessante, comme une métaphore du temps qui passe et qui, lui aussi, balaie tout sur son passage : les jours heureux, les espoirs, le bonheur ; le temps qui file entre mes doigts : les heures, les jours avant que Jérém ne quitte Toulouse pour l’aventure du rugby pro, à Paris.
Je pense que Jérém va venir aujourd’hui : ça devrait me rendre heureux. En réalité, je redoute sa venue. J’ai peur du Jérém que je vais retrouver ; j’ai peur de ne pas savoir trouver les bons mots, peur de ne pas arriver à toucher son cœur, peur que ce ne soit des retrouvailles d’adieu ; peur que ça se finisse mal entre nous. Peur d’avoir mal, très mal.
« Ecoute-moi bien… si je viens, ce sera juste pour récupérer ma chaînette, et je me casse ! ». Ses mots de la veille résonnent douloureusement dans ma tête, elles s’enfoncent comme des lames dans mon cœur, elles me donnent envie de pleurer.
Mais pourquoi est-il autant en pétard avec moi ? Oui, il y a eu cette pipe ratée ; oui, j’ai été un peu collant ; oui, il y a cette nouveauté du départ imminent pour Paris qui chamboule toute sa vie ; oui, il y a eu cette conversation avec Thibault qui, pourtant nécessaire, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu : mais est-ce que je mérite cet éloignement soudain, cette froideur, ce mépris ?
J’ai à la fois terriblement envie qu’il vienne et j’appréhende son attitude, notre conversation, ses mots qui peuvent être blessants comme des coups de canif ; j’ai la trouille à l’idée de découvrir ses intentions, de me retrouver face à ses décisions, à son indifférence, à sa distance.
La matinée commence dans une morosité déprimante. Je décide d’aller courir sur le canal : j’ai besoin de prendre l’air, de changer de décor, j’ai besoin de m’épuiser jusqu’à ce que la douleur physique soit si intense qu’elle me fasse oublier mon angoisse.
Lorsque je rentre à midi, je suis défait, en nage, un zombie qui ne sens même plus ses jambes : je prends une douche et je déjeune avec maman.
« Ça va, Nico ? Tu as l’air fatigué aujourd’hui… ».
« Ca va, maman, j’ai eu chaud cette nuit, j’ai mal dormi à cause de ça… ».
« Tu vas pouvoir faire la sieste tout à l’heure… ».
Maman, si tu savais à quel point ça me touche que tu t’inquiètes pour moi ; si tu savais à quel point, à un moment, pendant ce déjeuner, j’ai failli fondre en larmes et te dire ce qui me fait si mal au point de m’empêcher de dormir. Oui, maman, j’ai horriblement envie de pleurer dans tes bras !
Si je ne le fais pas, c’est parce que je ne veux pas que tu t’inquiètes pour moi. Je sais qu’un jour tu sauras qui je suis vraiment ; et si je sais même que tu dois déjà un peu t’en douter. Mais avant de te parler, maman, j’ai besoin de pouvoir m’appuyer sur un bonheur stable, un amour en CDI, et non pas en Intérim : chose que, je pense, ce ne sera pas pour tout de suite.
Alors, maman, avant de laisser couler les larmes qui se pressent à mes yeux depuis ce matin, j’attendrai que tu sois partie, j’attendrai de me retrouver seul dans cette maison vide, entre ces quatre murs où, à un moment, j’ai vraiment commencé à croire que le bonheur avec mon Jérém était à portée de main.
Maman vient tout juste de partir, et je fonds en larmes sur le canapé du séjour ; je me laisse aller, je relâche la tension ; très vite, l’épuisement moral s’ajoute à l’épuisement physique : je me sens vidé de toute énergie. Je m’allonge sur le canapé, j’écoute ma respiration se mélanger au bruit de fond de la ville qui grouille derrière la porte d’entrée ; et je me laisse gagner par le sommeil qui m’envahit.
Petit intense bonheur que la sieste, pont merveilleux au-dessus des heures et de la souffrance, raccourci indolore vers le milieu de l’après-midi.
Lorsque j’émerge, il est 15h10. Je me réveille en sursaut, plombé par l’insistante angoisse d’avoir raté la venue de Jérém. Il me faut un petit instant pour me dire que ce n’est pas possible ; que s’il était venu, j’aurais bien entendu cette sonnette particulièrement retentissante !
Je regarde le portable : aucun message. L’attente recommence, insupportable parce qu’indéfinie.
Heureusement, aujourd’hui encore, j’ai un bon allié pour essayer de tromper le temps, un bouquin vraiment captivant capable de me distraire de mon immense angoisse.
« Tribunal d’honneur », le livre de Dominique Fernandez sur la vie de Tchaïkovski, est le compagnon qu’il me faut pour laisser avancer l’après-midi sans accrocher mon désespoir à chaque minute.
Page après page, on suit le grand musicien dans cette partie de sa vie qui se déroule dans l’ombre, à l’abri des regards d’une société rigide et répressive qu’est l’époque tzariste du 19ème siècle. En se basant sur des « bruits de l’Histoire », l’auteur nous fait découvrir le penchant du grand musicien pour les garçons, penchant qui l’aurait porté à sa perte.
La ville de Saint-Pétersbourg sert de décor à cette histoire qui ressemble à un polar historique ; ses monuments, ses perspectives, ses ponts, ses canaux jouent un rôle de premier plan dans cette atmosphère pesante qui donne de la puissance à l’intrigue. Sa présence est tellement forte que, page après page, elle devient presque un personnage à part entière.
Oui, ce bouquin est un très bon allié pour tromper l’attente ; d’autant plus que, depuis les toutes premières pages, le récit m’a donné envie d’accompagner la lecture par l’écoute de la musique du Grand Maestro.
Je monte dans ma chambre et j’attrape un cd que j’avais acheté à mes 12 ans, pendant ma période « Musique classique » : c’était une période où, au gré de sorties chez le marchand de journaux, j’ai découvert bon nombre des grands classiques.
La rencontre entre une lecture captivante et la perfection mélodique des compositions du Maestro russe m’amène loin, si loin de cette maison, de cet après-midi, de cette attente insupportable ; je me laisse porter par l’intense émotion esthétique, par les sensations suggérées par ces notes à la fois tristes et douces, un pur bonheur pour les oreilles, une délicieuse caresse pour l’esprit.
15h22. La Valse du Lac des Cygnes s’envole des enceintes et remplit le séjour de sa grâce, tel un oiseau qui déploie des ailes et qui dessine des vagues dans l’air.
L’envolée de violons dans le grand final provoque en moi une émotion, un plaisir esthétique suprême ; et lorsque la dernière note retentit, un seul mot s’affiche dans ma tête : « ENCORE ! ». Magie du CD, grâce à laquelle, en appuyant sur une simple touche, il est permis d’assouvir cette soif de beauté jamais étanchée.
15h29. La mélancolie de certains passages du « Pas de deux » ravive ma tristesse et mon angoisse. Et si Jérém ne venait pas ? Si vraiment il avait tout simplement décidé qu’il n’a plus rien à faire avec moi, que c’est mieux ainsi, s’il avait tout simplement pris les devants sur sa nouvelle vie qui se profile ? J’ai le cœur lourd, ses battements assourdissants secouent mon corps tout entier, m’épuisent. Si seulement c’était aussi facile de faire revenir le garçon aimé que de réécouter un bon morceau de musique.
15h43. Non, ce n’est pas possible : ça ne peut pas se finir de cette façon entre nous. Et même si, par suprême malheur ça devait se finir – idée dont la simple évocation me plonge dans un désespoir total, me fait mourir de l’intérieur – je crois avoir droit à un épisode final, un épisode où je pourrai poser toutes les questions, avoir toutes les réponses.
16h04. Les trois « Danses », pêchues et entraînantes, me redonnent espoir.
Mais putain ! Il DOIT venir, au moins une dernière fois ! Il va quand-même venir récupérer sa chaînette… il semble quand-même y tenir, merde ! Au fait, je ne me suis jamais posé la question : qu’est-ce que représente cette chaînette pour lui ? Depuis quand il la porte ? Je l’ai toujours connu avec, dès ses 15 ans, du premier jour du lycée. Mais comment est-elle arrivée autour de son cou ? Quelqu’un lui a offerte ? Ça m’étonnerait que ce soit un cadeau de l’une des nanas avec qui il a couché : je pense qu’il ne l’aurait pas gardée. J’aimerais tant savoir.
16h16. Le Casse-Noisette enjambe le pas au Lac des Cygnes : la « Danse de la Fée Dragée » arrive et, avec elle, le souvenir du jour déjà lointain où j’ai découvert ce chef d’œuvre qu’est « Fantasia ».
Il va venir, c’est sûr… mais comment je vais m’y prendre pour le faire rentrer et, surtout, pour qu’il m’écoute ? Et encore, lui dire quoi ? Si je commence à le saouler dès son arrivée, il va se tirer, c’est sûr.
Avec quelle tenue, avec quelle imprévisible nuance de sexytude va-t-il m’assommer aujourd’hui ?
16h27. Après la « Danse Arabe » qui plombe à nouveau le moral, la « Danse Chinoise » et la « Danse des Mirlitons » me remettent de bonne humeur.
Le roman s’attarde sur la description du très beau Vladimir, garçon charmeur et effronté dont la jeune virilité provoque l’émoi chez certains esprits sensibles de son régiment.
De tout temps, la beauté et l’effronterie d’un jeune mâle ont attisé le désir.
Je sais que lorsque Jérém sera là, devant moi, sexy au possible, je serai immédiatement assailli par l’envie déchirante de me laisser déborder par sa puissance sexuelle. Ce garçon est ma drogue, son nectar de petit mec, mon énergie.
Quatre jours que je n’ai pas goûté au contact avec son corps : je suis en manque. Qu’est-ce que ça me manque de l’avoir avec moi, sur moi, en moi ; de le voir, de le sentir prendre son pied ; de le voir jouir ; notre complicité, me manque ; sa présence me manque, à m’en déchirer les tripes elle me manque.
16h41. Les premières mesures de la « Valse des Fleurs » jaillissent des enceintes et retentissent dans le séjour.

Écouter La Valse des fleurs en cliquant ICI

Après une longue introduction, le thème principal démarre : note après note, cercle après cercle, envolée après envolée, la « Valse » dévoile petit à petit sa beauté magique, dans un crescendo détonnant ; plus le mouvement avance, plus je ressens la sensation d’un soudain apaisement, d’un profond bien être se diffuser en moi ; magie de la musique, de la beauté, elle me transporte à un endroit hors du temps et de l’espace où, soudainement, tout me paraît simple, possible, à ma portée.
Je vais parler à Jérém, je vais lui dire à quel point je l’aime : il ne pourra pas être insensible à l’amour que je lui porte.
Mais quand lui parler ?
C’est simple : je vais lui parler après l’amour, en surfant sur les bonnes dispositions qu’apporte le plaisir.
Mais est-ce qu’il aura envie de coucher avec moi ?
Bien sûr qu’il en aura envie : il aime trop ça.
Mais s’il est toujours aussi en pétard qu’il l’était hier, rien n’est moins sûr…
Mais il ne le sera pas : et même s’il l’est, je vais l’accueillir avec le sourire, je vais détendre l’ambiance, je vais faire en sorte qu’il se sente à l’aise. Je vais le faire jouir comme jamais, le faire jouir à le rendre dingue…
Oui, lui parler après l’amour… mais attaquer par quoi ?
C’est évident : par son départ à Paris. Je vais profiter de l’occasion pour lui dire à quel point je suis heureux pour lui, fier de lui, mais en même temps à quel point cela m’affecte, à quel point je tiens à lui…
Problème : cela serait une super accroche, sauf que j’ai promis à Thibaut d’attendre que ce soit lui-même à m’en parler…
Mais il va m’en parler, c’est sûr : il va venir pour sa chaînette, mais il va venir pour ça aussi ; et peut-être même que son attitude va parler pour lui, qu’elle va me montrer à quel point ça le touche de partir loin de… nous…
Il va juste me falloir la jouer avec du tact : lui faire comprendre qu’il m’a manqué, tout en évitant de me montrer trop affecté par cette semaine sans lui ; et, en ce qui est de l’avenir, je dois essayer de lui faire comprendre que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’on puisse continuer à se voir, avec toute la discrétion que son nouveau statut va certainement lui demander.
La Valse s’envole de plus en plus haut, et mon cœur avec.
Dans le passage que je suis en train de lire, le Général Apraxine s’ouvre au protagoniste du fait d’avoir sur les bras une affaire de mœurs qui le met dans le plus grand embarras.
« Le chef d’accusation est donc si grave ? » s’étonne son interlocuteur.
La Valse s’élève, virevolte, s’emballe.
« Oui et non » admet le Général « s’il s’agissait d’un homicide, ou si la sécurité de l’Etat se retrouvait en jeu, ma religion serait faite. Mais ce genre d’affaire ? Menace-t-elle l’ordre établi ? Certaines civilisations anciennes n’avaient rien à redire, là où nous rebiffons avec un sentiment d’horreur… ».
Quand j’y pense, le parallèle est saisissant.
Certes, je ne vis pas dans la ville de Saint Pétersbourg des Tzars, au 19ème siècle : je vis à Toulouse, dans une démocratie accomplie, 120 ans plus tard ; je vis en France, ce pays où, depuis 20 ans – que 20 ans, mon Dieu, que 20 ans ! – être pd n’est plus un délit aux yeux de la loi.
Je vis dans un pays où l’on a déjà entendu à la radio que : « La différence, quand on y pense, mais quelle différence… » ; ou encore que : « Adam et Yves, ce sont des choses qui arrivent » : hélas, ce n’est pas pour autant que les regards portés sur deux garçons qui s’aiment sont toujours bienveillants.
Les dernières envolées de la Valse des Fleurs brillent de mille feux.
Bien sûr, ça me fait chier que Jérém n’assume pas le fait d’aimer être avec moi ; mais, quelque part, je le comprends : oui, je comprends que le risque de troquer l’admiration dont il est entouré, par le mépris qui l’attend en s’assumant, ça puisse le faire réfléchir ; d’autant plus maintenant, alors qu’il s’apprête à devenir un personnage public.
Hélas, en 2001 encore, être gay rime encore trop souvent avec le bon vieux dicton : « vivons heureux, vivons cachés » ; en 2001 encore, être gay et aimer au grand jour, ce n’est ni simple, ni courant.
16h46. Je ne saurai dire par quel obscur raccourci le bonheur suprême d’écouter la musique de Tchaïkovski me renvoie soudainement au bonheur de contempler la plastique de mon bobrun.
Une magnifique mélodie, un corps parfait ; l’une et l’autre percutant mon cœur, mon esprit, le cueillant par enchantement à chaque rencontre : le temps d’un enchaînement de notes pour l’une, le temps d’un regard, d’un âge de jeunesse pour l’autre ; l’un et l’autre bouleversants et fugaces, l’un et l’autre nous mettant face à la frustrante impuissance à capturer l’essence ultime de leur profonde beauté. La beauté ne se capture pas : elle s’apprécie.
Le grand final approche, la musique fait des boucles de plus en plus grandes, de plus en plus hautes ; elle part loin, revient, insiste, persiste, comme mon regard, comme mon désir sur l’anatomie d’un bogoss. Sensualité de la musique et sensualité d’un corps ; les notes s’envolent, le va-et-vient de la musique me renvoient à d’autres va-et-vient, pendant l’amour.
La musique est en boucle dans ma tête, dans mon esprit ; mon désir pour Jérém l’est aussi.
C’est sur les toutes dernières échappées des cordes de la « Valse des Fleurs », qu’un nouvel instrument, jouant une seule et unique note dissonante, s’invite dans l’orchestre.
La sonnerie de la porte d’entrée vient de retentir dans la maison.
Je me fige, j’arrête même de respirer pour être sûr que je n’ai pas rêvé. Mon cœur ne délivre plus de simples battements, il envoie carrément des coups de massue contre ma cage thoracique ; j’ai l’impression que mon cœur va exploser, ou cesser de battre, que ma poitrine va s’ouvrir en deux.
À cet instant précis, les cordes déchainées de la « Valse » glissent sur moi comme l’eau bénéfique d’une source, elles me procurent un intense bonheur ; j’hésite à bouger, à casser cet instant de perfection, pour aller à l’encontre d’une rencontre qui s’annonce difficile.
Une deuxième sonnerie retentit dans la maison. Le bogoss sonne toujours deux fois. Je prends une grande inspiration, je rassemble mes forces, je bondis littéralement sur mes pattes.
Dans ma précipitation, je manque de commettre l’irréparable : couper la « Valse » à 15 secondes de la fin ; je me ravise tout juste à temps, avant que mon doigt n’appuie sur le bouton et ne me fasse rater cet orgasme musical.
Je traverse le couloir comme enveloppé, porté, encouragé, soutenu par les toutes dernières mesures retentissant dans la maison. Je pose ma main sur la poignée, je la tourne, je tire le battant vers moi, alors que les cinq toutes dernières notes se bousculent, s’entrechoquent, et que le silence tombe aussitôt derrière moi.
Le bonheur provoqué par la musique résonne encore dans ma tête que déjà un nouveau bonheur s’empare de tout mon être : l’image du bogoss transperce ma rétine, mon cerveau, mon cœur, mes entrailles ; et je ressens, tout à la fois, un nœud dans la gorge, une brûlure dans le ventre, un choc dans la tête comme si on m’avait assené un coup en pleine figure ; j’ai envie de hurler, de pleurer, de me jeter sur lui direct.
Le bogoss est là, devant moi, ses cheveux bruns coupés très courts autour de tête, faisant raccord avec sa barbe de quelques jours ; sur le haut du crâne, son brushing est relevé et fixé au gel – mais pas figé – en une sorte de crête partant légèrement sur un côté. C’est beau, c’est sexy, c’est « petit con » tout craché.
Sa tenue du jour comporte une chemisette couleur bleu pétrole, teinte unie ; le premier bouton défait, mon regard tombe direct sur son petit grain de beauté, si mignon, si sexy ; les manchettes enveloppent parfaitement ses biceps et s’arrêtent juste en dessus de ses deux tatouages ; alors que la coupe, visiblement conçue dans le but précis de redessiner ses épaules et ses pecs, retombe à hauteur des poches d’un jeans assez clair, taillé dans un tissu qui a l’air très doux.
Les deux pans enveloppent son torse avec une justesse redoutable, avant de se croiser sur un alignement de boutons qui semble à un souffle près de forcer sur les fentes, sans pourtant y parvenir.
Si le logo d’une marque de prêt-à-porter à la mode n’apparaissait pas sur la manchette gauche, je dirais que cette chemisette a été coupée sur mesure. Ça me donne juste envie de pleurer.
Envie de défaire ces boutons un à un, comme l’autre jour, avec sa chemise du taf, et découvrir tous les arômes dégagés par sa peau de jeune mec ; envie de plonger mon visage entre le tissu et sa peau, mes mains dans ses cheveux ; envie de poser mes lèvres sur chaque millimètre carré de sa peau.
Mon regard tombe sur le pli de sa braguette, promesse de bonheurs infinis ; mes mains frémissent déjà à l’idée de frôler ce tissu ; d’ouvrir, là encore, un bouton après l’autre, de découvrir le riche bouquet de fragrances de mec qui se cache derrière ; envie de découvrir un autre tissu, dernière barrière me séparant de sa queue raide ; envie de me mettre à genoux tout de suite et de l’avoir enfin en bouche, envie de le sentir frissonner de plaisir sous les caresses de ma langue.
Mais pour l’heure, le bogoss est toujours là, devant moi, planté sur le pas de la porte.
« Salut » il finit par me lancer « tu me files ma chaînette ? ».
Le ton de sa voix est distant, le regard fuyant.
« Tu veux pas rentrer un moment ? »
« Non, donne la chaînette, je dois y aller… ».
« Et s’il te plaît ? » je cherche à gagner du temps.
« S’il te plait ! » fait-il sur un ton agacé.
« Rentre, Jérém… ».
« Je suis pressé… ».
« Allez, juste 5 minutes… ».
« Je te dis que je dois y aller, je suis juste passé récupérer ma chaîne… ».
« Viens, rentre… » je lui répète, tout en attrapant son avant-bras, simple contact qui a l’effet d’une décharge électrique « rentre juste un moment… je vais te la donner ta chaîne… ».
Jérém oppose une résistance.
« S’il te plaît… » j’insiste.
Le bogoss finit par se laisser faire. Il avance, il franchit le seuil de la maison ; sur son passage, mes narines sont percutées par le coup de fouet d’une fragrance fraîche et boisée inconnue jusque-là.
Je me retiens de lui sauter dessus sur le champ et je referme la porte derrière nous.
« Bon, tu me la donnes, maintenant ? ».
J’attrape la chaînette dans le col de mon t-shirt et je tente de défaire la fermeture ; j’ai les doigts qui tremblent, j’ai du mal à y parvenir ; je capte le regard de mon bobrun : il a l’air étonné que je la porte. Peut-être touché aussi.
J’arrive enfin à ouvrir le faux maillon, je tire par un bout et je sens les mailles glisser une dernière fois sur ma peau ; je rassemble la chaînette dans ma main et la lui tends.
Je ressens un frisson intense rien qu’au contact du bout de ses doigts venant chercher l’objet dans le creux de ma main.
Le bogoss la passe aussitôt autour de son cou ; lorsqu’il relève la tête, les mailles reprennent leur place autour de son cou puissant, retombant sur le deuxième bouton de la chemisette ; définitivement, cette chaînette de mec fait bien plus d’effet sur lui que sur moi.
Le bogoss fait déjà demi-tour pour repartir.
« Tu veux pas rester un peu plus ? » je tente de le retenir.
« Non ! ».
Sa réponse est sèche.
Jérém attrape la poignée de la porte, il se prépare à l’ouvrir. Je m’appuie dessus avec mon dos pour l’en empêcher.
« Qu’est-ce que tu fais ? » il me lance, toujours sans me regarder.
« Qu’est ce qui ne va pas, Jérém ? ».
« Tout va très bien ! ».
« Je te trouve bizarre… ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico ! ».
« Mais regarde-moi, putain ! » je finis par lui lancer. Je n’en peux plus de son regard qui me fuit.
« Sors-toi de là, laisse-moi partir ! » fait Jérém en forçant sur la poignée.
« Attends un peu, Jérém ! ».
« Pour quoi faire ? ».
« Pourquoi tu ne passes plus à la pause ? ».
« Je n’ai pas le temps ».
« C’est des conneries, t’avais toujours le temps la semaine dernière… ».
« Alors je n’ai plus le temps… ».
« Un jour tu m’as dit qu’il y a toujours le temps pour une pipe… ».
« Pas aujourd’hui… ».
« Quand, alors ? ».
« Je ne sais pas, tu m’emmerdes ! ».
« Rien qu’un câlin me suffirait… ».
« Arrête, Nico, vraiment ! » fait-il, de plus en plus irrité.
« Tu ne te souviens pas comment c’est bon… » je lui chuchote, tout en approchant le nez du creux de son cou pour en capter les arômes boisés, alors que mes lèvres frémissent déjà en rêvant de se poser sur sa peau, alors que mes mains frôlent déjà le Denim tout doux de son jeans à hauteur de sa braguette.
Jérém tente de me repousser. Je reviens à la charge, passe ma main sur sa chemisette à hauteur de ses pecs : je le sens frissonner ; je caresse sa bosse : je sens la bête grossir sous le tissu doux et souple.
« Ne me dis pas que tu n’en as pas envie… ».
Je connais mon bobrun : sa déglutition nerveuse et sa respiration profonde traduisent son excitation montante.
Le bogoss semble se laisser faire. Je prends confiance, je colle ma braguette contre la sienne, je frotte ma bosse contre la sienne ; j’envoie mes doigts à l’assaut du deuxième bouton de la chemisette, impatient de les défaire.
Je n’en aurai pas le loisir : ses mains repoussent les miennes, avant de me repousser tout court, m’obligeant à me décoller de lui.
Le regard toujours fuyant, il commence à défaire les boutons, l’un après l’autre, lentement : je le regarde faire, d’abord déçu de ne pas pouvoir le faire moi-même ; puis, très vite, je me prends à observer le naturel, sa simple beauté de ses gestes avec une sorte d’enchantement ; je suis envouté par l’harmonie de ses mouvements, mélange de puissance et de nonchalance, une grâce éminemment masculine.
Mais comment est-ce possible de dégager autant de sexytude ?
Bouton après bouton, ses pecs se dévoilent : la peau est mate, douce, lisse et… imberbe. Hélas, les adorables poils bruns qui avaient commencé à coloniser sa peau ont récemment subi le supplice « Gillette ».
C’est peut-être con, mais je suis déçu et inquiet face à ce changement : car ces petits poils étaient un peu à mes yeux le symbole de notre complicité : je lui avais dit à quel point je les adorais et il les avait gardés ; il les avait gardés pour me faire plaisir, sans en avoir l’air, en prétextant la flemme de les raser, tant que nous étions dans la complicité.
Depuis lundi, nous nous sommes à nouveau éloignés : notre complicité a été rompue, et les petits poils bruns en ont été les victimes collatérales. Putain, mais quel dommage !
Après les pecs, ses abdos apparaissent à leur tour, carreaux après carreaux : c’est à hurler.
Mise à jour du dossier « Expériences de Déshabillage de Mon Bobrun » : oui, c’est beau et c’est bon de défaire la chemise de mon bobrun en vue de l’amour, j’en ai fait l’expérience et la réflexion pas plus tard que lundi dernier ; mais, là, à cet instant précis, je me rends compte que c’est tout aussi très beau et délicieusement bon de le voir l’ouvrir par lui-même.
Je regarde ses doigts défaire les boutons : ses mouvements sont cadencés, presque rythmés ; je me fais la réflexion que ses gestes ont quelque chose d’une parfaite mélodie.
Valse de ses doigts, valse de mes regards, de pecs en abdos, d’abdos en nombril, de nombril en chemin de petits poils : me voilà face à une perfection plastique qui inspire le désir le plus brûlant, le plus irrépressible qui soit ; qui provoque de furieuses envies sensuelles et sexuelles, toutes les unes plus torrides et brûlantes que les autres ; et, par-dessus tout, la déchirante envie d’être possédé, démonté par la puissance de ses muscles, rempli de sa sexytude.
Pourtant, il n’y a pas que ça.
Quand je regarde Jérém, lorsque je m’énivre de sa présence, je sens qu’au-delà de sa sexytude radioactive (et si, à l’instant T, je fais abstraction de son humeur de chien), il y a autre chose qui se dégage de lui : c’est un quelque chose qui m’hypnotise, qui transperce le cœur de mille piqures, qui vrille les tripes.
Un tableau de maitre, une sculpture de génie, une architecture majestueuse, la magie d’une mélodie, la présence de l’homme qu’on aime : il y a comme une sérénité ultime, quelque chose de rassurant, d’apaisant, qui se dégage de ce genre de perfection.
La plastique de mon bobrun, faite d’éléments saillants et des creux ; la musique de Tchaïkovski, faite de sons et de pauses ; le même rythme, la même harmonie. Peut-être que, finalement, le raccourci que mon esprit fait entre les deux émotions, n’est pas si obscur que ça.
Ne seraient-ce pas, l’une et l’autre, de simples déclinaisons d’une seule et unique ultime émotion ? Ne semblent-elles pas jaillir, l’une et l’autre, d’une source de Grâce qui n’en finira jamais de délivrer, sans jamais la dévoiler entièrement, son intense beauté ? Dans l’une comme dans l’autre, ne retrouve-t-on pas cette émotion ultime, la plus grande et bouleversante que mon cerveau, mon esprit et mon cœur réunis sont capables d’affronter, la rencontre avec la Beauté Absolue, celle qui brûle les rétines, transperce le cœur, arrache les tripes ?
Je parle de cette Beauté Ultime qui éblouit, percute, assomme ; cette Beauté qui conduit inévitablement à l’impression, brûlante frustration, d’être incapable d’en fixer toutes les nuances, d’en embrasser complètement la perfection ; un peu comme lorsqu’on se retrouve confrontés à un panorama époustouflant et que le regard cherche sans cesse où se poser.
Il y a une sorte de fascination à contempler autant de perfection.
Je contemple mon bobrun, la chemisette complètement ouverte, la chaînette posée entre ses pecs, le grain de beauté bien visible à la base de son cou, le tatouage qui sort du col et remonte vers son oreille ; je laisse le regard glisser tout le long des pecs et des abdos, jusqu’à rencontrer cette insolente ligne de poils qui descend du nombril et disparaît dans cet élastique de boxer bleu qui dépasse si scandaleusement, si insolemment du jeans ; le regarder, rien que le regarder, ça me donne des frissons de façon quasi mystique.
Et lorsque le bogoss a ce geste inouï – il défait sa ceinture, avant d’ouvrir le premier bouton de sa braguette, sans aller plus loin, comme une injonction à aller chercher ce à quoi je ne peux résister – j’ai tout simplement envie d’hurler.
« Viens, on monte… ».
Jérém semble réticent à ma proposition.
« Allez, viens… on sera plus tranquilles là-haut… » je tente de le rassurer, tout en saisissant un bout de l’élastique de son boxer, en frôlant de mes doigts la peau douce et ferme de ses abdos chauds. Je brûle de désir.
Le bogoss me défie du regard mais finit par me suivre.
Je referme la porte de ma chambre et, soudainement, une idée traverse mon esprit. Je me dis qu’un cadeau pourrait le mettre dans de bonnes dispositions ; je me dis que je dois tenter le tout pour tout pour lui montrer à quel point mon amour est profond et sincère, à quel point sa présence ne me quitte jamais : d’autant plus que c’est peut-être la dernière occasion que j’aurai de le faire.
Alors, sans réfléchir davantage, je fonce dans mon placard, j’attrape le maillot de rugby blanc et rouge que j’ai acheté à Londres quelques semaines plus tôt, et je le lui tends.
« Tiens, ça c’est pour toi… ».
« C’est quoi, ça ? ».
« Regarde… ».
Jérém plonge sa main dans le sac plastique et en ressort le maillot. Je le regarde en train de le déplier ; ses gestes sont lents, son regard traduit d’abord la surprise et la curiosité ; mais lorsque le logo ailé des « Newcastle Falcons », le numéro 10, le nom imprimé sur le dos et le code couleur du maillot font bingo dans sa tête, ce sont carrément des étoiles de bonheur de gosse qui se bousculent dans son regard.
Pendant une seconde, j’ai le sentiment que Jérém est remué, ému, et qu’il est sur le point de craquer, de se jeter sur moi, de m’embrasser, de me remercier de cette super idée, de me dire à quel point ce cadeau lui fait plaisir, à quel point il est touché par mon geste ; de me dire qu’il a enfin compris à quel point je l’aime, à quel point il est désolé pour son silence de la semaine, et à quel point nous pouvons peut être heureux tous les deux ensemble.
« Ça te plait ? ».
« Je ne pourrai pas trop le mettre… mais… merci… ».
Puis, soudainement, l’expression de son visage change à nouveau du tout au tout : l’émotion laisse à nouveau la place à la froideur, à la distance, au silence embarrassant.
Très vite, je suis à genoux devant lui, en train de défaire sa braguette au tissu si doux, en train de caresser le boxer bleu intense et de provoquer la bête tapie à l’intérieur. Tout aussi vite, son jeans et son boxer finissent sur le carrelage. Alors que le maillot blanc et rouge atterrit en vrac sur mon bureau.
« J’ai envie de fumer… ».
« Vas-y, fais toi plaisir… » j’ai envie de le mettre à l’aise, alors que j’ai horreur de l’odeur de la fumée de cigarette dans ma chambre.
Je me déshabille pendant qu’il allume sa cigarette et je commence à pomper avidement cette belle queue tendue.
Les épaules appuyées au mur, la chemisette ouverte sur son torse dessiné, le bassin bien en avant, le bogoss me laisse le sucer, tout en fumant sa clope ; il se laisse sucer en silence, un silence cadencé par le bruit de ses taffes et de ses expirations.
Le contact de ses doigts sur mes tétons me manque. Non seulement pour le plaisir et l’excitation que ce contact me procure, mais aussi et surtout pour le changement que cela semble illustrer dans son attitude, preuve supplémentaire du fait que notre complicité sensuelle a bel et bien disparu. J’ai presque l’impression que cette pipe, il ne l’apprécie pas vraiment ; j’ai comme la désagréable impression de lui forcer la main.
Dans un geste presque désespéré, j’attrape sa main libre, je la porte à mes tétons, en espérant qu’elle retrouve le plaisir de me faire plaisir.
Elle s’y attarde un très court instant, sans entrain, et elle repart aussi vite ; elle atterrit sur ma nuque, et elle s’emploie aussitôt à impulser des mouvements désordonnés, là aussi sans entrain.
Mais il y a un autre truc qui me chiffonne, en plus de tout ça : c’est un petit goût que ma langue a décelé dès le premier contact avec son gland : c’est un goût que je connais trop bien pour ne pas le reconnaître : c’est le goût de sa queue… après une première jouissance.
Bien sûr, ça fait plusieurs jours que nous n’avons pas couché ensemble : mon bobrun, habitué à jouir plusieurs fois dans l’après-midi, n’allait pas faire disette pendant tout ce temps ; mais j’ai du mal à l’imaginer en train de se branler, alors que tant de regards se tournent sur son passage… 
Il arrive d’où à cette heure si inhabituelle ? Avec qui il a passé le plus clair de sa pause ? Avec qui il a joui, putain ?
Soudainement, l’idée que mon bobrun puisse avoir pris du plaisir avec quelqu’un d’autre que moi m’apparaît insupportable, et déclenche en moi une violente décharge de jalousie. Tellement violente qu’elle me coupe toute envie ; tellement violente que j’arrête de le sucer : tellement violente que je dégage ma nuque de la prise de sa main et je plante mon regard dans le sien, en quête d’une réponse à une question que je n’ose pas poser.
« Y a un problème ? » fait le bogoss, une étincelle de défi dans son regard, avant de me sommer : « suce, sinon je me tire ! ».
Alors, je le suce. Je le suce malgré les questions qui assaillent mon esprit et que sa réaction de petit con n’a fait qu’attiser ; je suce alors que sa main se pose désormais lourdement sur ma nuque pour imprimer un puissant mouvement de va-et-vient ; je le suce, alors que je n’en ai plus vraiment envie.
Je suis obsédé par cet arrière-goût qui disparaît au gré de ma pipe, mais qui persiste dans mon nez, et dans mon esprit.
Ses coups de reins se font de plus en plus puissants, de plus en plus débordants, de plus en plus étouffants.
« Je vais jouir et tu vas tout avaler… » fait-il en sortant enfin de son silence.
C’est au mot près ce qu’il m’avait dit, au même moment, dans la même position, dans la même circonstance, le jour de notre toute première révision.
Je suis percuté, assommé par l’inquiétante sensation d’une sorte de boucle qui se referme sur notre relation, comme si nous venions de faire une révolution complète qui nous aurait ramenés au point de départ ; comme si ce clin d’œil, volontaire ou pas, au tout début de notre relation, était un présage de la fin.
Pourtant, si les mots sont les mêmes, le ton sur lesquels ils sont balancés change : ainsi, sa totale assurance du premier jour semble désormais replacée par une sorte de mélancolie, que son attitude de macho d’aujourd’hui n’arrive pas complètement à masquer.
Un instant plus tard, il jouit bien au fond de ma gorge. Sa semence est chaude, bonne, délicieuse. Pourtant, elle a un goût amer.
Très vite, il se retire d’entre mes lèvres, il s’allonge sur le lit, en silence. Il a l’air fatigué.
Je m’allonge à côté de lui, dans l’espoir fou qu’il me serre dans ses bras comme il l’a fait parfois la semaine dernière. Mais le bogoss ne bouge pas un orteil.
Le silence devient vite pesant ; je plonge un instant, j’émerge en sursaut.
Jérém s’est déjà levé, il est en train de fumer à la fenêtre.
Je regarde l’heure, il est 17h25.
« Tu reprends quand ? ».
« Je vais y aller… ».
« Déjà ? ».
« Oui… »
Je le regarde, tout juste habillé de sa chemisette ouverte, ses jolies fesses dépassant au-dessus du tissu léger. Je ne veux pas qu’il parte : j’ai envie de lui, horriblement envie de lui.
Je dois aussi lui parler : je dois lui parler sans faute.
Mais pour l’heure, je suis happé par sa présence, pas le désir ; et tant que cette envie me brûlera de l’intérieur, je n’aurai pas l’esprit assez clair pour l’« affronter ».
Je cherche à me rassurer en me disant qu’après une nouvelle jouissance, il sera peut-être dans de meilleures dispositions, que ce sera plus facile de lui parler.
« J’ai envie de toi… » je finis par lâcher, tout simplement.
« J’ai pas le temps… » c’est sa réponse laconique.
Mon corps est une torche d’excitation embrasée. Je me tourne, je m’allonge sur le ventre, face à lui.
Le bogoss tourne légèrement le visage, la cigarette fumante entre deux doigts.
J’ai vraiment trop envie de lui ; plus qu’une envie, c’est un besoin. Et j’ai aussi besoin de me prouver qu’il a encore de la ressource, qu’il n’a pas trop baisé cet après-midi.
Ma queue est dure comme du bois, hypersensible : j’ai besoin d’avoir mon mâle en moi.
Du coin de l’œil, je capte la présence de son boxer bleu sur le sol. Je plonge pour le saisir, et je plonge mon visage dans l’intimité odorante du mâle.
Ses yeux, ses oreilles, ont tout petit un mouvement soudain, le genre de mouvement qui se produit inconsciemment lorsque certaines cordes vraiment sensibles sont sollicitées.
Preuve en est que sa main s’est glissée sur sa queue, et elle a commencé à la caresser. Je suis tellement fou de désir que j’en tremble.
« Il n’y a que toi qui me fait cet effet, Jérém… ».
Un instant plus tard, il écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre, il avance vers le lit ; armé de son assurance de jeune mec, il passe à côté de moi, laissant derrière lui une trainée de son nouveau parfum, comme un coup de fouet olfactif ; et il disparait, dans mon dos.
Le matelas se dérobe sous mes jambes, sous l’effet du poids de son corps. Ses doigts empoignent mes fesses avec fermeté, les écartent avec un bon geste puissant de mec ; la chaleur de ses paumes me rend dingue. L’envie me consume.
Déjà, une bonne perle de salive tombe à l’aplomb de ma rondelle ; puis, son gland vise juste, très juste. Ses mains écartent encore, son bassin exerce une pression croissante, jusqu’à ce que les muscles de mon petit trou cèdent pour le laisser venir en moi.
Sa queue s’enfonce d’une seule traite. Le bogoss marque une pause au fond de moi, cette pause qui est depuis toujours sa signature virile. Sa chemisette atterrit sur le lit, juste à côté de moi.
Ses mains saisissent mes épaules, et le bogoss se sert de cet appui pour commencer à me limer.
Son bassin claque contre mes fesses, ses cuisses contre mes cuisses, ses couilles contre mes couilles, son gland bien au fond de mon ventre.
J’ai tant voulu que ça arrive ; pourtant, très vite, je me rends compte que ce qui est en train de se passer ne correspond pas du tout à mes attentes : ses mains s’agrippent de plus en plus fermement à mes épaules, et elles ne cherchent à aucun moment à aller me faire du bien auprès de mes tétons ; ses va-et-vient ont une allure comme mécanique, qui tranche rudement avec la complicité des dernières fois.
C’est une sensation rendue encore plus insupportable par son silence assourdissant, un silence souligné par les bruits de fond – sa respiration monocorde, le grouillement de la ville qui remontent de la rue, un petit couinement du lit, le rideau malmené par le Vent d’Autan.
Voilà tout un ensemble de (mauvaises) sensations qui me renvoient à l’un des pires souvenirs de ma vie, à cette baise inutile avec ce Mourad levé devant le On Off quelques temps auparavant.
Quand je pense qu’il y a seulement quelques jours je faisais l’amour, un amour intense, complice, explosif, avec ce même garçon, sur ce même lit… qu’est-ce qu’on est en train de faire, là ?
Rien de plus qu’une saillie qui a quelque chose d’incroyablement triste. Je me sens étouffer sous les coups de cette baise sans bonheur. Cette baise, c’est une erreur, une insulte au bonheur de la semaine magique.
Dans un sursaut de désespoir, je me déboite de lui, je m’arrache à la prise de ses mains, je me retourne ; fou de désir, mais avant tout de frustration, de tristesse et d’angoisse, à la recherche désespérée de notre complicité perdue, j’embrasse fébrilement son torse, ses pecs, son cou, ses lèvres.
Jérém ne réagit pas : il reste immobile, comme médusé, le regard toujours absent.
Dans un geste encore plus désespéré, je prends son visage entre mes deux mains et je le couvre de bisous ; Jérém tourne la tête, il détourne ses lèvres. Ses mains saisissent mes épaules pour m’inviter à me retourner à nouveau.
C’est avec un mélange de tristesse et de désolation que je seconde son geste, et que je le laisse revenir en moi. Ses mains reviennent agripper fermement à mes épaules, et il recommence à me pilonner de la même façon, mécaniquement, en silence.
Comme c’est triste de revenir à la baise, alors qu’on a gouté au bonheur de faire l’amour, avec le garçon qu’on aime.
Les minutes passent, sa respiration s’emballe, ses coups de reins s’enchaînent dans des séquences d’une puissance inégale ; son corps semble fatiguer dans cette course derrière un orgasme qui ne veut pas se laisser attraper.
Désormais il n’y a plus de doute, Jérém s’est déjà vidé les couilles cet après-midi.
La jalousie, l’inquiétude, la tristesse de cette baise sinistre font évaporer toute excitation de mon corps ; je n’ai plus qu’une envie, c’est qu’il arrive vite au bout de cette saillie interminable.
J’essaie de tenir bon, de prendre sur moi, en me disant qu’il ne doit plus être très loin de son orgasme : mauvaise spéculation, ses assauts n’ont pas l’air de vouloir cesser de sitôt.
« Arrête, Jérém, j’ai plus envie… » je lui lance.
« Je viens… » fait-il, tout en ralentissant ses va-et-vient.
Ses mots sont immédiatement suivis par de nombreux râles bruyants, comme de grands cris de triomphe après un effort considérable.
Ce qui ne m’empêche pas de ressentir en moi le souvenir de l’une des pires baises avec Jérém, dans une cabine des chiottes du lycée ; une baise tout aussi mécanique, aussi froide, tout aussi déplaisante sur la fin.
Lorsque ses coups de reins cessent, la prise de ses mains sur mes épaules disparaît également, et sa queue s’arrache de moi aussitôt.
Je me retourne, et Jérém est déjà assis sur le bord du lit, le boxer à la main.
Après cette baise sans âme, je ne peux pas le laisser repartir comme ça. J’ai plus que jamais besoin d’un peu de chaleur de sa part. Je m’approche de lui, je pose ma main sur son épaule, je tente un câlin.
« Arrête ! » fait-il, sur un ton très agacé, tout en se secouant avec un geste énervé.
« Jérém… ».
« Arrête, je te dis ! ».
« Mais qu’est-ce qu’il te prend ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
« Qu’est-ce qu’il t’arrive depuis quelques jours ? ».
« Arrête, Nico… ».
« Non, je n’arrête pas… la semaine dernière on a passé des moments de fou, c’était magique… tu étais si différent… tu étais souriant, détendu… on était si complices… pourquoi du jour au lendemain tu ne viens plus, tu ne réponds même pas à mes messages, tu m’évites, tu es froid et distant ? ».
« Ne me casse pas les couilles, Nico… ».
« Tu me manques, Jérém… ».
Le bogoss se tait, immobile, la respiration haletante. Plus je le regarde, plus j’ai l’impression qu’il n’est pas dans son assiette. C’est comme s’il voulait me dire quelque chose, et qu’il n’arrivait pas à trouver le courage de le faire ; comme si quelque chose le tracassait vraiment, comme s’il étouffait d’être dans cette pièce ; comme s’il regrettait déjà d’avoir couché avec moi, de s’être laissé faire.
C’est dur de savoir, à priori, ce qui le tracasse ; de savoir et de le voir le garder pour lui, de voir qu’il n’a pas l’intention de m’en parler, alors que je suis aussi concerné que lui ; c’est dur de savoir et de ne pas pouvoir lui en parler, parce que j’ai promis de ne pas le faire.
Je regarde son dos en V, ses épaules, ses tatouages, ses beaux cheveux bruns, ses oreilles adorables ; je regarde ce garçon que j’ai envie de couvrir de bisous et de câlins, sans pouvoir le faire.
« Est-ce que j’ai fait ou j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? » je tente d’attaquer ses remparts par un côté qui me semble moins bien gardé.
« Arrête Nico ! » fait-il en passant son boxer bleu.
« Mais putain, parle-moi, Jérém ! » je lui lance, tout en passant à mon tour mon boxer et mon t-shirt et en me glissant sur le bord du lit, juste à côté de lui.
« Je n’ai rien à te dire ! » fait-il sur un ton agacé, en se penchant pour attraper son jeans.
Le geste est rapide et brusque ; c’est lorsque le jeans atterrit sur ses genoux que quelque chose tombe de sa poche et atterrit sur le carrelage juste devant nous. Un petit bruit sec, pourtant assourdissant.
Mes yeux m’apportent une image à laquelle mon cerveau se refuse de croire. J’ai envie de hurler mais je me sens comme tétanisé. J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression que le ciel vient de me tomber sur la tête.
Ce n’est que lorsque Jérém se baisse pour ramasser ce qui est tombé que je trouve la force de réagir :
« C’est quoi, ça ? ».
Mes mots ne sont que le reflexe de cette souffrance soudaine qui envahit mon cerveau, mon cœur, et mon corps même.
« C’est rien… ».
« Tu te fiches de moi ? »
L’image de cette capote tape dans ma tête comme un Cognard ensorcelé. Je ressens un douloureux sentiment de désolation envahir mon cœur, mon cerveau, mon esprit, comme une présence de Détraqueur, me laissant dans le désespoir absolu que tout bonheur me soit interdit, à tout jamais.
Ça fait mal, ça fait trop mal ; tellement mal que je sens approcher le point au-delà duquel il m’aura fait trop souffrir pour que je puisse lui pardonner, le point à partir duquel mon amour sera tellement meurtri qu’il cassera en mille morceaux. Ce point que je vois approcher à grand pas, c’est le point de non-retour de notre relation.
« Tu… tu… tu couches ailleurs ? » je finis par l’interroger, face à son silence obstiné.
« Ça ne te regarde pas… ».
« Ta queue sentait le jus… » je me parle tout seul, sans même réagir à ses mots.
« C’est toi qui a voulu me sucer à tout prix… ».
« Tu couches ailleurs ? ».
« T’es sûr que tu veux vraiment qu’on parle de ça ? ».
« Oui, je suis sûr ! » je m’énerve.
« Puisque tu veux savoir… j’ai… une copine… » fait-il, le regard toujours loin de moi.
Sa jambe est animée par une sorte de vibration, un petit tremblement nerveux qui semble trahir son malaise.
« De quoi ? ».
« T’as bien entendu… ».
Même si ses mots sont prononcés sur un ton à l’apparence détaché, j’ai l’impression qu’il est plutôt mal dans ses baskets, même s’il ne les a pas encore passées à ses pieds.
« Tu te fiches de moi ?!?! ».
« Mais pas du tout… ».
J’ai une soudaine envie de le frapper, mais je suis tellement assommé que mes membres ne répondent même pas à ma colère.
« Depuis quand ? ».
« Ça ne te regarde pas… ».
« Mais t’es pas bien toi… je te rappelle que je te laisse me baiser sans capote… ».
« Bah, justement, tu vois, je ne prends pas de risque, je mets des capotes ! ».
« Pourquoi tu me fais ça ? ».
« Parce que j’ai envie de baiser des nanas… c’est aussi simple que ça… ».
« Sérieux, tu as une copine ? ».
« Oui, parfaitement ! ».
« Et tu l’as rencontrée où ? ».
« Au taf… ».
« Au taf ? ».
Jérém passe son jeans sans répondre à ma question.
J’ai un mal de chien. Je suis blessé, meurtri, humilié, je bouillonne de l’intérieur.
« Mais bon sang, Jérém… tu crois que ça me fait quoi de découvrir ça, alors que je viens de te laisser jouir en moi ? ».
« C’est toi qui a voulu que je te baise… ».
« Mais t’as bien pris ton pied toi aussi… tu l’as dit la dernière fois… tu n’as jamais joui aussi fort que comme avec moi… ».
« De quoi ? J’ai jamais dit ça… » il me balance, pendant qu’il chausse ses baskets.
« Si tu l’as dit ! ».
« Je ne suis pas pd, fiche-toi ça dans la tête ! »
« C’est génial ce qu’il y a entre nous… ne gâche pas tout, s’il te plaît ! ».
« On a bien baisé, oui... j’ai pris mon pied, t’as pris ton pied… mais ça s’arrête là… ».
« Pas pour moi… ».
« Bah, ça devrait… » fait-il, en bouclant sa ceinture.
Sur ces mots, il s’avance vers la porte de la chambre, torse nu, avec sa chemisette à la main. Je me lève d’un bond, je me jette sur la porte pour lui empêcher de l’ouvrir.
« Qu’est-ce que tu fais ? ».
Je n’ai plus le choix, je n’ai plus le temps : je ne peux pas lui laisser passer cette porte sans lui avoir dit ce que je ressens pour lui.
« Jérém… ».
Jérém, trois syllabes qui contiennent pour moi toute la poésie de l’Univers ; Jérém, ce beau prénom qui rime si bien avec :
« … je t’aime… ».
Juste trois petits mots qui s’envolent de mes lèvres ; trois mots, un monde entier.
C’est un cri du cœur qui me laisse vidé de toute énergie, la poitrine qui tape à tout rompre, la respiration coupée ; un cri qui n’a d’écho que le silence assourdissant de son destinataire, et son regard comme assommé, ébahi, figé.
« Ecoute, tu sais quoi ? » fait Jérém après une pause insupportable « on va en rester là tous les deux, ça devient trop ingérable tout ça… ».
Je sens le désespoir m’envahir comme un poison mortel, le ciel me tomber sur la tête, je n’arrive plus à respirer, ma vue se brouille, mes oreilles bourdonnent. Je ne sais même pas comment je trouve la force de le relancer :
« Pourquoi tu veux tout gâcher ? ».
« On aurait dû arrêter tout ça il y a longtemps… on n’aurait même jamais dû commencer… ».
« Tu penses vraiment ce que tu dis ? ».
« Oui… et ce coup-ci, on va arrêter pour de bon ! ».
Je suis sonné, j’ai l’impression de venir de recevoir un grand coup de massue sur la tête.
« J’ai pas envie d’arrêter, moi ! ».
« Moi si ! ».
« Mais putain ! Jérém ! Si tu savais à quel point tu comptes pour moi… je n’ai jamais ressenti pour personne ce que je ressens pour toi… quand je te vois, et même quand je pense à toi, j’ai le cœur qui bat la chamade… tu es tout pour moi… j’ai besoin d’être avec toi… je n’ai besoin de personne d’autre, juste de toi… ».
Je sens mes larmes monter à grands pas.
« Ça ne peut pas finir comme ça entre nous ! » je pleure.
Jérém se tait, le regard posé sur la poignée de la porte. Ses traits sont figés, ses paupières clignent nerveusement, ses lèvres sont serrées, parcourues par un frémissement incontrôlable ; sa pomme d’Adam bondit sous l’effet d’une déglutition fiévreuse ; ses yeux se ferment lourdement, se rouvrent ; sa tête a un petit mouvement sur le côté, comme s’il voulait chercher le mien, puis il se perd à nouveau dans le vide.
J’ai l’impression de me retrouver devant un garçon qui n’est pas mon Jérém ; un garçon qui se fait violence pour être aussi méchant. C’est horrible cette barrière en verre qu’il a érigé pour m’interdire l’accès à son cœur. Et ces barbelés qu’il est en train de tirer partout autour pour me blesser et m’éloigner de lui.
« Laisse-moi partir maintenant ! » il me lance, tout bas.
« Jérém, s’il te plaît… je t’aime Jérém, je t’aime tellement, je t’aime plus que tout, je t’aime depuis le premier instant que je t’ai vu dans la cour du lycée ! ».
« Et moi, ce que j’aime, c’est juste te baiser… ».
« C’est vrai ? ».
« Puisque je te le dis… » il lâche, le regard sur ses pompes, les yeux plissés.
« Regarde-moi dans les yeux, Jérém… regarde-moi dans les yeux et redis-moi ça ! » je le mets au défi.
Et là, son visage se redresse lentement, son regard se plante dans le mien et il assène froidement :
« Tu veux vraiment savoir ? ».
Je sens l’orage venir. Et qu’il va être violent.
« Il n’y a toujours eu que ton cul qui m’intéressait ! ».
Je me sens de plus en plus humilié, je sens ma colère monter en flèche.
« Ça c’est ce que tu dis pour ne pas avoir à assumer ce qui se passe entre nous… » je lui gueule dessus.
« Arrête donc de faire ton psy à deux balles ! ».
Jérém me regarde fixement dans les yeux, son regard noir est plein d’éclairs mauvais. Je sais que si je provoque encore, sa méchanceté peut être sans limites. Mais je veux en avoir le cœur net, au risque de me faire terrasser :
« Tu ne me fera pas croire qu’il n’y a pas un truc spécial entre nous… ».
« Mais quel truc ? Quand est-ce que tu as vu qu’il y avait ce truc ? ».
« Tu te souviens du samedi quand tu m’as défendu de cet abruti à l’Esmé… ».
« Et donc ? ».
« Quand on est rentrés, tu m’as fait l’amour pour la première fois… ».
« Tu prends tes rêves pour des réalités ! ».
« On a passé l’une des plus belles nuits ensemble… tu m’as même demandé de rester dormir… ».
« J’avais juste envie que tu me suces encore pendant la nuit ! ».
« Ce n’est pas vrai… tu avais besoin de câlins… tu m’as donné des câlins… mais le matin tu m’as jeté comme une merde… ».
« On n’aurait jamais dû commencer ces conneries… ».
« Ce ne sont pas des conneries… tu ne vas pas me faire croire que tu n’as pas aimé tout ce qui s’est passé entre nous ! ».
« Tais-toi… tout ça c'est de ta faute ! ».
« Ma faute ? » je chauffe.
« T'aurais pas dû me proposer de réviser... tu voulais juste baiser avec moi… ».
« Je te rappelle que c’est toi qui a voulu que je te suce ce jour-là ! ».
« Tu m’as allumé… t’arrêtais pas de me mater en cours ! ».
« Bien sûr que je te kiffais, je te kiffais à mort, je te kiffais comme un fou depuis le premier jour du lycée… mais moi je n’aurais jamais osé te proposer quoi que ce soit… ».
« Tu en crevais d’envie… ».
« Alors, si tu savais que j’avais envie de coucher avec toi, pourquoi t’as répondu « oui » quand je t’ai proposé de réviser ? ».
« Parce que je voulais me payer ton cul… ».
« Donc t’es aussi pd que moi ! ».
« Arrête de me chercher ou ça va mal se finir... » fait-il, les yeux exorbités, les veines apparentes dans le cou, l’air menaçant.
 « Jérém… » je tente de le raisonner « nous ne faisons rien de mal, nous sommes juste deux mecs qui se font du bien… ».
« Ferme-la, putain… je ne suis pas pd et je ne veux pas devenir pd comme toi ! Tu entends ? ».
Ses mots sont blessants, injustes, violents, gratuits.
« C’est moi le pd, mais en attendant, c’est toi qui m’a trainé au On Off… et qui a invité ce mec pour le baiser devant mes yeux… ».
« T’as pris ton pied aussi avec ce mec ! ».
« Mais c’est toi qui a voulu le faire venir chez toi, tu m’as pas demandé mon avis ! ».
« T’as pas dit non quand je t’ai proposé de venir avec nous à l’appart… tu pouvais partir, je te signale… ».
« Et te laisser baiser seul avec ce type ? Toi qui n’es pas pd, sans blagues ! Merci le choix ! Et je te rappelle aussi que c’est toujours toi qui lui as dit qu’il pouvait me baiser… alors qu’à la base, c’est toi qu’il voulait baiser ! ».
« Je ne me laisse pas baiser, moi… mais toi, t’en crevais d’envie ! ».
« Je crevais d’envie de me retrouver seul avec toi, couillon ! Et toi, toi t’as préféré laisser ce mec me baiser plutôt que d’admettre que ça te faisait chier… ».
« Ça ne m’a rien fait… ».
« Arrête, Jérém… tu étais fou de jalousie… je l’ai vu dans tes yeux pendant qu’il me baisait ! ».
« Non je n’étais pas jaloux ! ».
« Si, tu l’étais ! Et c’est d’ailleurs pour ça que cette nuit-là aussi tu m’as demandé de rester… et ça a été une autre nuit merveilleuse ! ».
« Jaloux ? De toi ? » il se moque avec un mépris insultant.
Je sais que je suis en train de le chercher et de le braquer, mais je ne peux plus m’arrêter.
« Tu m’emmerdes, Jérém ! Tu n’es qu’un petit macho qui n’a pas les couilles pour assumer ce qu’il est… ». »
« Et toi t’es une petite salope qui coucherait avec n’importe quel mec… ».
« Ça t’arrange bien de penser ça… ».
« Je t’ai vu rigoler avec ce mec… ».
« Quel mec ? ».
« Ce type dans la voiture… ».
« Qui ? … Ah, Julien ? Enfin… le type de l’autoécole ? ».
« Tu le kiffes, hein… ce… Ju-li-en ? ».
« Pourquoi, t’es jaloux de lui aussi ? ».
« Tu as couché avec ? ».
« Pourquoi tu veux savoir ? T’en a quelque chose à faire ? ».
« Tu as couché avec ? » il insiste.
« Non, mais j'aurais pu ! » je bluffe.
Son regard est traversé par un éclair de rage.
« Laisse-moi passer avant que je m’énerve vraiment ! ».
« Si seulement tu assumais qui tu es… je t’assure que ta vie serait tellement plus simple ! ».
« T'occupes pas de ma vie, connard ! ».
« Ta vie c'est ma vie car je t’aime même si t’es un connard ! ».
Il me pousse, je tente de lui résister.
« Ça ne peut pas finir comme ça entre nous… » je lui gueule à la figure, tout en m’élançant vers lui pour l’embrasser désespérément.
Mais à l’instant même où mes lèvres effleurent les siennes, ses mains me repoussent violemment. Je suis fou, je suis en larmes. Je reviens vers lui, je saisis ses biceps qui font une fois et demie les miens ; c’est n’est qu’avec la rage et le désespoir que j’arrive à contrer sa puissance.
« Je ne comprends pas pourquoi on doit se faire autant de mal l’un l’autre… ».
« Maintenant tu me laisses partir… ».
« Sinon quoi, tu vas me cogner ? ».
« Ne me cherche pas Nico, sinon, je te jure… ».
« Vas-y, tape-moi si ça te fait du bien ! ».
Je me trouve devant un mur, haut, épais, infranchissable : j’ai besoin d’ouvrir une brèche à tout prix, tout de suite. J’ai besoin d’une « arme » puissante pour y parvenir. Soudainement, je me rappelle que je suis en possession d’un « atout » qui pourrait bien faire l’affaire ; hélas, il s’agit d’une « arme non conventionnelle », que je me suis engagé à ne pas utiliser.
Mais tant pis : je ne peux plus tergiverser. Dans une minute, il sera parti. Alors, c’est maintenant ou jamais.
« T’attendais quoi pour me dire que tu vas partir à Paris ? ».
« Comment tu sais ? ».
« C’est pas important… ».
« Tu peux pas t’en empêcher… t’as encore été faire chier Thibault ! ».
Je sens sa colère redémarrer à grand pas.
« Thibault, c’est mon pote aussi ! ».
« Ouaisss… mais ça t’a plu un max de lui vider les couilles à lui aussi, l’autre soir ! ».
« Mais putain ! C’est toi, et toujours toi, qui a voulu que je le suce ! ».
« T’as pas dit non, non plus ! ».
« C’est vrai… mais tu m’as pas demandé mon avis ! Comme tu ne me l’as pas demandé la fois que tu m’as fait venir pour baiser avec ton cousin, ou la fois que t’as voulu baiser avec le mec du On Off ! Tu m’as mis dans des situations où je ne pouvais pas dire non ! ».
« Plains-toi ! »
« Je m’en plains pas, non… mais ne me jette pas à la figure que je prends mon pied avec d’autres mecs… alors que c’est toi qui me jette dans leurs bras… ».
« Le mec de la piscine, c’est pas moi qui t’a dit de baiser avec… ».
« Bah, si à ce moment là tu n’avais pas été aussi infect avec moi, je ne me serais certainement pas laissé inviter chez lui ! En plus, Stéphane ne m’a pas baisé… ce mec m’a fait comprendre que mon plaisir compte aussi, que même si je suis passif, je ne suis pas qu’un cul à baiser, comme tu le dis ! ».
« Quant à Thibault… » je continue en mode rouleau compresseur « … oui, j’ai pris mon pied avec lui… et tu veux savoir pourquoi ? Parce qu’il ne m’a pas baisé, lui non plus ! ».
« Ah, bon, il ne t’a pas baisé… sans déconner ! ».
« C’est ce que tu voulais, toi, tu voulais qu’il me baise… tu t’es dit que la meilleure façon de lui montrer que tu n’étais pas pd, c’était de lui montrer que je n’étais que ton vide couilles… et que la meilleure façon de lui montrer que je n’étais que ton vide couilles, c’était de me mettre à sa disposition… tu t’es dit qu’en me présentant comme une bonne salope, ton pote t’aurait suivi dans ton délire, et il m’aurait traité lui aussi comme une salope… manque de bol, les choses ne se sont pas déroulées exactement comme tu les avais imaginées… ».
« Thibault t’a baisé exactement comme moi… ».
« Tu te trompes… oui, on a couché ensemble… mais en plus du sexe, lui il m’a offert de la douceur, de la tendresse, du partage, de la considération… il s’est préoccupé de mon plaisir à moi, lui… chose dont tu ne t’étais jamais intéressé avant cette nuit-là… au lieu de m’humilier, il m’a fait sentir bien, respecté, compris… et ça, ça t’a énervé… plus tu nous voyais bien nous entendre, plus ça te mettait en pétard… ».
« Tu racontes que de la merde ! ».
« Thibault m’a fait sentir bien… il a été vraiment adorable ! ».
« T’as qu’à te faire sauter par lui ! »
« Tiens, peut-être que ce serait une bonne idée ! ».
« T’es vraiment qu’une pute ! ».
« Ok, je suis une pute… mais tu sais quoi ? Je suis une pute qui pourrait même tomber amoureuse d’un gars comme Thibault ! ».
« Toi vraiment, putain… ».
Et là, Jérém se projette violemment contre moi, il se dégage de ma prise ; ses mains percutent mes pecs avec la puissance et la violence d’une semi-remorque. Je me retrouve projeté sur le lit, immobilisé par sa musculature puissante, crispée par la rage, son avant-bras en travers de ma gorge, l’autre bras brandissant un poing prêt à frapper avec toute la violence de son biceps tendu.
« Je te jure que si tu n’arrêtes pas, tu vas te manger ma main dans la gueule… ».
« J’arrête, j’arrête, j’arrête… » je tente de le calmer.
« T’as intérêt ! » fait-il, toujours aussi en colère mais en relâchant la pression.
Une seconde plus tard, il descend du lit, il rattrape sa chemisette par terre et bondit à nouveau vers la porte de la chambre. J’ai les larmes qui me montent aux yeux en le regardant disparaître dans le couloir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.
J’attrape le maillot qu’il a laissé sur mon bureau, je dévale l’escalier, et je le rattrape alors qu’il est tout proche de la porte d’entrée.
« Tu oublies ça… » je lui lance sur un ton de colère et de désespoir, en lui tendant le maillot.
« Je n’en veux pas de ça ! » assène-t-il, sèchement.
« Il est pour toi, Jérém… ».
« Je n’en veux pas, je te dis ! ».
« Et pourquoi ? ».
« Parce que tu me gonfles ! » fait-il, de plus en plus énervé.
Son attitude a le don de me faire sortir complètement de mes gonds.
« Mais bon sang ! » je m’emporte « ça pourrait être si génial entre nous deux si seulement tu étais moins con ! Il y a un truc spécial entre nous… les chanceux c’est nous, Jérém ! ».
« Spécial ? Pourquoi ça ? T’es pas le seul mec que j’ai fait couiner… ».
« Oui, mais avec ton cousin et avec le mec du On Off, c’était pas pareil… » je tente de me rassurer.
« Si tu crois que c’est les seuls… » fait Jérém, odieux.
« De quoi ???????????? » je tombe sur la tête.
« T’as très bien compris ! ».
Lorsque je reçois ce nouveau coup de massue sur la tête, encore plus puissant que le précèdent, je sens immédiatement que quelque chose est sur le point de casser en moi.
Ça en est trop, vraiment trop. Même si je veux mon Jérém pour moi tout seul, je peux encore tolérer qu’on se fasse des plans à trois ; et même si ça me fait profondément chier, si vraiment il a envie de coucher avec des nanas, je n’ai pas de recours contre ça.
Mais le fait de savoir qu’il s’est tapé d’autres mecs à mon insu, alors que je crève d’envie de lui ; qu’il a trouvé le moyen de franchir le pas d’aller voir ailleurs, alors qu’il n’assume même pas notre relation : ça, ça me blesse à vif.
Le point de non-retour est là, devant moi.
« T’es qu’un connard ! » je lui lance, toujours incrédule, le regard défait.
« De quoi tu t’étonnes ? T’es pas le seul cul à baiser de la ville ! ».
C’est à cet instant précis que le point de non-retour, celui que j’ai vu approcher de seconde en seconde, est atteint : ce coup-ci, Jérém a vraiment dépassé les bornes ; sa méchanceté est telle, que même tout l’amour que je lui porte ne suffira pas pour lui pardonner. Oui, quelque chose vient de casser en moi. Je sens mon sang bouillir, je sens une violente envie de lui faire mal au moins autant qu’il vient de m’en faire. Je vois rouge. Et je perds les pédales.
Tout se passe en une fraction de seconde : je laisse tomber le maillot au sol, je le charge et je le frappe au visage.
Jérém n’a rien vu venir ; attaqué par surprise, il reçoit mon droit de plein fouet
Un filet de sang rouge vif commence à couler presque instantanément de son nez ; c’est à ce moment-là que je réalise que je viens de frapper le garçon à qui j’ai envie de faire tous les câlins du monde, jusqu’à mon dernier souffle. Moi qui ne me suis jamais battu de ma vie, il faut que je commence par Jérém. Si c’est pas malheureux, ça !
Alors que je regrette déjà mon geste, je le vois porter deux doigts sous son nez, et les retirer ensanglantés. Son regard est désormais rempli de haine.
J’ai peur de la violence de sa réaction : et c’est moins la douleur physique que je redoute, bien moins que le chagrin de voir notre histoire se terminer à coups de poings dans la figure.
« Je suis désolé, Jérém, je ne voulais pas… » je tente de le calmer.
Hélas, mes excuses n’ont aucun effet ; Jérém voit rouge, aussi rouge que moi un peu plus tôt, aussi rouge que le sang qui coule de son nez, qui éclabousse son torse et laisse des traces sur son jeans et sur le carrelage.
Je le vois charger comme un taureau, et je sais que ça va faire mal. Je suis tellement dégouté par la tournure que sont en train de prendre les choses, dégouté que ce soit par ma faute, d’avoir frappé en premier, que je n’ai même pas le réflexe de tenter de me protéger le visage : lorsque son droit à lui me percute, je ressens une douleur aigue se propager depuis le milieu de mon visage, jusqu’à l’intérieur de ma tête.
Non, je ne me suis jamais battu auparavant : je réalise à cet instant à quoi font référence les petites étoiles qu’on voit tourner autour de la tête des personnages de dessin animés lorsqu’ils prennent un coup au crane ou au visage.
C’est le goût bizarre du sang sur mes lèvres qui me fait pleinement réaliser que je viens de me faire frapper par le garçon que j’aime ; ce garçon dont le goût viril persiste dans ma bouche, le garçon qui, quelques minutes plus tôt, m’a rempli de sa semence. C’est triste à en pleurer.
« T’es vraiment qu’un gros con qui ne sait pas assumer ce qu’il ressent dans son cœur… » je lui crie en pleurant.
Sa réaction ne se fait pas attendre :
« Et toi, t’es vraiment qu’une petite merde ! ».
« Dégage connard ! ».
« Oh, oui, je vais dégager, t’inquiète, mais toi aussi tu vas dégager, tu vas dégager de ma vie ! ».
Ses mots sont sans appel, et ils me rendent malade. Mais il est d’autres mots qui s’enchainent aux siens et qui vont me rendre encore plus malade.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » j’entends une voix familière s’écrier.
Je lève les yeux : maman vient de débarquer.
« C’est quoi tout ce sang ? » elle s’inquiète, en voyant le carrelage tâché.
« C’est rien, un petit accident, rien de grave, madame… » fait Jérém.
Maman le regarde, puis me regarde fixement, les yeux écarquillés, le regard anxieux.
Je regarde Jérém se baisser pour ramasser sa chemisette sur le carrelage et la passer très vite autour de son torse, tout en essayant de tamponner avec la main son nez qui n’arrête pas de pisser le sang.
Jérém accroche deux boutons à la va vite, et il se précipite vers la porte d’entrée. Dans mes tripes, je ressens malgré tout l’instinct d’essayer de le rattraper, une fois encore ; je sais que si je lui laisse passer cette porte, ce sera vraiment fini entre nous. Mais mon corps ne suit plus ; je suis à bout de forces, physiquement, moralement.
Jérém saisit la poignée, la fait tourner, il commence à tirer le battant ; et là, au lieu de partir comme une fusée, il marque une pause ; un instant de rien, le temps d’un regard qui en dit plus que mille mots.
Je le vois tourner la tête vers moi, planter ses yeux dans le miens : son regard noir a soudainement disparu, pour laisser la place à un regard perdu, rempli de désolation, de détresse, et de chagrin ; ses yeux, ses narines ont cette vibration conjointe comme lorsqu’on se fait violence pour ne pas céder à l’émotion.
Ce que je vois à cet instant, ce n’est plus le connard qui vient de me balancer plein d’horreurs et son poing dans la figure, mais un garçon très malheureux ; pendant un instant, je me prends à rêver qu’il soit sur le point de me lancer un : « Je suis désolé », capable de soigner toutes mes blessures.
Il n’en est rien : Jérém finit pas détourner le regard et disparaît dans l’entrebâillement de la porte.
Oui, son regard était plein de tristesse ; et, au plus profond de moi, je ressens la ferme impression que Jérém a détourné le regard juste avant qu’ils ne soient pleins de larmes aussi.
Oui, c’est triste de se faire aussi mal l’un l’autre ; et de se rater de cette façon.
La serrure vient tout juste de claquer un dernière fois derrière le garçon que j’aime plus que moi-même ; je sens le désespoir m’envahir ; je ne peux me retenir, je fonds en larmes.
« Nico ! ».
C’est à cet instant précis que j’ai vu dans le regard de maman qu’elle avait tout compris, sans besoin d’un mot d’explication. Dans mes larmes, maman a su à quel point j’étais amoureux d’un putain de beau gosse qui me rendait terriblement malheureux.
« S’il te plaît, maman… laisse-moi seul… je vais nettoyer… je viendrai te parler plus tard… ».
« Tu veux pas que je t’amène voir un toubib ? ».
« Non, maman, ça va aller, c’est rien, vraiment… » je tente de minimiser, en étant rassuré moi-même par le fait que mon nez ne saigne pas trop.
« Comme tu voudras, Nico, je serai dans la cuisine… ».
Je vais dans le cellier chercher un seau et une serpillère ; je reviens nettoyer les dernières traces du passage de Jérém chez moi ; à chaque tâche effacée, je me demande pourquoi on en est arrivés là, comment j’en suis arrivé à frapper le garçon que j’ai envie d’aimer plus que tout au monde.
Je sais que je ne le reverrai plus jamais. Je nettoie et je pleure, en pensant à la solitude terrifiante de ma vie sans lui.
La douche me fait du bien : mais je suis toujours aussi sonné, et mon nez me fait mal. Ça ne saigne plus. L’eau chaude a détendu mes nerfs, emporté mes larmes, je sens une fatigue immense me gagner, je me sens lessivé.
Il est 19h20 lorsque je redescends : il faut que je me dépêche d’aller voir maman, papa va rentrer d’un moment à l’autre.
Lorsque j’arrive dans la cuisine, elle est en train de préparer une grande salade.
« Ça va, mon Nico ? ».
« Oui, ça va… mieux… » je tente de la rassurer, en prenant sur moi pour contenir mon émotion et ne pas laisser mes larmes jaillir à nouveau.
J’attrape un bocal et je commence à mélanger huile, vinaigre, sel et moutarde.
« C’est qui ce garçon ? ».
« C’est un camarade du lycée… ».
« Pourquoi vous vous êtes disputés ? ».
« C’était juste pour une bêtise… ».
« Vous vous êtes battus, quand-même ! ».
« C’est rien je te dis… ».
« T’avais l’air vachement remué, mon Nico… et ton camarade aussi… ».
Une partie de moi a envie de tout raconter à maman, de lui dire que j’aime les garçons depuis toujours, que j’aime CE garçon plus que tout au monde, à part elle… oui, une partie de moi n’a qu’une seule envie, celle de me laisser aller à pleurer dans ses bras, de la laisser me réconforter.
Mais la blessure est si profonde, si vive, si brûlante, que je ne me sens pas la force de la remuer, même pas pour tenter de la soigner.
« Maman… » je me lance, pour tenter de la rassurer, pour gagner du temps, sans aucune idée de comment je vais continuer ma phrase.
Heureusement, maman vient à mon secours :
« Tu sais Nico… ne te force pas… » fait-elle en posant son couteau et en attrapant ma main : elle la serre avec force et douceur, tout en posant sur moi ce regard plein d’affection et de tendresse que seule une maman sait composer ; puis, elle continue : « si tu n’as pas envie d’en parler, c’est pas grave ; tu m’en parleras plus tard, quand tu t’en sentiras capable… demain, après demain, ou même quand tu seras à Bordeaux… quand tu seras là-bas, dans ta petite chambre, tu sais que tu pourras m’appeler quand tu voudras, à n’importe quelle heure, je serai toujours là pour toi, mon Nico… ».
Je sanglote. Je sens maman très émue aussi.
« Maman… ».
« Mais il y a une chose qu’il faut que tu saches… je t’aimerai toujours, quoi que tu fasses de ta vie, quoi que ce soient tes choix… enfin, des choix… façon de dire… je t’aimerai toujours, et rien ne pourra jamais changer cela… tu sais, Nico, tout ce qui m’intéresse, c’est que tu sois heureux, que tu trouves ta part de bonheur quel qu’il soit le bonheur que tu recherches… ».
Elle pose ma main sur ma nuque et me caresse les cheveux, comme quand j’étais enfant, pour me réconforter ; je pleure à chaudes larmes.
« Désolé, maman… ».
« Pleure, si ça te fait du bien… ».
« Ce garçon… ce garçon… » je tente de lui parler de mon chagrin, de cet amour fou né sur les bancs du lycée : mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
« Ce garçon est vraiment un très beau garçon… » résume maman « mais j’ai l’impression que ce n'est pas lui qui va te rendre heureux… ».
« De toute façon, je ne le reverrai plus jamais… ».
« Mon Nico… ».
« Maman… promets-moi… ».
« Oui, Nico ? ».
« Ne dis rien à papa, s'il te plaît… ».
« Je ne lui dirai rien t'inquiète… un jour tu lui diras toi-même, quand tu seras prêt à le faire… ».
« Merci, maman… ».
« Dis donc, il ne t’a pas raté ce petit con… » elle s’exclame, en se penchant pour regarder les dégâts de plus prés.
« A côté du nez, sous l’œil, tu vas avoir un joli cocard, mon Nico… ça fait mal ? » elle continue.
« Oui… ».
« Dans le placard de la salle de bain, il doit y avoir une pommade pour soigner les hématomes… ».
Dommage qu’il en existe pas une pour soigner les cœurs brisés.
« Merci maman… ».
« C’est lui qui t’a frappé en premier ? ».
« Non, c’est moi… ».
« Nico ! ».
« Et je le regrette vraiment… même s’il l’a bien cherché ! ».
« En tout cas, toi non plus, tu ne l’as pas raté ! ».
La porte d’entrée vient de s’ouvrir et de se refermer. Papa est rentré. Je m’essuie les yeux et maman aussi.
« Bonsoir ! » fait papa « qu’est-ce que t’as fait au nez, Nico ? ».
« Bonsoir ! » fait maman « ton fils s’est pris la porte de la salle de bain sur le nez en sortant de la douche… ».
« Toujours aussi maladroit… » fait papa distraitement « j’ai le temps de prendre ma douche avant de manger ? ».

Le soir dans mon lit, j’étouffe. J’ai mal au nez, mal au visage, mal au cœur, surtout. Je suis allongé dans le noir, sur le dos, incapable de faire le moindre mouvement. Je n’ai même plus la force de pleurer. Je me sens comme dans un état d’incapacité à réagir à tout stimuli, je me sens comme vidé de toute énergie. Je n’ai envie de rien, ni de lire, di d’écouter la musique. J’ai mis la radio en fond sonore, à volume très bas, juste pour me tenir compagnie. Vers minuit, en allant se coucher, maman toque à ma porte :
« Ça va, Nico… »
« Ça va, maman… ».
« Passe une bonne nuit, mon loulou… essaie de dormir un peu… ».
« Je vais essayer, ne t’inquiètes pas… bonne nuit, maman… ».
J’écoute la nuit tomber sur la ville, ses bruits de circulation s’estomper ; j’écoute la nuit tomber sur la maison, le silence s’y installer.
J’essaie de fermer les yeux, mais je les rouvre aussitôt : ils sont enflés, à force d’avoir chialé, ils piquent. Le sommeil ne vient pas.
Je repasse les souvenirs heureux de la semaine dernière ; je ressasse les souvenirs horribles de cette semaine, de cet après-midi. Je rumine ses mots blessants comme des lames. J’entends le bruit de mon coup ; celui de son coup ; deux fois le bruit de la chair qui morfle ; le sang, son odeur, son goût de violence : je me sens horriblement mal. J’ai l’impression d’avoir commis quelque chose d’irréparable, d’impardonnable.
Définitivement, ce n’était pas une bonne idée de laisser Jérém venir chez moi, de le laisser accrocher son souvenir dans cette chambre, à ce couinement que fait mon lit quand on appuie à un certain endroit, ce bruit qui me rappelle ses coups de reins ; je le revois sur moi, je le sens en moi, je ressens la brûlure qu’il a laissée entre mes jambes, dans mon ventre, dans mon cœur.
Pourtant, je le savais que ça se terminerait de cette façon ; je le savais qu’un jour on se prendrait la tête et que ce serait fini pour de bon ; je savais que le faire venir chez moi allait être une façon de reculer pour mieux sauter : ce que je ne savais pas, c’est que ça se terminerait en baston. Et que je le cognerai en premier. Je n’arrive pas encore à croire que je l’ai cogné.
Et maintenant que c’est fini entre nous, Jérém hante cette chambre, ce lit, ma vie toute entière.

4h18, je ne dors toujours pas. J’essaie de ne pas penser à demain, au nouveau jour qui viendra, un jour inutile, odieux, car il ne portera pas avec lui l’espoir de revoir Jérém.
Les souvenirs et les larmes se mélangent dans le silence de la nuit.
Imaginer ma vie sans Jérém, ça me parait un aperçu de l’enfer.
La nuit avance et la radio continue de débiter des chansons que je n’écoute pas.
Puis, soudainement, un texte accroche mon attention, parle à ma tristesse, à ma solitude, à mon désespoir.

Tant de fois j'ai tenté/D'aller toucher les étoiles
Que souvent en tombant/Je m'y suis fait mal
Tant de fois j'ai grimpé/Jusqu'au plus haut des cimes
Que je m'suis retrouvé/Seul au fond de l'abîme
(…) Il y a toujours un soir
Où l'on se retrouve seul/Seul au point de départ
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
Seul au fond de son lit/Seul au bout de la nuit
Celui qui n'a jamais été seul/Au moins une fois dans sa vie
Peut-il seulement aimer/Peut-il aimer jamais




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Z
C'est pénible d'assister à ça. Ils s'engueulent comme des enfants, et ça ne vole pas très haut. C'est d'ailleurs un très bon dialogue, une fois de plus.<br />  
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B
A chaque je passe dans les lignes de cet chapitre, je verse toutes mes larmes, comme c est la premiere foie que je lire cet chapitre, pourtant c est la n iemmme foie que je passse et je voie chaque mot a part, a chaque lecture je me sens vider, triste, je ne croi pas que c est la fin entre jerem et nico
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F
Bonsoir à tous<br /> je tenais à tous vous remercier pour vos commentaires enflammés, passionnés et pleins d'emphatie pour Nico et aussi pour ce petit con de Jérém.<br /> Chacun de ces commentaires me touche profondement.<br /> Vous êtes adorables.<br /> Et vous n'êtes pas au bout de vos peines, tout comme Nico. Et Jérém aussi. lol<br /> Bises à vous tous
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B
Mais pourquoi tu nous as donnés autant d espoir que ca va aller bien entre eux, puis sibutement les choses se changes, j ai verser toutes mes armes, je suis triste, bravo, je resen la douleurs de nico,
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Y
Comme RomainT on a envie de détester Jerem et on se dit qu'il doit être aussi très malheureux lui aussi. Je disais dans mon com précédent, ces personnages sont fictifs et on y est attaché comme à des amis qui existeraient vraiment. Au fil des épisodes il m'arrivait d'y penser mais là tout particulièrement.<br /> Que va penser Thibault en voyant Jérem amoché ? Il va se douter de ce qui c'est passé, va-t-il aller voir Nico pour le soutenir ?<br /> Comment au fond de lui Jerem vit-il tout cela?<br /> Dans un épisode pas récent Nico disait que Jerem à fait de conneries après leur séparation. A-t-il toujours des nouvelles même s'ils ne se voient plus ? Peut-être par Thibault. Et puis même s'ils ne se sont pas revus rien ne dit que ça n'arrive pas. Il y a plein de questions qu'on se pose et qui montrent combien cette histoire nous touche.<br /> Yann
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