• Speech de Madonna au sujet de la journée mondiale contre le SIDA

    Amsterdam, 1er décembre 2023. Speech de Madonna.

     

    Aujourd’hui, c’est la journée mondiale contre le SIDA.
    Vous pensez à ça ? C’est important pour tout le monde ?
    Peut-être que tout ça peut paraitre très lointain, peut-être que cela ne vous parle pas, on peut même penser que chaque jour est un jour de fête.
    Mais laissez-moi vous expliquer quelque chose. Il n’y a pas de cure pour le SIDA. Les gens continuent de mourir du SIDA, vous savez ?
    Quand j’ai débarqué à New York, j’ai eu la chance de rencontrer et devenir amie avec de nombreux magnifiques artistes, musiciens, peintres, chanteurs, danseurs, écrivains.
    Et puis, un jour, ces gens ont commencé à devenir malades, et personne ne comprenait ce qui se passait. Les gens commençaient par perdre du poids, et puis ils tombaient comme des mouches. Ils allaient à l’hôpital, et là non plus personne ne comprenait ce qui était en train de se passer.
    Les infos appelaient ça le « cancer gay », parce que ça sévissait principalement dans la communauté gay. Et ça, c’était une honte terrible. Parce que, je ne sais pas si vous comprenez ça, maintenant, mais dans les premières années ’80 ce n’était pas cool d’être gay, ce n’était pas accepté d’être gay. Vous comprenez ça ou vous considérez juste vos droits pour acquis ?
    Aujourd’hui, on peut se tenir debout et dire « je suis gay ».
    Mais à l’époque, s’assumer était une action très brave et très courageuse.
    Je ne sais pas si vous imaginez vraiment ce qu’a été, à cette époque où être gay était considéré comme un péché, comme quelque chose de dégoûtant, de voir soudainement une vaste portion de la communauté gay commencer à tomber comme des mouches.
    Les gens mouraient partout. Et quand je dis qu’ils mouraient partout, je ne suis pas en train d’exagérer. Chaque jour je me réveillais et j’apprenais qu’un nouvel ami était touché. J’allais leur rendre visite, je m’assoyais sur le côté du lit pour les regarder mourir.
    Et pendant ce temps, dans la communauté médicale personne ne voulait faire quoi que ce soit. Parce qu’ils disaient que ces gens méritaient de mourir. Oui, c’est ce qu’ils disaient.
    C’étaient des temps affreux. J’ai personnellement perdu beaucoup d’amis bien aimés. J’aurais donné mes bras si j’avais pu trouver une cure pour leur permettre de vivre.
    J’ai vu tellement de gens mourir, homme et femmes, enfants, hétéros, gays, etc. Parce qu’à cette époque le sang des transfusions n’était pas testé.
    Les enfants aussi étaient ostracisés s’ils avaient le HIV. Je ne sais pas si vous comprenez, mais c’étaient des temps dévastateurs. Pour moi, c’est comme si une entière génération avait été anéantie.
    Et j’ai vu mon meilleur ami Martin en train de mourir. J’ai serré sa main, il souffrait énormément, il pouvait tout juste respirer, il voulait me chanter Maria Callas, Casta Diva. Et je lui ai dit, s’il te plait, Martin, laisse tomber. Et je regardais son esprit quitter son corps. Je ne sais pas si vous le savez, mais pendant « Live to tell », il est le premier visage qui apparait.
    Et il y en a beaucoup d’autres après.
    Mais je ne dis pas ça pour que vous vous sentiez désolés pour moi. Je veux que vous sachiez à quel point vous êtes chanceux maintenant, à quel point vous êtes chanceux d’être vivants. Maintenant vous pouvez prendre un médicament et être protégés, c’est fou.
    Et je me retiens chanceuse d’avoir moi-même survécu à cette triste époque.
    Quand j’ai été à l’hôpital Saint Vincent à New York pour visiter des patients qui étaient mourants, leurs familles ne voulaient plus rien avoir affaire avec eux. C’était dans les années ’80.
    Il y avait toute une salle dans laquelle il n’y avait que deux infirmières qui acceptaient de rentrer et de soigner ces malades. Car tout le monde disait « si tu touches une personne avec le SIDA, tu vas l’attraper ».
    Et j’ai avance dans cette salle et j’ai vu tous ces hommes haletant leur dernier souffle, et tout ce qu’ils voulaient, c’était un câlin. Et j’ai marché entre les lits de beaucoup d’entre eux, et je leur ai fait des câlins. Et ils étaient dans un état de démence et ils pensaient que j’étais leur mère et ils disaient « Maman, merci d’être enfin venue ».
    Je ne sais pas si cette scène, cette salle de spectacle est le bon endroit pour raconter ça, mais vous n’avez pas idée de ce que c’était pour tous ces personnes d’être laissés sur le côté, comme s’ils n’avaient pas d’importance, comme si leurs vies n’avaient pas d’importance.
    Vous n’avez pas idée d’à quel point vous êtes chanceux maintenant, à quel point nous sommes chanceux.
    Mais les gens peuvent être si cruels, vous savez ?
    Et quand je suis revenue à la maison ce jour-là, après avoir visité cet hôpital, la presse était postée devant l’immeuble de mon appartement à Central Park West, et on m’a demandé : « Madonna, Madonna, c’est vrai que vous avez le SIDA ? ».
    Je leur ai répondu : « Non, je me soucie juste des gens qui ont le SIDA ».
    Il y a quelques années, j’ai écrit des livres pour enfants. Un jour, une femme s’est approchée de moi, elle est venue me parler et m’a dit : « Vous écrivez des livres pour enfants, vous avez des enfants, vous prenez soin des enfants, est ce que vous savez qu’il y a un pays en Afrique où plus d’un million d’enfants sont nés avec le SIDA ? ».
    Et je lui ai dit : « De quoi parlez-vous ? ».
    Et elle m’a parlé de ce pays appelé Malawi.
    Et j’y suis allée, et c’était comme une histoire qui se répète. Je suis allée dans les hôpitaux, j’ai vu les corps empilés les uns sur les autres.
    J’ai vu les gens mourir partout. Il n’y avait pas de médicament, aucun traitement, rien, pas d’antirétroviraux disponibles.
    Des décennies plus tard, c’était comme voir l’histoire se répéter. Et c’est de cette façon que j’ai rencontré mon fils David, dont la mère était morte du SIDA, et tous mes enfants que j’ai adoptés au Malawi. Mes beaux enfants.
    Une fois de plus, je ne vous raconte pas ça pour avoir votre compassion, je n’essaie pas de me faire mousser. Je veux juste parler de l’étroitesse d’esprit de certains gens. Et cela me rend malade, et cela devrait tous vous rendre malades aussi.
    Où je veux donc en venir ?
    Je veux juste honorer tous ceux que nous avons perdus à cause du SIDA, ceux qui vivent avec le SIDA, et ils sont nombreux.
    Merci à la recherche médicale et aux gens qui ont consacré du temps à la sensibilisation.
    Mais vous savez, à notre époque où nous avons accès à tant d’informations, l’ignorance n’a pas d’excuses. Si on peut mettre un terme à quoi que ce soit, que nous puissions s’il vous plaît mettre un STOP à l’ignorance !
    Est-ce que je vous ai endormis ? Pensez-vous que j'allais terminer le spectacle de ce soir et ne pas parler de ça ?
    La seule chose qui peut tous nous sauver, c’est la lumière qui nous fait briller, la lumière qui est dans chacun de nous. Nous devons la partager avec tout le monde. Alors, s’il vous plait, allumez vos lumières, s’il vous plait, allumez vos lumières, ne me faites pas supplier !
     
    Son émotion lors de son discours était palpable par toutes et tous. Sa voix chevrotante lorsqu’elle évoque tous ces amis touchés par la maladie et décédés m’a ému. Ses mots semblaient venir directement de ses tripes. J’étais assez près d’elle, à quelques mètres à peine, pour voir qu’elle était tellement habitée par ses propos qu'elle en tremblait comme une feuille. J’ai même cru que la petite bouteille qu’elle tenait entre sa paume et son pouce allait se fracasser au sol. Je la voyais si menue, si fragile, elle était si émouvante à cet instant.
    J’ai envie de la croire sincère. En fait, je trouve que plus elle vieillit, plus elle devient humaine et touchante. Et sincère.

    Elle demande qu’on allume les torches de nos portables.

    « Ne me faites pas vous prier ! » elle nous encourage


    A cet instant, la salle est illuminée par des milliers de lumières de portables. C’est beau et terriblement émouvant.

    Et là, elle chante « I will survive » juste avec un accompagnement de guitare, elle chante avec le public :

    https://www.youtube.com/watch?v=AMimoWTyJfM


  • Commentaires

    1
    Yann
    Samedi 9 Décembre 2023 à 20:08

    Une grande artiste et une grande dame pour son engagement de longue date en faveur de minorités LGBT et dont la sincérité ne peut être mise en doute. Comme elle, j'ai connu les années SIDA qui, même s'il existe aujourd'hui des traitements, cette maladie perdure. Comme elle le dit, aujourd'hui encore des gens, même s'ils sont moins nombreux, meurent encore de cette maladie. Cette période du début des années SIDA était horrible. La maladie est arrivée en France avec un temps de retard sur les Etats-Unis. Comme là-bas, elle était nommée le cancer des gays. Entre 1983 et 1995 le SIDA a tué 30 000 personnes en France. Pour la plupart des jeunes dans la fleur de l'âge qui ne demandaient qu'à vivre. Au cours de ces années, la psychose collective était grande y compris dans le milieu médical. Je garde le souvenir d'un grand monsieur : le Professeur Escandre. Voyant la paranoïa gagner la société française, il était régulièrement invité à la télévision pour faire de la prévention et démystifier cette maladie encore méconnue : "Jusqu’à ce qu’on ait la trithérapie, tout le monde mourrait, c’était affreux. Mais les malades étaient courageux… Depuis, il y a des plaisanteries que je supporte plus", avoue-t-il.

    Quotidiennement, il y avait des articles sur cette maladie dont on ignorait encore presque tout avec les noms de personnalités atteintes et qu'on laissait mourir le plus souvent dans la solitude la plus totale par peur de la contamination. Les rumeurs les plus folles circulaient même s'il n'y avait pas encore les réseaux sociaux. L'église parlait de la punition de Dieu, pour imputer le SIDA aux Homosexuels.

    Deux images m'ont profondément marqué. L'une dans la salle d'attente d'un hôpital parisien où j'étais pour un test. Un jeune garçon en larmes sortait de son entretien où on avait dû lui annoncer qu'il était séropositif. A cette époque, les chances de survie étaient quasi nulles. La seconde image, c'est aux Etats Unis à Los Angeles en 1992. Un homme assez jeune à peine 30 ans sur un ponton face à la mer. Il était d'une maigreur à faire peur et pourtant il avait un si beau visage. De grandes plaques noires sur la peau typiques d'un sarcome de Kaposi et du SIDA. Ses gestes étaient très lents comme quelqu'un d'épuisé. Il regardait le paysage avec un regard comme pour capter les moindres détails de la beauté de ce monde et les graver dans son esprit. C'était le regard de celui qui, une dernière fois, admire ce monde qu'il sait qu'il va quitter bien trop tôt. J'en ai encore le souvenir ému comme si c'était hier.

    Alors merci à Madonna de rappeler tout ça et pour son engagement.

    Merci à toi Fabien de nous avoir fait partager ce moment passé avec Madonna.

    2
    Lundi 11 Décembre 2023 à 07:28

    Et merci à toi, Yann, de nous faire partager ton expérience. et ce vecu si poignant. Ces années étaient vraiment horribles pour une partie de la population, alors que pour la majorité des gens, tout allait plutot bien, c'étaient des années de croissance économique et le problème écologique n'était pas encore sur le devant de la scène.

    L'arreté de mort qu'était la maladie, couplé à la stigmatisation, au rejet, à l'abandon des malades à eux mêmes comme des chiens, a provoqué des drames épouvantables.

    Dans son concert de 1993, où pour la première fois elle parle du SIDA, en pleines années SIDA, à un moment où le sujet était tabou, Madonna l'appelle "la pire tragédie du 20ème siècle".

    Merci à des gens intelligents comme Line Renaud qui, très tot, ont su mettre un peu d'intelligence dans le marasme de l'ignorance.

    3
    Yann
    Lundi 11 Décembre 2023 à 14:27

    Merci Fabien.

    Je veux ajouter que dans les épisodes 0301 et  0304, même si c'est bien après le début des années SIDA, tu retraces très bien les comportements du monde médical face à cette maladie. On y trouve à la fois la bienveillance de personnes qui tentent de rassurer Nico quand il se rend aux urgences pour se faire tester alors qu'il redoute d'avoir été contaminé par Benjamin qui lui n'a pas voulu faire de tester après que la capote se soit déchirée. Et puis il y a le comportement abject de ce toubib qui se délecte de faire raconter à Nico pour la énième fois ce qui relève de l'intimité d'un rapport et se permet de le tancer de son ton accusateur.

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