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Jérém&Nico et d'autres histoires

55.7 Balade (et tristesse) toulousaine.


Samedi 25 août 2001, au soir.

Je quitte le Grand Rond, et je vais marcher sur le Canal. Je marche longuement, sans regarder l’heure. Je marche dans cet après-midi qui glisse vers le soir, je marche au milieu des ombres s’allongent peu à peu.
Je marche et je me sens seul, triste, je me sens « Ragazzo Triste/Garçon triste ».

Ragazzo triste come me (…)/Garçon triste comme moi (…)
che sogni sempre come me (…)/qui rêve toujours comme moi (…)
(…) Nessuno può star solo/Personne ne peut rester seul,
Non deve stare solo, quando si e' giovani così/Ne devrait pas être seul quand on est si jeune

Je n’ai pas envie de rentrer manger ; je préviens maman, je prétexte un McDo avec des potes, alors que je me tape un McDo tout seul. Et un McDo tout seul, c’est le summum de la tristesse.
Heureusement, l’enseigne possède des atouts autres que la bouffe : ses boissons fraîches (il ne les fabrique pas, c’est justement l’atout) ou bien la clim, argument de taille lors de chaudes soirées estivales ; et, surtout, les « produits » phare, qui n’est malheureusement pas à la carte, le McBogoss et le McPetitCon.
T-shirt qui va bien et casquette à l’envers, sourire ravageur, brushing à la mode, barbe de quelques jours ou collier de barbe, avant-bras finement poilus, la plupart du temps en meute avec ses potes : le McBogoss et le McPetitCon ce sont des « cadeaux » « offerts » par la maison, au gré de la rotation de sa clientèle. Bonheurs visuels, et parfois olfactif, capables de faire tout oublier, l’angoisse et les larmes, la tristesse et la jalousie, le temps d’un passage éclair dans le paysage de notre vie.
Il est 21h30 lorsque je quitte le McDo, et la chaleur s’est un peu dissipée. La place du Capitole est plutôt animée à cette heure-ci. Je traverse le grand espace ouvert et je marche vers la Daurade.
Je n’ai pas fait cent mètres qu’un beau reubeu traverse la rue juste devant moi, le téléphone à l’oreille, t-shirt noir bien ajusté, la peau bien mate, le regard hurlant de sexytude sauvage. Nous nous croisons à distance suffisamment rapprochée pour me permettre de sentir une trainée de parfum boisée sur son passage ; et pour entendre sa voix, avec cet accent sec, qui claque un brin agressif, typique des gars des cités. Je le regarde repartir avec sa démarche si « mec », tout en appréciant l’absolue beauté du corps masculin.
Le jour se couche sur la ville rose, les derniers rayons du soleil se fanent, laissant derrière eux des couleurs et des nuances pleines de charme. Et sans qu’on se rende compte, la nuit s’installe peu à peu.
Les arcades du pont Neuf s’illuminent, tout comme les candélabres du pont St Pierre, qui semblent sortis d’un autre temps ; les berges de la Garonne entre les deux ponts sont éclairées comme en plein jour, permettant ainsi aux nombreux toulousains venus chercher de la fraîcheur au bord de l’eau de prolonger leur soirée jusqu’à tard.
Sur les vastes marches qui amènent aux berges, un petit brun assis à mi-pente est en train de boire une bière ; il a quelque chose de violemment sensuel dans sa façon d’être, dans son regard ; je finis par croiser ses yeux, qui accrochent les miens ; son regard est fixe, insistant, un regard dans lequel je ne sais pas lire, contenant peut-être des intentions que je ne sais pas traduire. Est-ce que mon regard l’importune ? Est-ce qu’il est à deux doigts de se lever et de me cogner devant tout le monde ? Ou bien, est-ce qu’il me cherche ? Ou alors, est-ce que ce regard n’est pas tout simplement un regard alcoolisé ?
Je finis par baisser les yeux, comme toujours intimidé, devant le regard d’un bomec.
J’avance de quelques pas, puis je me retourne, furtivement : le petit brun regarde ailleurs. Je trace mon chemin.
Je me balade sur les berges, je longe le mur de soutènement de la route qui se déroule une vingtaine de mètres plus haut : les briques rouges rendent petit à petit à la nuit la chaleur accumulée pendant la chaude journée estivale. Sur l’étroite bande de verdure à côté de l’eau, une bande de potes est assise en cercle, comme une petite communauté qui se protègerait des intrusions externes ; des bouteilles de bière vides sont amoncelées au centre de ce petit cercle, comme des trophées d’une soirée simple et agréable.
Un peu plus loin, un mec assis dans l’herbe est en train de textoter, le dos penché en avant : son t-shirt gris découvre un bout de peau de ses reins, c’est simplement beau.
Sur la pelouse de la Daurade, chaque mètre carré de verdure est pris d’assaut par le toulousain en mode détente.
Un bobrun torse nu et casquette bleue vissée à l’envers sur la tête se balade avec assurance au bord de l’eau, tout en buvant de grandes rasades de bière et en rigolant avec les potes assis sur l’herbe.
Une force inexplicable me pousse à quitter le bord de l’eau, à remonter des marches pour aller faire un tour dans le quartier de la Daurade, ce quartier que je connais si bien pour l’avoir fréquenté tous les jours pendant trois ans.
Petit pincement nostalgique en passant devant ce lieu, cette vieille et magnifique bâtisse que je n’ai pas encore appris à appeler « mon ancien lycée ».
Plus qu’un lieu, une époque de ma vie désormais révolue, une époque dans laquelle j’ai laissé « mes anciens profs » ; une époque après laquelle j’ai vu partir, à jamais dispersés dans leurs vies respectives, « mes anciens camarades » ; une époque qui a vu ma vie d’adulte commencer sur les ailes d’un amour dévorant, un beau jour de septembre de trois ans plus tôt, lorsque j’ai croisé le chemin de vie d’un beau brun de 16 ans, avec son t-shirt noir déjà sexy ; un garçon qui m’a fait connaître le feu d’artifice de l’amour physique, sans jamais me laisser l’accès à son cœur ; ce garçon qu’il va falloir que je m’habitue à appeler « mon ex ».
Je me surprends à penser à lui pour la première fois, en tant que mon « ex ». C’est tellement triste.
À ce stade, je pourrais choisir d’emprunter l’un des deux ponts, de traverser la Garonne, de rentrer chez moi ; je suis fatigué, j’ai mal aux pieds à force de marcher ; pourtant, l’idée de me retrouver dans ma chambre, dans ce lit où les souvenirs m’étouffent, me paraît encore plus insupportable que de continuer à marcher.
Alors, je décide de rester encore un peu en ville ; ainsi, pour fuir mes démons, je choisis le seul remède efficace que je connaisse : celui qui consiste à m’abreuver, à m’étourdir, à m’énivrer de l’inépuisable beauté du « Masculin ».
Je viens de reprendre la direction le Capitole, et j’entends des voix de mecs derrière moi ; du coin de l’œil, je détecte une bande de potes ; ils marchent vite, ils me doublent, ils rentrent dans mon espace visuel ; ils sont cinq : t-shirt blanc pas vraiment ajusté à un physique trop élancé ; t-shirt gris bien coupé et casquette rouge, morphologie p’tit rugbyman un peu trapu ; un autre t-shirt me plait tout particulièrement, il est blanc sur le torse, avec les manchettes et les épaules jusqu’au col en bleu ; il y a un deuxième t-shirt gris, mais moins bien rempli que l’autre ; et, pour finir, un polo blanc sur une peau plus sombre, métisse.
Shorts, pantalons légers, mollets poilus, d’autres moins, baskets ; brushing de bogoss, d’autres plus approximatifs : bande de potes de 20 ans lancés à toute allure vers leur nuit toulousaine, laissant derrière eux de subtiles trainées de propre et de parfum ; laissant derrière eux comme des étincelles de bogossitude, la vibration étourdissante des vies anonymes, pleines de promesses, de tous ces p’tits mecs croquant leur jeunesse et leur sexualité bouillonnante.
En arrivant au Capitole, une étoile filante traverse le ciel vers St Sernin ; vite, un vœu, Nico ! Le vœu qui s’affiche dans ma tête est si beau et si impossible qu’il fait jaillir mes larmes.
Une force irrépressible me pousse vers place Wilson, puis vers la rue Gabriel Péri : voilà la Bodega, ce pub dans lequel je ne suis pas souvent rentré mais où, lors de la soirée après le bac, j’ai fait une pipe mémorable à mon bobrun dans les chiottes.
Boulevard Riquet, le vent d’Autan agite les frondes des platanes ; le chant des grillons fait office de bande originale à une nuit d’été sur le bord du Canal ; le néon rouge de l’enseigne du On Off fait office de madeleine pour me rappeler un autre souvenir avec Jérém…
La nostalgie et la souffrance me déchirent le cœur. Putain de souvenirs ! Mais pourquoi notre cerveau et notre cœur ne disposent pas d’une fonction style : « Cliquez ici pour désinstaller toutes les composantes », fonction essentielle en cas de rupture sentimentale ?
Je m’engouffre dans la rue de la Colombette, je ne peux m’en empêcher ; je trace, je marche vite, je sens le cœur se serrer devant cette façade si familière, devant ce théâtre de nos premières révisions, cette scène où se joue désormais une autre pièce, avec d’autres acteurs.
Je n’arrive toujours pas à vraiment réaliser que tout est fini, à me dire ce que je vais faire…

Se perdo te/Si je te perds

Se perdo te cosa farò/Si je te perds, qu’est-ce que je vais faire ?
Io non so più restare sola/Je ne sais plus rester seul
Ti cercherò e piangerò/Je te chercherai et je pleurerai
Come un bambino che ha paura/Comme un enfant qui a peur
(…) Se perdo te, se perdo te/Si je te perds, si je te perds
Cosa farò di questo amore/Qu’est-ce que je vais faire de cet amour
Ti resterà, e crescerà/Il restera, il grandira
Anche se tu non ci sarai/Même si tu n'es pas là

La rue de la Colombette défile devant mes yeux embués, je passe devant la Ciguë, à la façade discrète et sombre, ce bar à mecs dans lequel je n’ai jamais fichu les pieds.
Je traverse Carnot, place Wilson à nouveau, je prends rue d’Alsace-Lorraine, une des rues les plus animées de la ville en pleine journée, rue fantôme à cette heure-ci, avec ses boutiques aux vitrines éteintes et sinistres.
Je continue rue de la Trinité, puis place de la Trinité, avec sa fontaine ronde et ses trois statues se tournant le dos et tenant le bassin supérieur avec le bout de leurs ailes.
Trois mecs déboulent juste devant moi en sortant d’un café… bande de potes bogoss toulousains, tous plus mignons les uns que les autres. Ils s’arrêtent au milieu de la petite place, en rond, ils discutent ; ils sont bientôt rejoints par un quatrième pote, tout aussi charmant… et aussi bien bâti… si ça ne sent pas la bande de potes rugbyman, je n’y connais rien…
Les quatre potes ne semblent pas pressés de partir, ils sont peut-être en train de définir où terminer leur soirée. Oui, comment vont-ils terminer leur soirée ? Avec qui vont-ils éventuellement prendre leur plaisir ? Avec des nanas ? Est-ce qu’ils vont tous jouir, en compagnie ou en solitaire dans leur lit, avant la fin de cette nuit ? Pourquoi pas entre eux ?
J’en ai mal au ventre tellement ils sont beaux, tellement leur énergie et leur fraîcheur débordantes de testostérone réveillent une émotion qui va au-delà du désir charnel, une émotion qui est contemplation, la même émotion qu’on ressent devant une œuvre d’art.
Je les regarde, incapable de détourner mes yeux de la magie qui se dégage d’eux, jusqu'à ce qu’ils disparaissent dans une rue.
Un dernier tour de la place pour me laisser bercer par le joyeux brouhaha des jeunes toulousains qui font la fête dans la douce tiédeur d’une nuit d’été.
Dans l’une des nombreuses terrasses, une dizaine de potes autour d’une table boit des bières en déconnant. Et là, force est de constater que, dans une bande de jeunes mâles aussi fournie, on peut retrouver une belle palette de nuances du charme masculin.
On retrouve un « petit con-caquette à l’envers » ; un autre, avec un t-shirt blanc bien ajusté sur ses épaules, bobrun avec un sourire charmeur ; il y a un châtain, un peu bouclé, avec un regard pétillant ; un autre, avec un t-shirt marinière, couplé avec un short bleu d’où dépassent des mollets finement poilus ; un autre passe une main sous le t-shirt pour se caresser les abdos, dévoilant pendant une fraction de seconde un petit bout de peau tiède ; un autre mec dégage un regard d’ange blond posé sur un torse sculpté et souligné par un débardeur bleu ciel ; il y a ce « petit con » avec une chaînette à grosses mailles qui se balade effrontément sur un t-shirt bien tendu sur un petit physique plutôt attirant ; un autre porte un polo blanc avec les finitions bleu foncé et un écusson sur une poche à hauteur du pec (un t-shirt ajusté c’est beau, mais un polo bien rempli, c’est tout aussi beau) ; les coutures du polo, plus nettes que celles d’un t-shirt, comme en relief, soulignent très bien la ligne des épaules, tout comme les bords des manchettes, rétrécis autour des biceps, soulignent d’une façon redoutable une jolie plastique masculine ; et puis il y en a un autre qui porte un jogging ; l’un de ces survêts bénis permettant parfois, lorsque le mec est assis en arrière, le bassin un peu en avant, de déviner le modèle du matos et de quel côté il est rangé…
Certains discutent, d’autres écoutent ; certains fument, d’autres boivent ; il y en a un qui met l’ambiance : c’est le brun avec le polo bien coupé, c’est le ménestrel de la bande.
Putain de bande de potes. Définitivement, tout ce que je vois, entends, sens dans la présence, dans l’essence d'un beau garçon, m’attire, m’émeut, me fait sentir bien.
Lorsque je me décide enfin à quitter la petite place, je continue en direction des Carmes. Rue des Filatiers, un autre bobrun t-shirt bleu et short blanc est assis à une petite table en métal vert d’un restaurant ; il est moins bien bâti que mon Jérém, mais il a la peau tout aussi mate ; il dégage un charme fou, porté par un sourire magnifique ; il est en train de tenter de faire rigoler la fille assise en face de lui, fille qui a pourtant l’air peu joyeuse.
Mais putain, rigole une peu ! Tu as de la chance que ce bogoss hyper charmant s’intéresse à toi, de ne pas avoir besoin de te cacher, de ne pas avoir besoin de faire attention à tout ce que tu dis ou tu fais, de ne pas avoir la peur au ventre de te faire jeter. Le mec a l’air sympa, la nuit est tiède, c’est les vacances… mais bordel, détends-toi un peu !
Un mec me double et son parfum flotte et persiste dans l’air chaud de la ville.
Place des Carmes, c’est la façade discrète du B Machine qui me tape dans l’œil. Je connais cette boîte, de nom, de par ce que j’ai pu en lire sur Internet : apparemment, ce serait THE boîte gay branchée de la ville. Happé par les lumières et les basses qui arrivent à filtrer à travers la porte, je me fige sur le trottoir ; tout en sachant que je ne suis ni habillé, ni assez en forme, ni avec le bon état d’esprit pour en franchir le seuil.
Pourtant, je frémis d’envie de franchir cette porte métallique ; une envie qui se fait encore plus forte lorsque je suis obligé de me décaler pour laisser rentrer trois mecs : lorsque la porte s’ouvre, la musique me percute de plein fouet ; j’ai même le temps d’apercevoir l’ambiance feutrée de l’intérieur, une salle remplie de monde au-delà de ce que j’avais pu imaginer.
Pourtant, faute d’une tenue et d’une forme mentale et physique adéquates, je décide de rentrer.
En marchant vers la maison, je reconnais l’abribus où j’avais vu deux petits mecs en train de s’embrasser, la dernière fois que j’avais fait une longue balade nocturne en ville. Que sont-ils devenus ? Sont-ils toujours aussi amoureux ?
À la maison, papa est en train de regarder un match de foot à la télé ; maman est en train de lire dans la cuisine.
« Ça va mon loulou ? ».
« Oui maman… ».
Non, ça ne va pas : je viens de rentrer et tout me semble insupportable. Je n’ai pas envie de monter dans ma chambre, pas envie de m’y enfermer avec mes souvenirs et mes larmes.
Soudainement, je repense à la façade discrète du B Machine, comme la promesse d’une longue nuit qu’échapperait à la tristesse, à la désolation ; j’ai envie de me défoncer les tympans de musique techno, j’ai envie de danser ; j’ai envie de mater des mecs, j’ai envie de savoir si je peux plaire, si je peux attirer les regards ; oui, le B Machine, comme l’annonce de nouvelles, merveilleuses rencontres.
Je me dis que tous les mecs ne veulent pas forcément d’une baise rapide « à la Mourad » ; je me dis qu’il y a peut-être un « Stéphane » qui m’attend dans cette multitude de mecs.
Au fait, je ne sais pas trop de quoi j’ai envie cette nuit… peut-être, justement, de sexe, et rien que de sexe, m’étourdir de sexe. Ou, peut-être, juste me retrouver à un endroit où être gay, c’est « normal » ; j’ai envie de découvrir l’ambiance, ce monde, voir comment ça marche la drague entre mecs.
« Je vais ressortir… je vais boire un coup avec des potes du lycée… » j’annonce à maman.
Je me douche, je m’habille, petit t-shirt noir, jeans qui va bien, baskets jaunes, brushing au gel comme me l’a appris Elodie. Ça fait du bien de me faire beau, de me sentir mis en valeur ; de me regarder dans le miroir et de me dire que j’ai quand-même une chance de plaire.
« Amuse-toi bien… eh Nico… » me glisse maman discrètement « tu… penses aux moufles… au cas où ? ».
« Oui, maman ! » j’arrive à me marrer en repensant à Sacha, le célèbre sketch de Muriel Robin.
J’adore maman.
Je sers le même prétexte à papa, sortie entre potes, et je ressors sans entraves en direction de la ville et de ses lumières.
Il est minuit et la ville semble s’endormir suivant une vague qui part de la périphérie, et qui avance vers le centre-ville, tout en s’arrêtant à ses abords : car, le centre-ville ne dort jamais.
Je passe le pont St Michel et je regarde les lumières de la ville se projeter dans la Garonne ; le pont Neuf, le Pont St Pierre, les clochers de la ville brillent de mille feux.
Le vent d’Autan est très toujours là, toujours aussi puissant, il caresse ma peau, s’engouffre dans mes oreilles, semble accompagner mes pas.
Un quart d’heure plus tard, je suis à nouveau place des Carmes, devant l’entrée discrète du B Machine.
Je réalise que c’est la première fois que je m’apprête à rentrer dans une boîte gay, tout seul ; la première fois, c’était avec Jérém, au On Off ; une autre fois, j’avais approché le On Off sans y rentrer, et le On Off était venu à moi, sous les traits et la baise sans âme de Mourad.
J’hésite à rentrer : j’ai l’impression qu’une fois que j’aurai passé cette porte, une fois que j’aurai approché ce « monde », une fois que je serai devenu un « pd qui sort dans le milieu », que j’aurai peut-être rencontré un mec comme moi et que j’aurai couché avec ; oui, j’ai la sensation qu’à ce moment-là, j’aurai tourné une page ; que j’aurai définitivement renoncé à mon Jérém.
Je n’ai pas envie de renoncer à Jérém. Je me demande comment et pourquoi j’en suis arrivé là ; pourquoi ça n’a pas marché avec Jérém ; pourquoi je n’ai pas su le garder auprès de moi.
Une rafale un peu plus forte du vent d’Autan et la sensation d’un insupportable gâchis m’envahit, me prend à la gorge, aux tripes ; j’ai envie de faire demi-tour, de rentrer chez moi, de pleurer.
Vite, rentrer, avant de me faire rattraper par la détresse.

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